Denis Mercier, directeur général adjoint du Groupe Fives, revient sur l’organisation interne adoptée pour mener à bien leur transformation digitale et leur façon d’aborder le sujet avec les clients en tant que spécialiste de l’ingénierie industrielle.
>> Cet article est issu de notre guide « Source de la donnée, partage d’informations, empowerment : Les usines face aux nouveaux défis de la digitalisation »
Alliancy. Depuis quand votre groupe s’intéresse-t-il au sujet de l’industrie du futur ?
Denis Mercier. Depuis déjà plusieurs années ! Notre président du directoire, Frédéric Sanchez, est également président de l’Alliance industrie du futur (AIF) et pilote à ce titre la filière « Solutions pour l’industrie du futur ». Ce qui montre à quel point nous voulons rester, comme nous le faisons depuis plus de 200 ans, à la pointe des progrès en ce qui concerne ce sujet. Avec deux grandes priorités pour se moderniser, autant pour nous que nos clients : la décarbonation (production de CO² et consommation d’énergies) et la digitalisation, qui vont souvent de pair.
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Comment le digital est-il pris en charge dans votre groupe ?
Denis Mercier. Il y a quatre ans, lors d’une grande transformation que nous avons menée, nous avons réfléchi à la pertinence de créer un poste de Digital Officer, mais nous ne l’avons pas fait. Nous n’avons pas voulu incarner cette fonction sur une personne, car nous sommes convaincus que le digital impose d’embarquer les gens de terrain dans notre transformation, notamment dans un groupe aussi décentralisé que Fives.
Comment ce choix s’est-il concrétisé ?
Denis Mercier. Nous avons créé un premier « comité numérique », que je copilote en tant que directeur général adjoint du groupe avec le directeur de l’Innovation et du Digital au niveau corporate. On y retrouve les spécialistes internes de l’IT (DSI), de la cyber-sécurité (RSSI), de l’OT (Fives CortX, notre filiale numérique), mais aussi les représentants digitaux de nos grandes divisions métiers.
Tous les deux-trois mois, ce comité se réunit pour analyser toutes les questions liées au numérique, partager les bonnes pratiques et les problèmes, puis proposer des solutions à différents niveaux. Sachant que je reste convaincu que le numérique doit être au service des problématiques de terrain.
Cette vision « terrain » a-t-elle bien fonctionné ?
Denis Mercier. Absolument, mais sur de tels sujets, résoudre les problématiques de terrain nécessite, à un moment donné, de prendre des décisions stratégiques… Il faut alors boucler la vision bottom up par une vision top down. Aussi, pour ce faire, nous avons créé un comité numérique « restreint » avec, cette fois, un seul représentant de nos différentes divisions et l’équipe dirigeante. Son objectif : statuer sur les grandes orientations stratégiques avant de passer en comité de direction générale pour la décision finale.
Auriez-vous un exemple à citer ?
Denis Mercier. Dans notre architecture générale, de quel type de cloud doit-on se doter ? A quel fournisseur faire appel ? Veut-on aller vers les hyperscalers ?… Ce sont des questions stratégiques et l’organisation que nous avons adoptée pour y répondre est la bonne, car elle se veut collective et tient compte des besoins du terrain.
Récemment, nous avons toutefois ajouté à cela un lien fonctionnel, et non hiérarchique, entre notre directeur de l’Innovation et du Digital et les représentants digitaux de nos divisions, pour faciliter les interactions et travailler sur les sujets abordés lors de nos comité numériques. Notre filiale digitale, Fives CortX, qui propose des applications métiers pour les opérations industrielles chez nos clients, vient également de lui être rattachée. Toujours avec cette idée d’un numérique qui part du terrain pour servir les différents métiers du groupe.
Pas question donc d’arriver chez un client avec « vos » solutions numériques ?
Denis Mercier. Absolument pas, car nous vivons chez Fives ce que l’on vit chez nos clients : c’est-à-dire une volonté d’aller vers une transformation numérique, mais avec beaucoup d’incertitudes ou même de craintes. On ne peut donc pas leur proposer des solutions sans expertise métier qui valide les méthodes. Et cela démarre par l’analyse des besoins sur le terrain avant de les traduire en solutions digitales.
