[EXCLUSIF] Le 4e âge de l’industrie est en marche : le secteur s’hybride petit à petit avec le numérique. En France, l’initiative autour de l’industrie du futur et le lancement récent de la French Fab permettent de fédérer tous les acteurs concernés. Objectif affiché : saisir l’opportunité pour relancer le pays dans un contexte de concurrence mondiale exacerbée.
Ce 4e âge se manifeste de plusieurs façons : économie de l’usage, progrès technologique exponentiel, hyperconnexion, cohabitation de quatre voire cinq générations professionnelles, retour de la valeur locale. Les bouleversements sont donc à la fois environnementaux, sociaux, organisationnels et humains et dépassent très largement le cadre économique. Mais comment capitaliser concrètement sur cette vague dans un monde plus ouvert que jamais ?
L’une des clés du succès, c’est l’intégration dans le monde de « l’industrie 4.0 ». Elle prend au moins quatre formes complémentaires :
Stratégique, l’intégration « 1.0 » est verticale et concerne la chaîne de valeur dans son ensemble : le besoin de réactivité des marchés croit de façon exponentielle et demande une capacité de réponse de plus en plus rapide aussi bien en termes de développement qu’en termes de fabrication et de distribution de produits ou de services. Or, grâce aux nouvelles technologies et aux plateformes, il est de plus en plus facile d’accéder au client final et de contourner la chaîne de valeur, par une intégration plus importante en interne ou avec des partenaires. Ainsi, les fournisseurs d’équipements pour l’industrie sont de plus en plus nombreux à proposer des solutions complètes pour leurs clients finaux avec des services tels que la maintenance ou l’optimisation des paramètres de production des équipements. C’est ainsi que Socomec, fournisseur traditionnel de matériel électrique s’est mis par exemple à fournir des armoires puis des onduleurs et propose maintenant des solutions d’optimisation de la consommation d’énergie incluant du logiciel et du conseil. De la même manière, DHL, Audi et Amazon se sont alliés pour proposer un service de livraison en direct dans le coffre des propriétaires de voiture et ont ainsi intégré trois métiers différents, pour proposer et apporter de la valeur au client final. De façon plus limitée, certains métiers qui avaient disparu de la carte hexagonale pourraient être relocalisés et réintégrés dans la chaîne de production locale pour augmenter la réactivité de l’outil de fabrication. C’est le cas par exemple du polissage dans la filière du luxe qui va connaître un bouleversement majeur dans les années à venir avec une automatisation conséquente, et qui pourrait redevenir rentable en local.
Organisationnelle, l’intégration « 2.0 » est horizontale et concerne les fonctions ainsi que les modes de leadership des entreprises industrielles : pour profiter du numérique il faut décloisonner afin que les décisions se prennent vite et que les données, l’or bleu du XXIe siècle, circulent de façon fluide pour être utilisées dans la création de valeur. Cela a deux conséquences majeures : d’une part chaque métier s’invite dans le métier voisin afin d’y récolter des données utiles à son fonctionnement. A titre d’exemple, un acteur majeur du luxe autorise sa direction de la supply chain a venir récolter des données dans son réseau de boutique, afin d’obtenir des données en temps réel sur les produits consultés, essayés, vendus et voudrait capitaliser là-dessus pour optimiser ses stocks et son processus de planification. De l’autre côté du spectre, la direction de la supply chain demande à avoir accès aux données locales de fabrication ou du service après-vente pour identifier à quel stade se trouvent chaque produit commandé et ainsi proposer au client final des informations qualitatives sur des délais et des informations techniques de réparation. D’autre part, les équipes de terrain ont besoin d’autonomie pour pouvoir exploiter au mieux les données du process industriel, des fournisseurs ou des clients en temps réel. Le management doit donc adapter les responsabilités et changer sa posture pour laisser cette marge de manoeuvre. Ainsi, chez Michelin, un test est en cours dans plusieurs usines pour laisser de la marge de manoeuvre aux équipes sur des aspects qui étaient auparavant gérés par le management et les fonctions support : recrutement d’un nouveau collaborateur, ordonnancement de la production, augmentations de salaire, rôles dans l’équipe.
