Trois études récentes confirment l’explosion du freelancing. Tous les secteurs d’activité et toutes les régions françaises sont concernés. Pour les DRH, il s’agit désormais d’intégrer cette nouvelle donne et de ne pas se priver d’une population à la fois motivée, bien formée et adaptable. Un dossier en deux volets : des chiffres pour commencer, suivis d’une analyse prospective.
1. Du côté des chiffres : trois études concordantes
On la décrit comme une « révolution », un « phénomène durable » ou encore « une dynamique entrepreneuriale » : de plus en plus d’actifs choisissent d’exercer en tant que freelances.
A quelle vitesse cette vague grossit-elle ? Concerne-t-elle tous les secteurs ? Comment réagir lorsqu’on est DRH : peut-on imaginer que demain, l’entreprise n’accordera plus d’importance au contrat qui la lie à ses collaborateurs ? Que toutes les équipes seront hybrides ?
Si le talent d’une entreprise est de réussir des alliages, si seule la qualité de l’assemblage fait la différence, alors le rôle du DRH en tant qu’assemblier peut être clef.
Une courbe qui ne laisse pas de doute
Trois études parues entre septembre 2021 et février 2022 s’avèrent très complémentaires.
La première est de nature statistique. Parue en janvier dernier et intitulée « Le freelancing en France, dans les métiers de prestations intellectuelles aux entreprises », elle est éditée par freelance.com et présente le grand intérêt d’être fondée sur l’ensemble des bases de données disponibles de l’Insee, de l’Urssaf et de la Dares*.
Ce « travail titanesque » nous apprend que la vague en question tient plutôt de la lame de fond : « il devrait y avoir en France en 2030 plus de 1,5 million de freelances : c’est 57,7% de plus qu’en 2019. »
Un bond de presque +60% en une grosse décennie. Mieux, le phénomène concerne toute la population : tous les freelances ne sont pas jeunes, parisiens et graphistes !
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(*) Étude statistique réalisée par Datastorm, Groupe ENSAI-ENSAE, sous la direction scientifique de Stéphane Auray, Professeur des Universités en Économie.
Mettre un visage sur des chiffres
Ce ne sont pas seulement la Tech et les métiers créatifs qui attirent les freelances. Le premier secteur concerné, avec 27%, est la finance, la gestion et les achats.
Les freelances sont un peu plus âgés que les salariés : 45 ans en moyenne, contre 40. « Le freelancing est aussi un choix de deuxième vie professionnelle, un projet entrepreneurial rendu possible parce que l’on a accumulé de l’expertise et du réseau. »
Enfin, le freelancing est genré : dans 2 cas sur 3, ce sont des hommes.
Autre étude, publiée par Malt et le BCG en début d’année : « Freelancing in Europe », avec un zoom sur la France, l’Espagne et l’Allemagne. Les auteurs ont sondé les freelances inscrits sur leur plateforme et passent en revue l’ensemble de leurs conditions de travail. On y lit que 91% d’entre eux sont devenus freelances par choix. Et qu’il s’agit des « maîtres incontestés de la formation continue » : « nos chiffres montrent que les freelances passent en moyenne 4h par semaine à développer leurs compétences pour conserver un niveau d’excellence dans leur métier. Un vrai atout pour les entreprises qui cherchent à externaliser, d’autant plus que les compétences digitales deviennent partiellement obsolètes au bout de cinq ans (passé ce délai, elles perdent 50% de leur valeur). »
Malt souligne qu’intégrer des freelances aux équipes en place est une pratique courante, « qui ne manquera pas de se généraliser davantage dans un futur proche. La plupart des freelances (68%) ont déjà l’habitude de collaborer au sein d’équipes composées d’autres freelances. »
[bctt tweet= »« Les freelances sont des collaborateurs comme les autres. Bientôt, on comprendra que le statut n’a aucune importance. C’est l’individu qui compte, pas son contrat. » » username= »Alliancy_lemag »]Hybridation massive
Troisième étude, celle de Cooptalis – parue en septembre dernier. Elle relève que 57% des entreprises françaises embauchent déjà des freelances pour faire face à la pénurie de talents.
« Nous avons mené une enquête du 1er juillet au 10 septembre dernier auprès de plus de 500 DRH, CEO et C-level au sein des entreprises françaises. Il en ressort notamment que 44 % des entreprises interrogées ont augmenté le nombre de leurs freelances en 2021, pour des contrats qui durent plusieurs mois (43%). 58% des des entreprises recourant au freelancing ont aussi eu des cas de salariés demandant à passer freelance. »
Alors, demain, tous freelances ?
2. Analyse : un œil sur le futur
Alliancy. Vous indiquez que 30% des cadres du privé sont intéressés par l’idée de devenir travailleurs indépendants. Près d’un sur deux estime aussi qu’un mi-temps (50% freelance, 50% salarié) serait un bon compromis. Alors, le futur du travail, c’est le freelancing ?
