Nommé DSI groupe de Total en 2015, après avoir été DSI de la branche Raffinage-Chimie, Frédéric Gimenez pilote aujourd’hui une entité qui s’est profondément réorganisée en quelques années. Il explique la place qu’ont tenue la culture client, l’agilité et le travail sur l’image de la DSI, dans cette transformation.
A quel point une entreprise comme Total doit-elle faire émerger une nouvelle « culture client » en son sein ?
Frédéric Gimenez. Total est avant tout un acteur industriel et tous nos business n’ont donc pas vocation à être « orienté client », au sens consommateur, de la même façon et dans la même mesure. Nous avons cependant des branches commerciales, notamment les branches Marketing & Services, et Gaz, Renewables & Power (opérationnelle depuis septembre 2016), regroupe des activités qui existaient déjà dans le groupe (Gaz, Energies Nouvelles, le fonds d’investissement Total Energy Ventures) et les acquisitions récentes comme le producteur de batteries Saft ou le fournisseur d’énergie belge Lampiris, ndlr) qui ont des enjeux clients très forts, car elles doivent assurer la relation BtoC jusqu’au bout de la chaine, directement avec le client final.
Qu’est-ce que cela implique pour votre DSI ?
Frédéric Gimenez. Il fallait des rythmes et une façon de travailler différents. Entre 2014 et 2017, nous avons réalisé un pivot stratégique important sur notre vision IT en créant Total Global Services, qui met en commun plusieurs fonctions support du groupe : comptabilité, achats, services généraux… et notamment tous les aspects informatiques communs,les télécoms, le poste de travail, les infrastructures, l’ERP ou les SI des métiers support. Cela a permis aux différentes DSI de branche de se concentrer sur le cœur de chaque métier et sur la mise en œuvre de projets métiers. Cette transformation qui a été finalisée le 1er janvier 2017 a nécessité de nombreux ajustement en termes de périmètres et de processus, avec par exemple la remise à plat des responsabilités MOA des métiers vers leur DSI ; mais c’est un accélérateur fort pour notre transformation globale.
Dans quelle mesure cette transformation a-t-elle inclu le passage à des méthodologies agiles pour les équipes ?
Frédéric Gimenez. Nous avions déjà commencé à nous lancer en agile depuis des années, mais les branches sont toutes aujourd’hui dans des états d’esprit proactifs sur le sujet, ce qui en favorise la diffusion plus largement. Jusqu’alors, l’IT avait été formé à ces méthodologies, mais cela restait une problématique à adresser avant tout pour les métiers. Avec une acculturation qui a dorénavant dépassé de loin l’IT, les métiers s’en sont beaucoup mieux emparés pour leur quotidien ces derniers mois. Pour accompagner ce changement, les DSI branches ont donc commencé à constituer en regard des équipes appropriées, capables d’avoir le niveau de réactivité adéquat.
Un exemple ?
Frédéric Gimenez. Au sein de la branche Marketing & Services, nous avons créé l’équipe « Fast Flex » capable de délivrer très vite des solutions web ou mobile, tout en acculturant mieux les métiers et réfléchir différemment à leurs besoins et à leurs attentes. Il ne faut pas sous-estimer cette dimension culturelle c’est un changement de mindset intéressant de se dire que l’on va être plus itératif pour aller plus vite, que l’on va affiner au fil du temps plutôt que de prendre beaucoup de temps pour tout faire parfaitement du premier coup. Une telle équipe permet d’être un catalyseur et un accélérateur.
Est-ce que cela n’a pas tendance à créer un fossé avec le fonctionnement du reste des DSI ?
Frédéric Gimenez. La coexistence avec les autres équipes SI ne pose pas de problème à partir du moment où les règles du jeu sont claires. L’implication d’une équipe comme Fast Flex est sur un périmètre bien défini. Elle n’est pas là pour mener certains des projets IT de plus grande envergure que nous réalisons par ailleurs. L’idée est plutôt d’amener des évolutions intelligentes par petites touches, qui vont ensuite essaimer dans les usages. Ainsi, progressivement c’est tout le reste de la DSI qui évolue vers ce modèle. De manière générale, toutes nos équipes font de plus en plus d’agile et nous avançons également en DevOps, avec une première équipe qui se consacre à notre portail web en B to B et une deuxième qui se met en place sur le sujet data. Mais tout le système d’information de Total n’a pas vocation à fonctionner sur ce modèle évidemment, particulièrement sur la partie legacy !
De telles initiatives sont-elles de nature à changer plus globalement la perception que les métiers ont des missions et de l’engagement des équipes IT ?
Frédéric Gimenez. Déterminer l’image qu’ont les métiers de la DSI et la faire évoluer, est toujours un vrai challenge. Nous avons dû énormément travailler sur le sujet depuis quelques mois.
Pour accélérer, j’ai créé un poste au niveau de la DSI groupe qui s’occupe du marketing de la fonction IT. L’objectif n’est pas de faire de la communication, mais d’apporter une véritable expertise marketing. Philippe Koechlin a pris la fonction avec une véritable mission de marketeur. Il n’a pas le parcours d’un informaticien et c’est un avantage pour faire bouger les lignes entre DSI et métiers. Toutefois, ce parti-pris marketing n’est qu’une des faces de la pièce : ensuite il faut délivrer, savoir prouver que les promesses sont tenues. Nous avons donc un vrai plan de travail complémentaire pour apporter ces preuves : une grande enquête sur l’image de l’IT chez Total, mais aussi la formation des collaborateurs IT pour qu’ils puissent s’orienter plutôt clients et usages, que « technologies ».
Comment ces changements ont-ils été vécus par les collaborateurs eux-mêmes ?
Frédéric Gimenez. Il ne faut pas se le cacher, un tel shift n’a jamais rien de simple. Il faut former certains collaborateurs à la relation client métier, apprendre de nouveaux comportements, acquérir des savoirs qui sont de l’ordre des techniques de vente, de la définition de parcours utilisateurs/clients, ou encore changer sa vision sur l’ergonomie des outils. Ceci peut être de nature à perturber les habitudes de certains collaborateurs et on assiste parfois encore à des chocs de culture quand on constate des décalages entre l’image que l’on veut donner dorénavant et des fonctionnements fiables que l’on a depuis longtemps…
Au-delà de ces cas particuliers cependant, le changement a été très apprécié par les équipes, car comme dans de nombreuses entreprises, l’IT souhaite faire comprendre qu’il est un moteur à part entière de la transformation de l’entreprise dans son ensemble. Il y a un enjeu de reconnaissance de nos fonctions qui n’est pas neutre pour amener et accompagner le changement. Et clairement nous avons tous la conviction qu’il faut mieux vendre ce que l’on sait faire et montrer les atouts de la DSI pour accélérer la transformation. Cursus de formation, espace documentaire ad-hoc au sein de notre réseau social d’entreprise, nouvelles enquêtes d’image… nous améliorons en 2017 l’ensemble des outils qui doivent être mis en œuvre pour y parvenir.