Florian Douetteau (Dataiku), discret poète de la donnée

A 35 ans, Florian Douetteau est à la tête de Dataiku, une start-up qui édite une suite logicielle d’analyse de données. Derrière un caractère humble et discret se cache un ingénieur entrepreneur avec une vision métier du big data.

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Florian Douetteau cofondateur de Dataiku. © Charlie Perreau

Pour saluer, Florian Douetteau incline son buste en avant, à la japonaise. On fait tout de suite le lien avec le nom de sa start-up, Dataiku. Ce mot-valise, qui allie « data », les données, et « haïku », ces poèmes courts japonais, pourrait aussi être un oxymore, tellement les deux termes sont opposés. D’un côté, des projets data synonymes de fastidieux et long. De l’autre, un procédé très structuré et simple. Ce mélange inattendu a fait naître le Data Science Studio (DSS), une plateforme qui facilite et accélère l’analyse de données et la création d’applications business et prédictives. La société, fondée en 2013, dévoile sa dernière version au salon Big Data 2016, le 7 et 8 mars. Au menu, de nouvelles fonctionnalités tournées vers l’expérience utilisateur et la simplification de la préparation des données. Mais cette annonce apparait minime comparée à la success story de cette jeune pousse. En trois ans, Dataiku a réalisé une levée de fonds 3 millions d’euros, passé le cap des 50 salariés et reçu une quantité de prix. Une aventure lancée par quatre ingénieurs, avec Florian Douetteau, en guise de capitaine.

Ce papa de deux enfants était pourtant bien loin du monde des start-up après le bac. En 1999, il entre à Normal Sup’, spécialité Maths et Computer Science. Une carrière qui le destinait donc plus à la recherche ou l’éducation. « J’ai été atteint assez vite par le virus des start-up. Ce n’est pas une maladie très grave mais il faut savoir la contrôler », confie avec malice le CEO. Alors qu’il préparait une thèse, qu’il n’a finalement pas soutenu, il rejoint en 2000 une entreprise qui n’était à l’époque qu’un projet : Exalead, un moteur d’indexation et de recherche, imaginé par François Bourdoncle. C’est l’époque de la première bulle Internet, de la première vague de start-up en France et des premiers financements. « Exalead était une entreprise intéressante car elle faisait à la fois du BtoB et du BtoC. On voulait refaire le Google à la française mais l’idée de rompre les barrières dans l’entreprise en accélérant des applications qui permettaient de fabriquer des vues 360 de ses clients et de ses produits », se souvient l’entrepreneur. Il apprend, construit et développe des projets pendant 11 ans dans la start-up, jusqu’à son rachat en 2011 par Dassault Systems.

La datascience, un mélange de trois cultures

C’est évidemment cette expérience qui lui a donné l’envie de créer son propre business. Mais, il se donne le temps de réfléchir et entre en 2011 chez ISchool Entertainement, une société de jeu social. « C’était un bon moyen de prendre une petite cure de jouvence, plaisante le fondateur, et il faut savoir se mettre dans des endroits un peu différents ». En parallèle, il travaille sur le projet de créer une start-up…mais sans savoir laquelle. En 2012, il devient consultant technique chez le spécialiste français du marketing à la performance, Criteo. Il y rencontre des deux fondateurs techniques de la licorne française, Romain Niccoli et Franck Le Ouay. « Des gens très sains, dans l’entraide, d’une simplicité et d’une humilité pas évidente à conserver à cette échelle », soutient le startuper.

Au fil des mois, il s’entoure de quatre ingénieurs puis crée Dataiku : Clément Sténac, ancien collègue d’Exalead, Thomas Cabrol, rencontré chez ISchool et Marc Batty par le biais de connaissances communes. Pas besoin de commercial et de designer. « L’important c’est d’avoir la culture business et l’empathie par rapport au business dans lequel on se positionne. Si l’équipe fondatrice n’a pas la culture des gens qui vont acheter, ça ne marchera pas », assure Florian Douetteau. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le DSS ne s’adresse pas qu’aux datascientist, ces spécialistes de l’analyse de données, mais bien à tous ceux qui veulent rentrer dans une démarche datascience, c’est-à-dire une démarche statistique appliquée à une problématique métier. «  Il y a 10 ans, il y avait un grand gap culturel entre les personnes qui étaient de culture « statistique », ceux de culture « développement », et ceux de culture métier. La datascience c’est faire rencontrer ces trois cultures », explique simplement le CEO. En 2015, Le DSS s’est d’ailleurs développé sur un axe collaboratif pour permettre à une équipe entière de travailler sur un projet data. « L’année dernière, on a observé beaucoup d’ambitions pour le big data mais maintenant il faut travailler ensemble pour sortir les projets. Sinon ce sera un hype qui n’aura pas changé grande chose dans les entreprises », insiste le fondateur.

Un produit pour les Etats-Unis

Les sociétés de toutes tailles commencent à passer à l’action. Dataiku compte à la fois des grands noms dans son portefeuille comme Blablacar, Pages Jaunes, L’Oréal…mais aussi des plus petits comme la plateforme de réservation de billets, Captain Train. « Les gens qui font du big data sont ceux qui gèrent, directement ou non, plus d’un million de quelque chose : un million de clients, un million de devices… », précise-t-il. En 2015, Dataiku a enregistré pour 3,5 millions d’euros de prises de commandes ! Et en 2016, elle accueillera ses premiers clients américains puisqu’elle a ouvert en avril dernier un bureau à New York, avec sept commerciaux. Florian Douetteau y passe la moitié de son temps. « Il faut être là-bas pour faire le pont entre les équipes. C’est très important de construire une société de façon à ce qu’elle soit internationale et pas une hydre à trois ou quatre têtes », affirme Florian. Bien que le marché américain vient juste de s’ouvrir à la start-up, l’équipe y pensait déjà à sa création. « C’est un peu orgueilleux de dire ça mais au fond on a pensé notre produit pour le continent américain, avance le fondateur, il est assez adapté à des entreprises qui ont une ambition assez forte de leur données et qui recrutent des équipes d’analystes, des situations qu’on trouve plus fréquemment aux Etats-Unis. » De l’orgueil ? Plutôt une juste ambition : en 2016, la start-up a pour objectif d’augmenter sa visibilité et doubler de taille.