L’agence de voyage (ex-Captain Train) spécialiste de la vente en ligne de billets de train et de bus en Europe, est récemment revenue sur ses réussites et difficultés en matière de parité. Une transparence bienvenue qui mérite de se généraliser chez les entreprises « tech », quelle que soit leur taille.
Le problème exécrable de parité dans le monde de la tech, et en particulier de la tech française, met les entreprises sous pression. Au-delà des résultats encourageants au sein du CAC40, les chiffres sont en effets sans appel pour les acteurs qui centrent leur activité sur le numérique : peut mieux faire. Beaucoup mieux faire, même ! Ainsi, les femmes ne représentent que 30% des effectifs dans le numérique, et seulement 15% s’occupent de fonctions techniques, comme le rappelle la chercheuse et informaticienne Isabelle Collet.
De plus en plus cependant, les entreprises ont arrêté de faire la sourde oreille. Trainline, qui propose une plateforme européenne de vente en ligne de billets de train et de bus, recense 34% de ses effectifs au féminin, contre 30% il y a 2 ans. Une note positive, mais qui n’empêche pas l’entreprise d’avoir le score très juste de 76/100 sur l’index obligatoire de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. « Il faut reconnaitre, on est ric-rac. 76 sur 100, ça ne suffit pas ! Pourtant, nous obtenons le score maximum sur plusieurs sujets, et notamment l’égalité salariale, avec une différence de moins de 1% entre les femmes et les hommes à postes égaux » réagit Carl Anderson, directeur général de l’entreprise. Le score s’explique par la sous-représentation globale – à tous les niveaux de responsabilités – des femmes dans le secteur : même en faisant mieux que la moyenne, Trainline, et ses 600 employés dont 50% de techniciens du numérique, se retrouvent épinglés par rapport à d’autres secteurs beaucoup plus féminisés (l’index proposant une grille globale pour tous).
A lire aussi : Changer la place des femmes dans le numérique : 14 propositions au féminin
Les collaborateurs formés sur leurs « biais inconscients »
Cela n’empêche pas l’entreprise de militer sur le sujet. Depuis 2014, sa CEO est une femme, la britannique Clare Gilmartin – ce qui est encore trop rare pour une entreprise tech cotée (au London Stock Exchange). Et en France, l’entreprise est dirigée par Audrey Détrie, directrice générale adjointe. Celle-ci souligne l’importance stratégique du combat : « Quand on est une entreprise tech en forte croissance, on a absolument besoin de la diversité à la fois pour être plus créatif et innovant et pour mieux comprendre ses clients internationaux. Les entreprises technologiques façonnent le monde d’aujourd’hui, il est essentiel que chacun puisse y participer ».
Volontaire, l’entreprise a donc décidé de parler abondamment du sujet, mais également d’agir à plusieurs niveaux pour ne pas faire de son identité d’entreprise tech une fatalité. D’abord en matière de recrutement. « Nous avons systématisé une formation interne pour attirer l’attention de tous nos salariés et managers sur les biais inconscients que nous avons tous. Cela commence par prendre le réflexe de féminiser les noms de postes. De plus, je suis le seul homme sur les quatre personnes du comité de recrutement et nous nous faisons fort de regarder les compétences et pas le CV d’une personne. Cela passe par des tests, que la candidate ou le candidat peut faire à distance, tranquillement depuis sa maison, pour qu’il n’y ait pas de stress de l’environnement de recrutement » détaille Carl Anderson.
Des partenariats pour faciliter le recrutement
Mais le directeur général reconnait que pour recruter plus de femmes, il faut déjà qu’il y ait plus de candidates. C’est pourquoi Trainline a annoncé un partenariat avec Ada Tech School, une jeune pousse française, « école féministe » pour développeurs et développeuses. « Nous nous sommes lancés en octobre 2019 et pour notre première promotion, nous avons réussi à inverser les ratios habituels du secteur, avec 70% de candidatures de femmes. De manière générale, en annonçant ainsi nos valeurs, nous avons obtenu une bien plus grande diversité d’origine chez les hommes également » fait valoir Chloé Hermary, la dirigeante d’Ada Tech School.
De l’autre côté de la manche, Trainline annonce avoir pu participer à une initiative de Code First : Girls pour former 20 000 développeuses sur l’année 2020. Pourquoi ne retrouve-t-on pas de tels chiffres ou une telle ambition pour l’Hexagone ? « Nous aurions bien aimé, mais nous n’avons trouvé aucun partenaires qui portent un tel projet » se désole Carl Anderson.
Des pratiques concrètes pour une culture égalitaire et bienveillante
Au-delà du recrutement, l’enjeu est celui de la fidélisation des talents féminins. Entre 2013 et 2018, contrairement à ses voisins européens, la France a perdu des effectifs féminins dans le numérique, d’après les chiffres d’Eurostat analysés lors des dernières enquêtes Gender Scan : ce qui signifie que certaines d’entre elles, après avoir été formées et être entrées dans ce monde professionnel, l’ont ensuite quitté ! « La culture de l’entreprise est un sujet fondamental. Les biais n’ont pas lieu que durant un recrutement. Les femmes les subissent tout le temps » souligne Audrey Détrie, en mettant également en avant qu’à trop vouloir bien faire, certains managers créent d’autres inégalités sans même sans rendre compte (par exemple en ne proposant des réunions à 18h qu’aux hommes et pas aux femmes, même si ceux-ci sont également parents). « Au quotidien, la clé c’est souvent la flexibilité, notamment avec le télétravail, et le fait d’éviter au maximum les effets hiérarchiques, afin que tout le monde soit à l’aise pour prendre la parole. L’important, c’est la bienveillance générale ».
D’autres éléments participent à cette culture égalitaire, en particulier les pratiques qui ont permis à Trainline d’obtenir la note maximum en matière d’égalité salariale sur l’index de l’égalité professionnelle. La justesse des niveaux de salaires est ainsi vérifiée deux fois par ans au niveau des équipes, mais également de façon transverse entre les différents métiers. « Nous observons très régulièrement les conditions du marché pour chaque profil. L’idée est d’avoir des indicateurs objectifs d’évolution salariale : nous n’attendons pas que les gens demandent une augmentation (alors que les femmes ont tendance statistiquement à être moins proactive que les hommes en la matière, ndlr) ou de laisser le sujet à la discrétion d’un manager » affirme Audrey Détrie. Et d’après les dirigeants de Trainline, faire que le sujet de l’argent ne devienne pas un problème conflictuel, cela permet de concentrer tout le monde sur les valeurs de l’entreprise et un sens partagé de ses actions. Ce qui permet d’entrer dans un cercle vertueux en matière d’inclusion et de fidélisation.