La ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, revient, point par point, sur les grandes orientations de France 2030, plan d’investissement doté de 54 milliards d’euros du gouvernement, et sur l’importance de se projeter sur le futur des technologies.
Les investissements pour France 2030 se regroupent dans trois domaines : mieux vivre, mieux comprendre, mieux produire. Y’en a -t-il un plus important que les autres ?
Mieux comprendre est plus important car si l’on comprend mieux le monde d’aujourd’hui et de demain, on peut mieux le construire et mieux le vivre. Aider le monde socio-économique, dont tout le monde fait partie, à produire dans ce cadre-là est au cœur de notre rôle. Ce positionnement n’est pas indépendant des deux autres, il s’inscrit dans une continuité, mais il est très prégnant pour tous les défis que nous avons à relever aujourd’hui et demain. Il représente les orientations stratégiques que l’Etat met en œuvre.
Quelles sont ces orientations stratégiques ?
Elles sont d’autant plus fortes dans les domaines de la recherche et de l’innovation, car elles s’articulent avec les thématiques prioritaires nationales, comme l’hydrogène par exemple, mais aussi les biomédicaments, la décarbonation de notre industrie ou les fonds marins… Dans le même temps, le plan France 2030 continue à essaimer sur le moyen et long terme, à transférer notamment les technologies numériques vers l’industrie avec les projets d’équipements prioritaires qui sont indissociables des plans formation pour se préparer aux compétences, aux connaissances et aux métiers de demain.
Quelle est la part du plan France 2030 consacrée à la recherche ?
C’est une bonne question même si nous nous la posons différemment. Qu’est-ce que l’enseignement supérieur et la recherche apportent aux objectifs définis par France 2030 ? C’est ainsi que l’on souhaite porter la dynamique de ce plan. Aujourd’hui, nous pouvons identifier 13 milliards d’euros d’investissements directs de France 2030 aux bénéfices des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche sur la période 2020-2027.
Comment avez-vous intégré l’irruption soudaine et massive de l’IA générative dans la politique d’investissement de France 2030 ?
Dès 2018, avant que l’IA générative ne soit développée, le gouvernement a mis au point une stratégie nationale pour l’intelligence artificielle. Près de 2,5 milliards d’euros provenant du plan France 2030 seront investis dans la recherche, les innovations, le domaine applicatif, la mise sur le marché et la diffusion sectorielle, et enfin le soutien et l’encadrement du déploiement. Mais nous avons aussi décidé, le 19 septembre 2023, de créer le Comité de l’intelligence artificielle générative. Il réunit des acteurs du secteur pour conseiller les décisions du gouvernement en la matière.
L’Europe représentait 20 % des capacités mondiales de production de semi-conducteurs en 2000. Aujourd’hui, nous en sommes à 8%. Dans le même temps, les budgets consacrés à cette technologie stratégique sont en augmentation constante. Ils devraient doubler en France d’ici 2030. C’est la dernière chance, ce plan érigé en priorité nationale et européenne ?
Je suis d’accord avec cet état des lieux. Notre problématique, c’est l’augmentation due à l’utilisation notamment des véhicules électriques, des technologies liées à la transition énergétique et écologique, des fonctionnalités embarquées dans les transports, des équipements médicaux, mais aussi de l’alimentation et de l’agriculture qui tous utilisent des équipements électroniques. Le monde électronique est partout dans notre quotidien et il prépare la santé, l’écologie, les transports, etc. de demain. Nous avons donc besoin d’une souveraineté numérique au moins à l’échelle européenne sinon nationale et d’une production électronique de A à Z.
Qu’est-ce qui fera que, cette fois-ci, contrairement aux réseaux sociaux, à la 5G, au cloud, etc., nous ne raterons pas le train ?
L’électronique a tout de même été une force de la France il n’y a pas si longtemps, malgré les délocalisations. Nous possédons un vrai savoir-faire de technologies où nous sommes bien positionnés. Et comme nous avons différents types de technologies à développer pour assurer notre souveraineté, il y a différents sites en France pour les développer.
L’action de votre ministère est transversale, mais il y a peut-être quelques domaines de France 2030 qui vous échappent, comme celui de la production de contenus culturels et créatifs ?
Même pas. Nous sommes tutelle de plusieurs musées comme Le Louvre au même titre que le ministère de la Culture mais nous sommes aussi présents, par exemple, dans le design où nous finançons des écoles, des laboratoires et des éléments du patrimoine.
Faire émerger des réacteurs nucléaires de petites tailles avec une meilleure gestion des déchets nucléaires, où en sommes-nous ?
