Géraldine Le Meur a lancé début mai avec Pierre Gobil et Carlos Diaz The Refiners, un accélérateur dans la Silicon Valley pour start-up européennes, et particulièrement françaises. La cofondatrice du cycle de conférence Le Web nous parle de cette nouvelle aventure et revient sur l’évolution de la relation entre grands groupes et start-up.
Les chiffres de The Refiners :
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Pourquoi se lancer dans une nouvelle aventure ?
J’aime particulièrement le côté « aider/redonner » dans le projet de The Refiners. C’est à la fois un vrai challenge autour des start-up, et c’est un business à faire tourner. Ça me plait assez de repartir avec mon bâton de pèlerin. J’ai 44 ans, mes trois fils sont grands, je ne vais pas m’arrêter maintenant ! Et l’entrepreneuriat a été la meilleure façon que j’ai trouvé pour ma vie professionnelle avec toute l’envergure que j’avais envie de lui donner.
Face à la multiplication des accélérateurs, comment se démarque The Refiners ?
C’est un accélérateur qui a l’ambition d’être cross-border. Nous pensons que ça ne sert à rien de tout amener aux Etats-Unis quand on est déjà implanté en Europe et qu’on peut tout à fait travailler sur les forces qu’on a déjà à un endroit. Cependant, il y a un centre nerveux de l’Internet qui est San Francisco, il faut y être car c’est là-bas qu’on trouve l’inspiration. Le deuxième aspect que nous souhaitons mettre en avant est le cultural gap. Beaucoup d’accélérateurs font un travail magnifique, comme 500 startups, mais ce ne sont pas des structures qui considèrent les entrepreneurs qui arrivent comme des étrangers. Quand une entreprise s’implante aux Etats-Unis, elle doit forcément « fliper* » tout de suite, sinon personne n’en veut.
Que dites-vous aux start-up qui veulent conquérir le marché américain ?
Que s’installer aux Etats-Unis ne veut pas dire seulement travailler en anglais ! Si c’était le cas, ce serait merveilleux. Mais la différence culturelle est absolument gigantesque. Beaucoup de start-up s’implantent toute seules sur le marché américain et perdent 15 à 18 mois rien que pour comprendre comment on y fait du business. Malheureusement, elles n’ont pas de temps à perdre…du coup, cela produit des Walking Dead, c’est-à-dire des sociétés qui fonctionnent, qui survivent, mais qui n’ont pas pris l’élan qu’elles devaient prendre. Aujourd’hui, on ne peut plus penser d’abord ouvrir un bureau en France, puis en Angleterre si ça se passe bien et après aux Etats-Unis. Entre temps, il y a un concurrent américain qui est arrivé, qui était peut-être même pas concurrent au départ, qui avait peut être une moins bonne technologie, et pour autant il a pris un essor global.
Quels conseils donnez-vous aux jeunes entrepreneurs qui veulent intégrer The Refiners ?
En général, je commence par les recadrer. Certains entrepreneurs pensent qu’en intégrant The Refiners, ils vont lever des fonds. Il faut enlever les lunettes roses, personne n’attend personne ! Après, je leur demande ce qu’ils développent : une machine à lever des fonds ou un business ? Aujourd’hui, on oublie que monter une entreprise consiste avant tout à avoir un business model, savoir à quel moment on va faire du revenu, qui sont les clients, quels sont les produits qu’on développe. C’est encore plus important de nos jours car il y a beaucoup d’argent dans la Silicon Valley mais il n’y a pas un venture capitalist (VC) qui n’investisse sans avoir une évidence de revenus à un moment donné, une idée de la sortie… Il y a vrai recentrage sur le business.
Ensuite, nous pouvons passer à la phase d’accélération pendant trois mois. J’aime prendre l’image d’une fusée sur une rampe de lancement. La fusée a encore des incertitudes mais l’important est d’avoir fait la check list à l’aide d’une équipe. L’entrepreneur est aux commandes, les VC sont les gens qui mettent le fioul dans les réservoirs, et The Refiners met la réserve pour aider à prendre la meilleure trajectoire possible. Au final, toutes les fusées ne vont pas en orbite. Ce n’est pas pour autant que le boulot n’a pas été bien fait entre temps. Il y a toujours une question de chances et de timing.
The Refiners propose aussi un programme d’accélération pour les grands groupes. Pourquoi ?
Pour les aider à bien identifier leurs problématiques d’innovation. On voit chez eux une vraie volonté de faire dans le digital. A San Francisco, on a vu défiler tous les Comex parce qu’ils viennent en learning expedition. Ces visites ont souvent généré une mise en place d’incubateurs ou en tout cas un mouvement de digitalisation, grâce à des digital officers très compétents. Seul problème : les structures en dessous sont très rigides, les départements en silos. Dans ce programme, on aide les grands comptes à identifier leurs challenges puis on détermine s’il existe des start-up avec qui ils peuvent travailler ou s’ils peuvent le faire en interne. Dans ce cas, on identifie les personnes compétentes en interne qui suivront un programme de trois mois à Paris chez OCTO Technology (ndlr, un cabinet de conseil IT) pour développer un produit puis trois mois à San Francisco sur le modèle des start-up pour se créer un réseau et apprendre à fonctionner en mode start-up. A la fin de ces 28 semaines, ils pourront revenir vers leur Comex avec un projet prêt.
Comment avez-vous vu évoluer la relation entre start-up et grands groupes ?
Une étude récente (ndlr, l’étude de 500 Startups et l’INSEAD « How do the World’s Biggest Companies Deal with the Startup Revolution? » publiée en février 2016) montre que la France est le pays le plus avancé dans la relation entre start-up et grands groupes. Il y a eu ces dernières années une véritable prise de conscience de leur part. Maintenant leurs challenges consistent à concrétiser les projets avec les start-up. Les grandes entreprises sont capables de valider POC (ndlr, proof of concept) mais l’industrialisation pose encore problème. Elles se posent alors plusieurs questions : est-ce que je la rachète ? Ou est-ce que je la laisse se développer à côté ?
Je vois une autre tendance intéressante. Depuis peu, les grands groupes sont tous prêts à travailler ensemble. Pas les frères ennemis bien sûr ! Mais si un Renault a une problématique identique à la FDJ et à La Poste, elles peuvent mettre en commun leurs idées et trouver une sortie. Cette volonté de partage marque une vraie évolution des mentalités. Et c’est grâce notamment aux directeurs digitaux, qui sont à la croisée des chemins de la DSI, du marketing et de la communication. Sans oublier Bpifrance qui fait un travail incroyable pour l’écosystème. Aujourd’hui, c’est le troisième plus gros investisseur dans le digital au monde. On a la chance d’avoir à la tête de cette institution des gens qui ont compris, qui font ce que les Etats-Unis et Israël ont déjà fait.
*« Fliper » : transposer tel quel son modèle.