04En annonçant la fin des audits de conformité de ses licences logicielles, Adobe marque l’évolution des modes de consommation des produits numériques. Ainsi, le cloud semble avoir fait ses preuves chez l’éditeur, qui confirme sa stratégie de réorientation vers le nuage, entamée depuis plusieurs années. Au-delà des raisons de ce choix, ce sont ses conséquences qui sont au centre des préoccupations des acteurs du monde logiciel.
Pourquoi ce choix de la part d’Adobe ?
Adobe a tiré un trait sur ses anciennes pratiques d’audit de licence. L’éditeur, qui a accompli sa transition vers le cloud, met un terme à ses activités liées aux audits de licence de ses logiciels. Pourquoi une telle évolution dans son business model ? Car ce choix paraît lourd de sens pour une entreprise qui a dû faire face à un problème significatif de piratage de ses logiciels. En allant vers le cloud, il s’agit d’endiguer cette tendance, via notamment un contrôle automatique et à distance, et surtout le passage à un modèle évoluant de la vente classique de licence à un modèle sur abonnement. Ce dernier permet à l’éditeur de vérifier la validité des licences utilisateurs, qui ont l’obligation de se connecter aux serveurs de manière régulière pour vérification. La méthode étant automatisée, les coûts sont donc réduits avec la fin des coûteuses procédures d’audit en entreprise.
Finalement, ce choix stratégique reçoit déjà un accueil très positif de la part du grand public : armé d’une brillante communication, l’éditeur montre qu’il fait preuve d’innovation. Si certains clients ont pu s’interroger sur cette migration forcée d’un modèle de licencing vers une formule d’abonnement, l’éditeur se positionne au demeurant avec pertinence vis-à-vis de la concurrence, notamment open source. En entreprise, les responsables financiers et IT se réjouissent : les audits classiques sont en effet vécus comme intrusifs, là où les contrôles automatisés sont ressentis avec davantage de transparence et de légitimité. La démarche et la communication associée sont donc brillantes en France, la communauté d’utilisateurs s’affichant dans sa globalité d’ores et déjà ravie par cette nouvelle. On peut aussi remarquer qu’une telle communication n’aurait pas eu le même impact dans les pays du nord de l’Europe où les freins à l’audit n’ont pas la même importance que chez nous.
Des audits qui restent pertinents pour les éditeurs
Pour autant, cela ne signifie pas que les audits soient devenus moins pertinents pour les éditeurs. Leur fondement légal est inscrit dans le droit de la propriété intellectuelle, qui s’applique partout et dans tous les pays. A ce titre, il semble normal que les éditeurs l’appliquent à la création qu’ils ont eux-mêmes produite. Force est cependant de constater que le département en charge de la conformité chez les éditeurs nécessite la mise en place d’une infrastructure dédiée de taille significative, laquelle génère certes des revenus importants mais implique également des coûts d’exploitation très élevés. Les revenus attendus des audits sont même en augmentation notable par rapport à l’an dernier (plus 30 % par exemple chez Microsoft).
Le système de vérification est très progressif en fonction des éditeurs. Le terme “audit” ne désigne pas forcément la même réalité pour tout le monde : il n’est pas vraiment considéré comme tel par les éditeurs, qui font la différence entre les demandes d’auto-déclaration et les procédures d’audit lourdes réalisées par des cabinets dans un contexte beaucoup plus contraignant. Ainsi, les éditeurs n’hésitent pas à communiquer auprès de leurs collaborateurs et de leurs utilisateurs, sur le fait que l’audit, dans son ensemble, est une pratique a priori à la baisse : les premiers niveaux de contrôle (de type déclaratif) peuvent être en augmentation, tandis que le nombre d’audits pouvant avoir des conséquences pénales décline. On constate également que les produits ciblés par les audits varient énormément en fonction des objectifs commerciaux des éditeurs et par leurs positions concurrentielles.
Quels seront les prochains ?
A une époque de véritable transformation digitale, on peut se demander qui va suivre le modèle qu’est en train d’imposer Adobe. Les logiciels orientés utilisateurs sont les premiers à migrer vers le cloud et le digital : les éditeurs peuvent ainsi jouer sur les modèles de licencing et organiser des types de contrôle différents selon les abonnements retenus, et ce selon des métriques totalement différentes entre le “on premise” et le cloud.
Difficile de savoir qui sera le prochain : peu d’éditeurs évoquent ce sujet, qui reste tabou car révélateur d’une stratégie qu’ils préfèrent garder secrète pour le moment. D’autant que les audits génèrent des revenus que la plupart ne sont pas encore prêts à abandonner. Un œil averti saura cependant regarder de près les modèles de licencing en cours des éditeurs pour deviner leurs potentielles évolutions, en observant ceux qui proposent déjà peu ou prou le même modèle d’abonnement qu’Adobe.
Une évolution nécessaire des services
Pour l’instant, rien ne confirme donc une tendance à la diminution des audits dans le sillage d’Adobe. Le monde des revendeurs est cependant déjà en pleine transformation. Les entreprises qui ne disposent pas d’une offre reconnue et d’une expérience avérée en matière de conseils en gestion de licences ont peu de chances de perdurer. Cette valeur ajoutée est un critère de choix indispensable pour être retenu comme partenaire revendeur. Au sein des services de “licence consulting”, la gestion des audits n’est qu’un des aspects parmi d’autres de l’optimisation des contrats et des coûts de licences, mais il reste différenciant et primordial.
Si la transformation digitale autorise des économies importantes, elle comporte également son lot de risques en termes de pertes financières. Les entreprises doivent conserver une vision globale : les économies les plus importantes réalisées par les démarches d’optimisation (SAM – Sotware Asset Management, LCS – Licensing Consulting Services), comprennent l’appropriation des besoins futurs sur la base d’une renégociation des contrats, et une étude chiffrée de scénarios appuyées par l’exploitation de projets Big Data. L’ensemble de ces études d’optimisation permet donc de dégager des économies beaucoup plus importantes que la simple mise en conformité traditionnelle.
La gestion des licences (“Software Licence Management” ou SAM) doit donc évoluer pour aller bien au-delà de la simple réconciliation. Elle doit tenir compte de l’ensemble des coûts liés aux licences, pendant toute leurs durées d’utilisation, tout en incluant des éléments primordiaux comme la gestion de la conformité et la renégociation des contrats. L’objectif : mettre en place un véritable système de gestion anticipée et globale, pour mettre sous contrôle l’ensemble du budget licences.