C’est pourquoi notre filiale Fives CortX propose des solutions numériques systématiquement en association avec nos divisions, dans les domaines aussi variés que l’acier et le verre, l’aluminium, le ciment, l’énergie, la machine-outil, l’intralogistique ou le nucléaire. Pour ce qui touche à la production industrielle par exemple, Fives CortX travaille en étroite association avec notre business unit Fives Maintenance, pour optimiser notre réponse. Il faut cette expertise pour bien analyser les besoins et proposer les bonnes solutions.
Est-ce dans cette logique que vous avez acquis en février dernier la start-up Dizisoft, éditrice d’une suite logicielle pour aider les industriels à maîtriser et comprendre leurs procédés ?
Denis Mercier. Par cette acquisition (aujourd’hui intégrée à Fives CortX) et en partant dorénavant des données machines que nous collectons chez les clients (diagnostic), nous sommes capables d’anticiper leurs problèmes de maintenance, de réduire jusqu’à 20 ou 30 % leur consommation d’énergie, d’améliorer la qualité de leur produit et d’accroître leur productivité.
Il faut arriver chez nos clients avec des solutions simples pour permettre de comprendre ce qui se passe sur leur process, construire la confiance avec les opérateurs de terrain, déterminer le retour sur investissement, pour ensuite leur permettre d’aller plus loin et déployer d’autres outils industriels à base d’intelligence artificielle.
Comment gérez-vous la question de la cybersécurité qui se pose chez vos clients ?
Denis Mercier. C’est un sujet majeur dans l’industrie, autant pour l’IT que l’IoT. C’est la raison pour laquelle nous devons être irréprochables chez Fives pour sécuriser, au niveau hardware et software, les flux et les données dès la conception de nos solutions. Avec la solution Wallix Inside que nous avons intégrée, nous assurons un niveau de sécurité renforcé entre les machines connectées et notre Gateway IoT. Notre boîtier de connexion garantit ainsi la collecte, l’exploitation et le partage des données des machines, en toute sécurité. Quant à la solution IoT de Fives CortX, cette solution propriétaire permet de connecter tout type d’environnement de production « on edge », « on premise » ou en mode SaaS.
Comment formez-vous vos experts métiers à l’usage de la data comme à la transformation numérique ?
Denis Mercier. Dans toutes nos divisions, nous comptons des experts métiers, souvent ingénieurs, que nous allons former, au sein d’un nouveau programme, au numérique avec l’appui de l’Ecole des Mines de Saint-Etienne, pour qu’ils puissent mieux collaborer avec les data scientists de notre filiale Fives CortX. Il leur faut un langage commun, un guide des bonnes pratiques… Tout ceci a été discuté en comité numérique par exemple.
Par ailleurs, comment travaillez-vous avec les start-up ?
Denis Mercier. Nous avons des partenariats, mais nous faisons aussi des acquisitions. Ce fut le cas pour Dizisoft et nous annoncerons à la rentrée un autre rachat dans le domaine de la simulation industrielle. En général, nous regardons des sociétés aux savoir-faire complémentaires aux nôtres… Nous nous organisons aujourd’hui pour vendre du logiciel, mais ce n’était pas le cœur de notre métier. Comme de faire de l’audit ou de l’accompagnement à la transformation numérique d’une organisation. Sur ce sujet, du fait d’un numérique de plus en plus systémique dans les organisations, on cherche aussi des partenaires pour conseiller nos clients dans leur transformation. On veut s’associer avec des cabinets-conseils spécialisés pour mieux comprendre les business modèles qui vont avec les solutions numériques, aujourd’hui différents de ce que l’on a connu…
Où en est la maturité de vos clients sur tous ces sujets ?
Denis Mercier. Très disparate et, encore, relativement faible, pas par la compréhension, mais sur le fait qu’il s’agit d’une vraie transformation des organisations que l’on n’arrive pas toujours à mesurer. Les entreprises veulent y aller, mais c’est difficile car il y a beaucoup de résistance interne et il faut faire du Change Management. Mais on voit clairement une grande évolution, notamment sur l’intelligence artificielle. Les outils structurants ont un coût qu’il s’agisse de cloud ou d’ERP… et il faut faire attention à qui on s’allie car on n’en change pas si facilement. La cyber-sécurité et la souveraineté des solutions sont aussi des questions importantes à se poser.