Dans le secteur du nucléaire, nous nous trouvons avec un vrai savoir-faire français industriel et de R&D, et ce depuis longtemps. Des acteurs comme le CEA (Commissariat à l’énergie atomique) sont reconnus sur le plan mondial. Nous approfondissons les volets recherche et industriel, sans oublier la formation aux métiers du nucléaire, dotée de deux milliards d’euros.
Devenir le leader de l’énergie verte, est-ce à notre portée ?
Nous sommes très bien placés en ce qui concerne le développement de cette énergie avec un plan doté de neuf milliards. Dans le domaine de la recherche, cet hydrogène vert se divise en la production par électrolyse de l’eau où nous sommes en pointe avec de nombreux laboratoires académiques qui travaillent sur la catalyse, l’électrolyse et de nouveaux processus de production d’hydrogène propre. Derrière cela, il y a toutes les applications pour utiliser l’hydrogène comme énergie pour les piles à combustibles avec notamment les problématiques de stockage et de transport. Nous avons donc un programme de recherche sur l’hydrogène décarboné de 80 millions d’euros qui a abouti à des avancées scientifiques dans le recyclage et l’écoconception, qui, je le rappelle, consiste à prévoir les impacts sur l’environnement de cette production et du stockage d’hydrogène vert.
Quel est le plan pour décarboner l’industrie ?
Notre rôle est de participer à l’essor de l’industrie 2.0. Nous travaillons sur les batteries du futur, sur les automobiles électriques, sur les matériaux propres et recyclables et cela a un impact sur les orientations de la décarbonation de l’industrie, sur les transports, avec l’hydrogène pour les avions et les trains ou le solaire.
Produire deux millions de véhicules électriques : quelle est la responsabilité du ministère de la recherche ?
Les véhicules électriques sont liés au point de vue de l’électronique avec les matériaux, les batteries qui sont tout autant de champs de recherche. Nous avons un enjeu sur cet objectif avec au-delà la décarbonation, le respect de l’environnement.
Produire le premier avion bas-carbone, c’est toujours d’actualité ?
Chez Airbus des pistes industrielles se matérialisent grâce en partie à des nouvelles technologies qui sont développées dans des laboratoires de recherche avec des transferts de connaissances vers des sociétés comme notre constructeur aéronautique.
Une alimentation saine, durable et traçable, comment faire ?
Nous travaillons avec le ministère de l’Agriculture, avec le concours de l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) qui est commune aux deux ministères, de même que les écoles d’agro-alimentaires qui sont sous cotutelles entre les deux ministères. C’est une orientation très forte pour de nombreux établissements, de nombreux organismes.
Produire une vingtaine de biomédicaments contre les cancers ou les maladies liées à l’âge, comment y parvenir ?
Nous avons déjà accompli de nombreuses avancées notamment dans le passage à l‘échelle que l’on souhaite faire. Les Instituts hospitaliers universitaires (IHU) ont un potentiel de recherche certain. On relance une nouvelle vague d’IHU. Tout en nous appuyant sur ce qui existe déjà comme le plan Innovation santé lancé par le président de la République en juin 2021. Nous allons créer des bioclusters avec des laboratoires, des hôpitaux, des start-ups et des grands groupes industriels, accompagnés par les Projets d’industrialisation sur les territoires européens commun (PIEC) qui correspondent à la mise au marché de médicaments.
La nouvelle aventure spatiale se fera-t-elle avec la France ?
C’est une nouvelle aventure en termes d’échelle. Nous travaillons au niveau européen dans un contexte géopolitique instable à la fois sur les lanceurs réutilisables, les constellations de satellites, les vols habités avec le retour sur la lune pour aller chercher Mars ensuite, et l’observation de la Terre. C’est aussi une nouvelle aventure avec des choix technologiques et des choix pour mieux comprendre et mieux agir sur tous les enjeux liés au climat et à la biodiversité.
Les fonds marins sont aussi prioritaires, c’est pour avoir la tête dans les étoiles et les pieds dans l’eau ?
Nous voulons développer toutes les technologies innovantes qui concernent ces fonds marins avec notamment un budget de 300 millions d’euros pour les capteurs, les composants et les matériaux qui permettent de se rendre à ces profondeurs, d’explorer et de mener des projets de recherche. Avec également une grosse partie qui concerne les logiciels et les services de traitements des données puisqu’aujourd’hui, et c’est vrai dans toutes les thématiques du plan France 2030, rien ne se fait sans eux.
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