Peu après la dixième édition du France Digitale Day du 28 septembre dernier, Alliancy s’est entretenu avec Marianne Tordeux Bitker, directrice des Affaires publiques de l’association représentant les start-ups au niveau européen. L’occasion de rappeler le contexte dans lequel la French Tech évolue et les défis qu’elle aura à surmonter pour poursuivre sa croissance.
Alliancy. Qu’avez-vous retenu des échanges lors de la dixième édition du France Digitale Day ?
Marianne Tordeux. Le France Digitale Day a été l’occasion de fêter nos dix ans et de se projeter collectivement sur les défis de la prochaine décennie. Je suis très heureuse de voir que nos membres sont tous alignés aux ambitions que nous portons : promouvoir l’innovation utile pour l’Homme et la planète.
Notre dernier baromètre mené en partenariat avec EY semble confirmer cette tendance : 37% des start-up déclarent avoir réalisé un bilan carbone en 2021 et 33% sont labellisées « entreprise à mission ». La responsabilité sociale, sociétale et environnementale est devenue une priorité.
Notre écosystème est reconnu partout en Europe et tout le monde s’intéresse à cette marque qui attire des talents. Nous nous sommes par exemple rendus dernièrement en Hongrie pour expliquer comment nous avons réussi à ériger cet écosystème fort en innovation. Plus largement, c’est tout l’écosystème européen qui défend ces valeurs et cela devient un élément différenciant vis-à-vis des Etats-Unis ou de l’Asie. C’est un argument de poids pour attirer les talents et les investisseurs.
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Cela peut-il peser dans le contexte de raréfaction des fonds dans la tech ?
Les entreprises qui choisissent de mettre l’environnement et le social au cœur de leur stratégie sont bien celles qui vont bénéficier des grandes levées de fonds à venir. Les dernières qui ont été enregistrées comme celle d’Ecovadis sont de bons exemples. Ce n’est ni plus ni moins que le reflet de l’économie actuelle et les startup se doivent d’être agiles pour s’adapter.
De la même manière, puisque la finance des start-ups passe essentiellement par des levées de fonds, nous devons également nous assurer que ce Venture Capital bénéficie aux régions. Il faut d’ailleurs savoir que le France Digitale Day est l’une des étapes de notre France Digitale Tour. L’objectif est de parcourir l’Hexagone à la rencontre des pépites de nos territoires et leur faciliter l’accès à cet écosystème financier malheureusement très parisien.
Ce sujet est lié à la problématique de la fracture numérique en France. Nous y avons d’ailleurs consacré un article dans notre magazine « DIX_ », un reportage sur les conseillers numériques créés lors du dernier quinquennat pour aider les personnes qui souffrent d’illectronisme.
C’est un point très important pour France Digitale car quand on parle d’innovation pour la planète et l’Homme, nous ne pouvons l’imaginer avec une fracture numérique. Il faut absolument que nos start-ups conçoivent des solutions qui bénéficient au plus grand nombre.
C’est d’ailleurs dans cette optique que nous travaillons avec Emmaüs Connect sur le programme « Balance pas ton PC » qui reconditionne les équipements numériques fournis par nos start-ups pour les distribuer aux françaises et français qui n’ont pas la capacité financière d’acheter des smartphones ou des ordinateurs.
Comment la French Tech s’empare des nouveaux défis comme celui de la transition énergétique ?
Le 4ème Programme d’investissements d’avenir (PIA 4) dans le cadre de France Relance a plutôt bien identifié les secteurs d’avenir, que cela soit la santé ou encore la transition écologique au sens large. Lors du France Digitale Day, nous avons eu l’honneur d’accueillir le Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires Christophe Béchu et nous lui avons fait rencontrer plusieurs start-up qui utilisent l’innovation au service de besoins concrets, comme l’agriculture ou le spatial.
Nous avons besoin de cette innovation pour atteindre les objectifs fixés en matière de sobriété énergétique. Les startups sont très ambitieuses sur la mesure de l’empreinte carbone, directe et indirecte, de leur activité. Le gouvernement a d’ailleurs été assez surpris de constater que les startups n’acceptaient d’être associées au plan énergétique de la première ministre Elisabeth Borne, qu’à condition que celui-ci soit suffisamment ambitieux et sans langue de bois !
Au sein de notre communauté de 2000 startups et fonds de venture capital, les voix de ceux qui ne comprennent pas la nécessité d’engager la transition écologique et sociale du secteur sont minoritaires. Nous comptons près de 800 startups “impact by design”, c’est-à-dire qui ont une activité directement engagée en faveur de l’ESG. Le reste de notre communauté est engagée autrement : notamment en prenant des engagements sur le volet social, pour adopter des stratégies de ressources humaines plus inclusives.
Faut-il davantage attendre du législateur un encadrement plus strict autour de ces enjeux ?
Nous restons vigilants sur l’évolution des réglementations car elles peuvent complètement faire évoluer des stratégies d’implantation des entreprises, sur notre territoire ou à l’étranger. Je m’explique : aux Etats-Unis par exemple, innover dans la santé était pendant très longtemps un vrai casse-tête pour les startups françaises car la FDA (Food and Drug Administration) imposait un cahier des charges immense. Aujourd’hui, c’est l’inverse : ils ont mis en place des bacs à sable réglementaires pour inciter les startups à lancer des projets, sans réelles barrières réglementaires.
Résultat : je ne compte plus les startups françaises qui ouvrent des bureaux aux Etats-Unis plutôt que sur le territoire européen – alors qu’on adorerait que leurs innovations profitent, avant tout, aux usagers français. Il est absolument essentiel de mesure tous les potentiels effets de bord qu’une réglementation ferait peser sur l’innovation. Les Digital Markets et Services Acts de la Commission européenne ont à ce titre très bien été pensés, comparé au RGPD qui partait d’une bonne idée, mais dont la mise en place a été trop complexe pour les petites entreprises.
Lors du France Digitale Day, le ministre chargé du numérique Jean-Noël Barrot a expliqué comment ces textes seront transposés. Mais il a ensuite exprimé vouloir aller au-delà de la réglementation : pourquoi la France imposerait des règles encore plus restrictives sur son territoire ? On a besoin que l’Europe ait une réglementation unique – et pas 27 réglementations différentes
Un dernier point positif sur la réglementation : elle peut engager des évolutions très positives, à l’image de la Sustainable Finance Disclosure (SFDR), aussi appelée « taxonomie européenne ». Depuis le 1er janvier 2022, cet encadrement force les fonds institutionnels à se conformer à différents critères en matière d’ESG. Concrètement, cela signifie que l’impact devient un prérequis pour les fonds en Venture Capital et cela va naturellement orienter plus d’investissement dans les start-up à impact. Il reste encore des ajustements sur la mise en œuvre concrète du SFDR (aujourd’hui très complexe!) mais on va y arriver !