Claude Tempé. En Europe, aux Etats-Unis en partout ailleurs dans le monde, le rapport au travail évolue de la même façon. C’est plus rapide outre-Atlantique, mais le mouvement de balancier est exactement le même. Les actifs s’interrogent sur le sens de leur job, sur leurs conditions de vie, sur leur amplitude de travail, sur le management… Ces questions convergent toutes vers la même réponse : le statut de freelance.
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A l’exception notable de ceux pour lesquels ce n’est pas un choix et qui sont devenus freelances par obligation (il faut distinguer le travailleur indépendant, très courtisé, qui croule sous les demandes, du freelance qui n’a pas choisi son statut et subit de plein fouet tous les aléas du marché), le freelance est plus libre.
Ce changement de statut permet de modifier en profondeur la structure du travail, sans avoir à tout révolutionner. Les entreprises y trouvent leur intérêt également.
En réalité, tout cela n’est que le prolongement d’un cycle qui nous conduit à sortir progressivement du salariat. On a vu émerger d’abord les sociétés de service, en ingénierie informatique notamment (années 80). Ensuite il y a eu le boom de l’intérim. Et maintenant le freelancing, qui n’est qu’une nouvelle forme d’emploi. J’aurais pu également citer les différents types de contrats de travail comme le CDD. Ce ne sont que des nouvelles façons de travailler, mais qui ne changent pas le fond, la compétence des ressources dont l’entreprise a besoin et cela doit être indépendant du contrat qui lie l’entreprise à ses ressources. Pour ma part, je crois que les entreprises devraient dès maintenant considérer les freelances comme des collaborateurs « comme les autres ». Bientôt, on comprendra que le statut n’a aucune importance. C’est l’individu qui compte, pas son contrat.
Est-il encore possible de construire un destin collectif pour l’entreprise, si elle compte de plus en plus de freelances ?
Claude Tempé. Je le crois. Des freelances heureux, bien considérés par leurs clients, bien intégrés aux salariés traditionnels, peuvent parfaitement se montrer fidèles. Ils apportent de la valeur et ils jouent « collectif », en mettant leur énergie et leur expertise au service d’un projet commun.
Je dirais même que nous n’en sommes plus là : aujourd’hui, beaucoup de postes, que ce soit dans l’IT, le marketing, la communication, les fonctions supports ou même de direction ou de management dans les entreprises, et ce quel que soit le secteur, peuvent être occupés par des talents externes.
Enfin, les freelances vont largement construire la réputation de l’entreprise et façonner son image de marque, car ils ont un rôle de tiers, une certaine neutralité et un réseau important – une audience. Ce sont des ambassadeurs.
Quels conseils donneriez-vous aux DRH français ?
Claude Tempé. En premier lieu bien sûr, de s’intéresser à leur population de freelances. J’en connais beaucoup, aujourd’hui encore, qui non seulement ne s’y intéressent pas, mais ne savent ni les quantifier ni les qualifier : ils considèrent que les freelances ne font pas partie de leur périmètre, tout simplement.
J’estime à l’inverse que le DRH est là pour fonder les meilleures équipes, en utilisant tous les types de contrats existants, comme autant de leviers à sa disposition.
Pourquoi se passer de 10 à 15% de la population active française, surtout en pleine guerre des talents ?
Claude Tempé. Il faut que l’ensemble des collaborateurs se sentent bien, sans distinction de traitement. En conséquence, invitez les freelances aux évènements d’entreprise (y compris les séminaires et team buildings), intégrez-les dans votre écosystème, donnez-leur accès aux outils collaboratifs et aux ressources le plus largement possible.
En termes de recrutement, même chose : le DRH dresse la short list lorsqu’il s’agit d’un salarié et laisse les métiers choisir le meilleur candidat ? Il doit en aller de même pour les freelances. Prenez ce rôle. Rapprochez-vous des Achats, par qui passent toutes les prestations externes. Ce sera l’occasion d’avoir un aperçu solide des compétences que votre entreprise externalise.
Et posez sur la table ce qui reste une source de fantasmes : non, le freelance n’empoche pas 600, 800 ou 1 000 euros par jour, qui vont directement dans sa poche et que l’on multiplie par 30 ! Doubler son salaire en devenant freelance, c’est un mirage. Les raisons de chacun méritent d’être débattues, sans esquiver le sujet tabou de la rémunération.
Cinq idées pour améliorer la relation avec vos freelances
Interrogés par l’Open Talents Lab’, les freelances ont émis cinq propositions très concrètes qui permettraient de resserrer les liens avec leurs clients – les grands comptes notamment :
- Une section sur le site web dédiée aux freelances avec des offres de mission et la présentation des conditions d’accueil (69%)
- Des conditions de paiement spécifiques & des options d’avance de paiement (53%)
- Des formations sur les compétences les plus recherchées par l’entreprise (47%)
- Une direction ou un département dédié à l’accueil et à la gestion des indépendants (44%)
- Une journées « portes ouvertes » pour présenter les projets de l’entreprise aux indépendants (35%)
Source : livre blanc « Le pouvoir des freelances au service des grandes organisations »