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Francis Bach (Inria/ENS) : « Trouver le juste niveau »

Nous avons interrogé ce chercheur sur le besoin d’aller vers plus de frugalité numérique et donc plus d’économie d’énergie, autant dans le monde de la recherche en IA que pour tous nos usages. Entretien.

Alliancy. Qu’est-ce que la frugalité numérique en tant que chercheur dans le numérique et en intelligence artificielle ?

Francis Bach. J’ai du mal à la définir… mais je vois cela comme la nécessité d’utiliser les ressources au juste niveau. Tout est dans le « juste niveau » pour réaliser une tâche.

Vous parlez des usages ou des infrastructures ?

Francis Bach est chercheur chez Inria depuis une douzaine d’années, et dirige depuis 2011 l’équipe d’apprentissage statistique (Machine Learning) du département d’informatique de l’Ecole normale supérieure (ENS), qui est commune entre le CNRS, l’ENS (PSL) et Inria. Il s’intéresse principalement aux aspects algorithmiques et théoriques de l’apprentissage automatique, et plus précisément aux méthodes parcimonieuses, aux méthodes à base de noyaux, à l’optimisation à grande échelle, la vision artificielle et le traitement du signal.

Francis Bach. Des deux. Par exemple, en tant que chercheur, arriver à ce que les algorithmes soient le plus efficaces possibles, à la fois en termes de temps et de coût énergétique. On doit limiter l’utilisation des ressources : comment faire plus vite, mais aussi moins gourmand avec le moins d’impact possible sur l’environnement. Cela ne remet pas en cause le type de recherche que l’on fait, mais à nous de tenir compte en amont de ce défi d’économie d’énergie.

Pensez-vous que c’est un point de vue entendu aujourd’hui par vos pairs et les entreprises ?

Francis Bach. Oui, tout à fait, car la consommation énergétique, au-delà des questions environnementales, a aussi un coût. Pour faire de l’IA, il faut des ordinateurs et ça consomme des ressources… Pour certains, le frein à l’application de l’IA, est ainsi un frein économique… Donc toute l’algorithmique cherchant à utiliser moins d’ordinateurs permet aussi de rendre l’IA accessible à d’autres technologies. Mais il y a toujours des effets rebonds qui sont difficiles à comprendre et anticiper…

C’est-à-dire ?

Francis Bach. Il est très difficile de savoir comment les usages seront modifiés par une nouvelle technologie. On sait que ça va changer, mais on ne sait pas si l’impact sera positif ou négatif au global. Prenons le télétravail par exemple, au-delà des considérations sanitaires, on remplace les déplacements par des visioconférences… L’empreinte énergétique entre les deux solutions semble positive, mais si on travaille chez soi, on va peut-être déménager plus loin des centres-villes et ainsi consommer au global plus d’énergie pour se déplacer. On voit donc qu’un changement d’usage, induit un effet rebond qui fait parfois que ça fonctionne moins bien que ce que l’on pensait… Mesurer le positif et le négatif d’un tel changement est très difficile.

Le télétravail sur le long terme génère aussi une multiplication des terminaux à domicile…

Francis Bach. Bien sûr, les deux aspects (matériels et usages) sont à prendre en compte, notamment le terminal qui a un impact très fort. Il y a un consensus aujourd’hui pour dire qu’il y a une partie liée à la construction même d’un terminal (matières premières, composants, transport, recyclage…) et son utilisation (consommation énergétique). L’enjeu de mesure est donc important.

Pour diminuer cela, comment agir ?

Francis Bach. L’élément le plus important serait, par exemple, de ne pas changer de mobile tous les ans, mais tous les trois ans. Il y a ensuite l’utilisation. Mais tout se rejoint en quelque sorte… Car, en tant que chercheur, si j’ai besoin d’un seul ordinateur et pas de 25, j’économie le coût de calcul, la consommation énergétique des 24 ordinateurs et de leur achat initial…

Par rapport à ce que vous faisiez il y a dix ans par exemple, estimez-vous avoir réduit votre consommation ?

Francis Bach. L’algorithmique progresse, de 10 à 100 fois plus vite pour certains cas… mais souvent, la taille des problèmes à traiter aussi augmente… La consommation énergétique finale n’a pas beaucoup changé, voire s’est accrue. Dans le cas de la recherche en IA, on a plus d’ordinateurs maintenant qu’il y a dix ans… donc, pour l’instant, on n’est pas dans la frugalité. Depuis deux-trois ans, les chercheurs dans le monde entier, à la fois pour des problèmes d’accès au plus grand nombre et des questions énergétiques, travaillent de manière active à réduire l’empreinte carbone tout en gardant la même performance, et ce sera bénéfique pour tout le monde. Dans mon équipe par exemple, on regarde si à usage constant, on peut arriver à réduire l’empreinte carbone, mais il y a des usages qui ne cessent de croître… Il faut donc trouver le compromis énergie-temps optimal.

Comment voyez-vous la création de start-up qui proposent de plus en plus de solutions écoresponsables ?

Francis Bach. Si l’on veut réduire notre empreinte, il faut agir partout. Toute réduction, même petite, sera utile. L’intégralité de la chaîne doit se mettre en action pour réduire notre consommation. Reste à voir le gain final obtenu…  D’où l’importance de disposer d’indicateurs chiffrés ou encore d’expliquer au grand public comment tout cela fonctionne. Il faut faire de la pédagogie sur les usages.

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