Cela fait presque un an que chatGPT est entré dans nos vies. Pour ceux qui l’ont testé (et notamment la très performante version 4, payante), le constat est souvent le même. Incrédulité. Emerveillement face aux compétences du robot. Sentiment d’être déjà distancé. Difficulté d’imaginer l’avenir. Ce mardi, en associant un état des lieux factuel à des exercices de prospective, les acteurs du LaborIA ont tenté de reprendre le contrôle.
Une immense envie de comprendre, de conceptualiser, pour espérer maîtriser le phénomène de l’IA générative. C’est l’impression générale qui se dégageait ce mardi 26 septembre du tout premier colloque LaborIA.
Pour mémoire, le LaborIA est un laboratoire de recherche-action sur les impacts de l’IA sur le travail. Fondé en novembre 2021 par le ministère du Travail et l’Inria, opéré par l’institut d’innovation Matrice, il s’intéressent à ces questions de fond : comment les individus s’approprient, utilisent, contournent ou détournent les outils liés à l’IA dans leurs pratiques de travail ?
A l’heure où de très nombreux salariés expérimentent l’outil d’OpenAI, généralement hors du cadre de leur organisation, et où même les acteurs publics s’en emparent, le nombre d’utilisateurs grimpe à tout vitesse : « En janvier, le robot conversationnel avait dépassé le cap des 100 millions d’utilisateurs, selon UBS, du jamais vu en si peu de temps, indiquaient Les Echos en ce début d’année.
Une enquête auprès de 250 décideurs
Faisant eux aussi le constat de cet emballement, les speakers du Labor IA ont fourni des interventions très complémentaires, faisant intervenir des profils comme celui de Pascal Picq, paléoanthropologue et maître de conférence au Collège de France, Gérald Gaglio, sociologue des organisations à l’Université Côte d’Azur, qui racontait comment il est allé à la rencontre des radiologues, ou encore Clément Le Ludec, chercheur en sociologie du travail, Institut Polytechnique de Paris / Télécom Paris.
Clément Le Ludec travaille sur les effets de l’IA sur le travail à travers l’étude de… sa chaîne de production. Il peut s’agir de télé-conseillers qui aident une start-up à construire les cas d’usage pour qu’une IA puisse générer l’arborescence des questions-réponses qui leur seront ensuite livrées « prêt à consommer », mais aussi des citoyens eux-mêmes, qui passent en caisse au restaurant d’entreprise par exemple, et sélectionnent parmi les hypothèses que leur présente une IA de reconnaissance visuelle, celle qui correspond vraiment à leur menu.
Une enquête très complète a été présentée. Menée auprès de 250 décideurs d’entreprises de plus de 50 salariés (DRH, DSi, Dir Inno, DG), elle est disponible ici : https://www.laboria.ai/rapport-denquete-usages-et-impacts-de-ia-sur-le-travail/
Car, bonne nouvelle, les travaux du LaborIA sont mis à disposition de tous : « Notre objectif, ont rappelé Yann Ferguson, sociologue et responsable scientifique du LaborIA, et Jean Condé, sociologue, directeur scientifique de Matrice, n’est pas d’interpréter seuls les résultats des études que nous produisons. Nous avons besoin de toutes les compétences. »
En fin de journée, un atelier de prospective participatif, avec la volonté de créer des scénarios de transformations du travail à venir, nous invitait à avec une projection à 2035 en intégrant trois dimensions : géopolitique, climat, droit du travail.
Cinq phrases qui nous restent en tête
« La relation homme / machine s’inscrit dans une logique de substitution, de collaboration ou d’augmentation. Une dissonance cognitive apparaît quand l’IA est à la fois l’assistant et le concurrent. » (Yann Ferguson et Jean Condé)
« On construit des machines pour qu’elles soient meilleures que nous – et on semble le découvrir. » (Pascal Picq)
« Quand on se rend compte que l’effort avait du sens, on est face au
paradoxe de la facilitation : “Maintenant mon cerveau se repose au lieu d’aller repérer des anomalies dans un fichier Excel, mais moi j’aimais bien les chercher.” » (Yann Ferguson et Jean Condé)
« A l’école, on a nous a appris que l’évolution était dirigée par la toute puissance de Sapiens, avec cette idée qu’on est toujours au sommet. La pensée occidentale a un rapport péjoratif envers les animaux et les machines. (…) Dans le monde qui vient si vous considérez que vous êtes plus intelligent que les autres, vous n’allez pas survivre longtemps. » (Pascal Picq)
« J’ai repéré une étude qui indique que 62% des interactions que nous avons dans tous les métiers passent par le langage. Cela va bousculer beaucoup de choses, avec des enjeux considérables notamment sur la formation et sur la reconnaissance dans le travail. » (Pascal Picq)