La compétitivité des entreprises en Europe repose, pour une grande partie, sur une utilisation efficace des technologies de l’information. Ce qui impose de disposer des compétences appropriées pour les mettre en œuvre.
On observe au sein de l’Union européenne des difficultés à trouver une main-d’œuvre qualifiée qui réponde correctement aux besoins en emplois IT. Cette situation traduit un écart croissant entre les besoins de compétences demandées par les entreprises et celles qui sont disponibles sur le marché européen du travail (1). On constate aussi que les jeunes Européens, à l’école comme dans l’enseignement supérieur, connaissent de plus en plus mal les métiers de l’IT et sont moins attirés par les études scientifiques et les carrières professionnelles dans ce domaine. Enfin, il existe des écarts importants entre l’offre et la demande chez les différents membres de l’Union européenne (2).
Ces écarts, qui ont un impact sur la compétitivité et la productivité en Europe, ne se retrouvent pas que dans statistiques : ils découlent aussi d’un problème d’adéquation des compétences à l’évolution de l’IT et des nouveaux usages liés au numérique.
Le système éducatif européen n’a pas établi correctement les priorités. Dans la guerre pour les talents, l’industrie IT, de par son influence sur le marché économique, a toujours été considérée comme le principal employeur. Et la plupart des organismes de formation, les écoles et universités, se sont essentiellement concentrés sur les aspects purement techniques de l’IT. Or, les besoins des utilisateurs, entreprise et grand public, ont évolué considérablement. Ils sont différents de ceux de l’écosystème IT. Les domaines dans lesquels la double compétence IT-métiers se révèle indispensable sont essentiels, ainsi que ceux liés aux challenges du numérique : réseaux sociaux et collaboration, mobilité, modèles de services, gestion et protection de l’information, etc.
Il existe un lien étroit entre l’évolution de l’économie numérique en Europe et la capacité à former des professionnels et à les déployer dans des entreprises de plus en plus innovantes. Aider et soutenir la création d’emplois IT européens conduit inévitablement à développer l’innovation, l’écosystème numérique européen et, plus largement, l’économie européenne dans son ensemble.
Convaincus que le développement de l’écosystème numérique est une véritable opportunité pour l’économie européenne et que cela ne pourra se faire qu’en se réappropriant les métiers et compétences nécessaires Manuel Barroso et Neelie Kroes ont lancé, en mars 2013, Filling the gaps : e-skills and education for digital jobs, une initiative destinée à favoriser l’emploi et la formation dans les domaines de l’IT et du numérique. Cette action englobe dans une « Grande coalition » (3) les états membres et la classe politique, l’écosystème industriel et les systèmes éducatifs. Elle se situe en haut de l’agenda politique et économique de la Commission européenne. L’objectif de cette coalition est de construire des liens solides entre toutes les parties prenantes, de rapprocher la formation et l’entreprise, les gisements de compétences et les besoins du marché, les professionnels de l’IT et l’innovation, de valoriser l’esprit entrepreneurial dans le domaine du numérique en Europe, de l’insuffler dans les écoles et formations et de sensibiliser les jeunes à répondre aux nouveaux défis.
De nombreux acteurs impliqués dans cette grande coalition se sont engagés sur des pledges, des actions concrètes de formation et de sensibilisation : former aux compétences entrepreneuriales et technologiques un million d’Européens (HP), mise en place d’un programme d’éducation sur les smartgrid (Cisco), création de MOOCs (4) à destination des professeurs du secondaire (European SchoolNet), création d’une plateforme d’évaluation et de benchmark des compétences numériques (Cepis). Etonnamment, la France est très peu présente dans ces engagements.
Le numérique change l’espace et le temps. Le développement d’une économie numérique ne peut se penser localement, par pays, et nécessite une vision à long terme qui se traduise par de multiples actions impliquant toutes les parties prenantes. De nombreuses initiatives locales existent, orientées sur l’aide aux entreprises innovantes et privilégiant les aspects technologiques et leurs usages. L’approche européenne par les compétences est une autre façon de voir les choses : dans une vision à moyen et long terme. Comment doter le marché européen du travail des bonnes compétences et des bons profils IT pour créer des gisements, stimuler l’innovation et la création des entreprises innovantes de demain ? Il ne m’apparaît pas que le milieu académique et les organismes de formation ou de certification français sont dans cette réflexion transnationale pourtant indispensable.
Les raisons sont multiples : ignorance, doute dans les capacités de l’Europe à mener une action efficace ou mauvaise compréhension des objectifs de la « Grande coalition » ? Il est néanmoins nécessaire d’expliquer l’ambition européenne auprès des acteurs français et de les convaincre qu’ils y ont toute leur place. C’est l’objectif de la table ronde « E-compétences dans l’économie numérique en Europe » qu’organise prochainement l’Institut G9+, en partenariat avec le Cigref (5).
(1) Il manquera 700 000 emplois dans l’IT en 2015 en Europe, selon la Commission européenne.
(2) www.filling-the-gaps.eu/ITsupplyanddemand
(3) www.filling-the-gaps.eu/Grand%20Coalition%20Framing%2018012013
(4) Mooc :Massive Open Online Courses
(5) 14 octobre, à la maison des Arts et Métiers, Paris.