Dans le cadre de sa nouvelle feuille de route la Commission Femmes du numérique de Numeum a décidé d’accélérer son action de féminisation des métiers du numérique en lançant un programme de reconversion dans la tech pour les femmes. Rencontre avec Maÿlis Staub, présidente de la Commission.
Face à la croissance des besoins en recrutement dans le secteur du numérique et à l’inégalité persistante entre les genres dans ces métiers, la Commission Femmes du numérique de Numeum s’est penchée sur la question. Dans le cadre de sa nouvelle feuille de route, elle a décidé d’accélérer son action de féminisation des métiers du numérique en lançant un programme de reconversion dans la tech pour les femmes. Le syndicat professionnel a déjà publié en 2021 avec Social Builder un Livre blanc sur ce sujet. Rencontre avec Maÿlis Staub, présidente de la Commission
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Alliancy. Pourquoi ce programme ?
Maÿlis Staub. Plusieurs facteurs expliquent notre volonté d’accélérer. Les recrutements dans les métiers du numérique sont en extrême tension avec un grand nombre de postes non pourvus. Le rapport de l’Institut Montaigne « Mobiliser et former les talents du numérique », publié en mai dernier, souligne que ces métiers vont doubler d’ici 2030, nécessitant entre 30 000 et 55 000 recrutements supplémentaires.
Deuxième facteur, ces métiers n’attirent pas forcément les femmes, une tendance très occidentale, qu’on ne rencontre pas dans d’autres pays comme le Mexique et l’Inde, ou encore en Europe de l’Est, où les jeunes filles et les jeunes femmes s’orientent très naturellement vers des études dans le numérique.
Un autre facteur, qui motive ce programme, est le vivier caché de femmes, notamment celles en quête d’une reconversion. D’après l’étude « Garance & Moi. Femmes au travail : la grande reconversion », menée en 2022 par l’IFOP, quelque 57% des 14 millions de femmes actives en France actuellement, rêvent d’une reconversion professionnelle, que ce soit sous la forme d’un changement de métier, de secteur, ou de statut professionnel.
Cependant, ces femmes ne sont pas naturellement désintéressées par ces métiers. Bien souvent, elles ne pensent pas à s’orienter vers eux ou s’auto-censurent, en grande partie à cause du système et de ses stéréotypes dominants qui peignent le secteur du numérique comme un monde essentiellement masculin.
Par ailleurs, selon une étude de Mc Kinsey de novembre 2018, intitulée, « Women and the Future of Work : A Window of Opportunity in Western Europe », une pleine intégration des femmes dans la population active pourrait représenter une hausse de 2 100 milliards de dollars du PIB annuel en Europe occidentale dont 333 milliards de dollars pour la France. Forte de ces divers facteurs, la commission Femmes du numérique souhaite s’emparer du sujet pour servir ses adhérents mais également l’écosystème de manière plus générale.
D’où viennent ces stéréotypes dans les pays d’Europe de l’Ouest et comment les effacer ?
En France et en Europe de l’Ouest, de nombreux biais culturels perdurent : parents, professeurs et conseillers d’orientation considèrent souvent ces métiers comme réservés aux garçons. Changer ces biais culturels et modifier la donne prend des années. Bien que de nombreuses initiatives aient été lancées depuis longtemps pour rendre ces métiers plus attractifs pour les jeunes filles et les jeunes femmes notamment, elles n’ont pas encore eu l’effet escompté, même si on commence à voir une légère tendance à la hausse.
Au-delà des initiatives qui encouragent les femmes à rejoindre le secteur du numérique, il est essentiel de remettre en question les structures profondément ancrées qui perpétuent ces stéréotypes. Cela signifie, par exemple, revoir les cultures d’entreprise et les processus de recrutement. En modifiant le « système », nous pouvons créer un environnement où la technologie est perçue comme un domaine aussi bien pour les femmes que pour les hommes, où la diversité est la norme et non l’exception. Pour que le changement soit durable, il faut une transformation profonde et systémique, et non pas seulement des efforts ponctuels. C’est pourquoi Numeum veut intervenir pour accélérer le processus.
Comment comptez-vous procéder ?
Nous allons travailler avec les recruteurs de notre écosystème, pour les inciter à embaucher des femmes en reconversion. Nous sommes convaincus, et l’Institut Montaigne le confirme, que si nos entreprises communiquent davantage et communiquent mieux sur leur volonté de recruter ces femmes, cela aura un effet positif sur ce public féminin. La première étape va être un travail d’évangélisation auprès de notre cible de recruteurs d’ici fin 2023. Nous allons leur expliquer pourquoi il est intéressant de recruter des femmes en reconversion. Ensuite, nous aborderons la phase « comment Numeum va vous aider à les recruter » avec un concept d’accompagnement qui sera défini précisément l’année prochaine. Cette évangélisation va durer quelques mois tandis qu’en parallèle, nous travaillerons sur une déclinaison focalisée sur les femmes du dispositif Numéric’Emploi. Il est expérimenté depuis sept ans par Numeum dans le Grand Est et va se déployer en Occitanie, puis en Normandie, dans les Pyrénées et en Méditerranée.
Quels freins rencontre-t-on chez les recruteurs ?
Les entreprises mettent des freins à plusieurs niveaux. L’un d’entre eux, que nous souhaitons lever, est lié au diplôme : les recruteurs ont besoin de se rassurer en exigeant des diplômes d’ingénieur. Il est crucial de comprendre qu’en France, beaucoup d’entreprises restent encore réticentes à recruter des personnes en reconversion, malgré la valeur ajoutée manifeste qu’elles peuvent apporter. C’est un challenge culturel que nous souhaitons relever. Les États-Unis et le Canada, leaders en deeptech, valorisent la flexibilité dans le recrutement, stimulant ainsi l’innovation au sein de leurs écosystèmes technologiques.
Nous voulons donc et nous pouvons dépasser cette barrière en montrant à nos entreprises que le marché français regorge de femmes en reconversion, issues de tous les métiers, et que la reconversion concerne tout le monde. Il est essentiel de pointer du doigt qu’en France, le poids des diplômes, en particulier dans le domaine du numérique, peut parfois occulter le potentiel réel des candidats. Ce focus excessif sur les qualifications académiques limite la diversité des talents et des perspectives dans le secteur.
A titre d’exemple, la responsable des ressources humaines d’une legaltech m’a un jour confié être perplexe sur le CV d’une coiffeuse en reconversion mais elle l’a finalement recrutée ainsi que plusieurs autres personnes en reconversion. Désormais, lorsqu’elle doit choisir entre deux profils en short list, l’un avec un parcours « classique » et l’autre en reconversion, elle opte pour le second. Pour elle, c’est un gage d’investissement à long terme, ces personnes faisant preuve d’un très bon état d’esprit et ne cherchant pas particulièrement à changer souvent de poste et d’entreprise. Je l’ai personnellement vécu dans les sociétés que j’ai co-fondées : elles sont très impliquées, loyales, reconnaissantes et curieuses, et ont eu le courage de sortir de leur zone de confort pour se diriger vers un nouvel univers. Comme elles savent qu’elles ont besoin de progresser, elles n’hésitent pas à s’autoformer, à travailler avec des collègues en mode collaboratif. Au final, ce sont des collaborateurs qui apportent une grande richesse aux entreprises mais celles-ci sont encore trop peu nombreuses à franchir le pas de les embaucher. Recruter des personnes en reconversion, femmes ou des hommes, témoigne également de l’inclusivité et des valeurs de l’entreprise. Donc, plus les entreprises feront cette démarche, plus elles attireront des talents.