Technologique, l’intégration « 3.0 » est transversale pour permettre d’hybrider les métiers traditionnels de l’industrie avec ceux du numérique et de la gestion du changement : la transformation associée aux changements de technologies est d’une telle ampleur qu’elle ne peut s’accomplir en travaillant en « silos ». Elle requiert un architecte multi-casquette et une capacité à faire travailler au quotidien des personnes de culture très différente qui n’y sont pas naturellement habituées. Ainsi chez Sew Usocome, le lancement d’un nouveau site « vitrine » à Brumath a été confié à une personne ayant un double cursus : ancien directeur de site et ancien responsable informatique du groupe. Par ailleurs l’entreprise confie que, sans une intégration des ressources informatiques forte en interne, le projet aurait échoué dans un contexte où l’ensemble du flux a été optimisé avec des défis très conséquents sur l’architecture informatique et la gestion des opérations associées. De même chez une autre vitrine de l’industrie du futur, le groupe Schmidt, les ressources techniques en informatique industrielle représentent près de 20% de l’effectif total. Grâce à cette très forte intégration technique, la réactivité a été très largement améliorée dans un contexte où la plupart des opérations sont automatiques avec les risques d’aléas techniques associés. Ainsi les cuisines sont produites à la commande et en une seule journée, un exploit pour le secteur.
Responsable, l’intégration « 4.0 » est périphérique. Elle permet à la fois d’assurer une coexistence harmonieuse entre l’usine et son territoire, de maximiser l’économie circulaire, de réduire l’empreinte carbone, la consommation énergétique et la pollution et de faciliter la collaboration locale entre entreprises, dans les filières, ainsi qu’avec les pouvoirs publics, les écoles, les riverains et d’une façon générale avec tout l’écosystème de l’usine. Elle permet enfin et surtout de redynamiser l’emploi dans les territoires que Christophe Guilluy appelle « périphériques » qui ont connu des mutations importantes dans l’après-guerre, en passant d’une économie agricole à une économie industrielle et qui connaissent souvent un très fort déclin économique depuis 30 ans avec la mondialisation accélérée des échanges qui a conduit à une baisse du PIB industriel sensible en France. En matière énergétique, les usines du groupe Mars se sont par exemple engagées à devenir auto-suffisante d’ici à 2030 et certaines usines ont déjà commencé à proposer des accords pour co-générer de l’électricité en partenariat avec d’autres industriels locaux en Alsace. De son côté, un fournisseur automobile majeur de rang un a lancé un « lab technologique » pour développer des compétences qui ne sont pas encore disponibles sur le marché et envisage de l’ouvrir aux PME locales afin de faire du gagnant-gagnant pour limiter l’investissement et faire profiter au territoire de sa taille critique de donneur d’ordre. Enfin dernier exemple d’expérimentation, plusieurs initiatives sont en cours de réflexion pour permettre des parcours d’apprentissage entre entreprises ou pour permettre à des entreprises ayant des activités contre-cycliques de partager leurs ressources et de garantir l’emploi pour des personnes qui sont aujourd’hui sur des contrats précaires.
La production d’intégration est donc bien engagée avec à la clé une reprise majeure de l’économie locale dans les territoires français. La French Fab devrait largement permettre d’accélérer le mouvement. Reste à déployer massivement des initiatives qui sont aujourd’hui isolées dans quelques vitrines ou quelques territoires précurseurs. Communiquons sur ces succès, et facilitons massivement les échanges de bonnes pratiques entre tous les acteurs de l’écosystème et des filières industrielles. Investissons massivement sur les compétences du futur et notamment celles de transformation qui permettront de renforcer le mouvement entamé. L’industrie de demain sera hybride, agile, augmentée, responsable. Mais elle sera surtout une source de richesses économiques et sociales pour les territoires qui sauront la développer de façon durable afin de profiter de toutes les sources d’intégration.
Industrions plus pour intégrer plus !