La GTEC, cela revient pour les DRH à jouer collectif, en pleine guerre des talents. Pour certains, cela semble contre-intuitif. Pour d’autres, c’est une évidence. De la GPEC (gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences) à la GTEC, (gestion territoriale de l’emploi et des compétences), il n’y a qu’une lettre d’écart, mais elle change la donne.
Ce « T » invite les DRH à élargir leur réflexion à l’ensemble de leur territoire, en échangeant avec les structures de formation, les collectivités, mais aussi et surtout les autres entreprises locales, y compris lorsqu’elles sont concurrentes sur les profils recherchés.
Lorsqu’il s’agit de guerre des talents, on peut penser que le voisin, c’est l’ennemi : toujours prêt à nous « voler » des collaborateurs. Au contraire, tous ceux qui expérimentent la GTEC témoignent des vertus de la coopération : c’est ensemble qu’on crée un territoire attractif pour les futurs collaborateurs et que l’on convainc les organismes de formation de pourvoir à nos besoins.
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L’exemple de l’industrie
Historiquement, les métiers de l’aéronautique et de l’automobile travaillent en réseau : c’est toute une chaîne de prestataires et de fournisseurs spécialisés qui a besoin de collaborer étroitement et parfois de s’implanter sur la même zone géographique, pour sortir le produit fini, parfois des années après le coup d’envoi du projet.
C’est ainsi que certaines entreprises comme Bosch Rodez jouent la carte de la GTEC avec des réunions entre DRH du département, auxquels ils associent Pôle Emploi, l’Académie, etc.
Lors de l’évènement « Unexpected Sources of Inspiration », le 26 juin dernier à Paris, Ludovic Duhem, philosophe et designer, plaidait pour une « industrie ouverte », c’est-à-dire une industrie qui favorise la circulation des idées, (« L’Open Source, ce n’est pas valable seulement pour le numérique ! » a-t-il rappelé), mais aussi qui s’ouvre à son milieu : « L’industrie ouverte est nécessairement territorialisée et mieux encore : elle est locale. Relocaliser, ce n’est pas simplement ramener une usine là où elle était avant. C’est rétablir le lien au lieu, savoir qui on est, comprendre nos dépendances, interroger l’impact social… »
Une Cité de l’IA inspirante
Venons-en à la Tech. Dans ce milieu, certaines populations ont l’habitude du collectif et n’ont guère besoin d’être convaincues : c’est le cas des experts de la cyber, avec un pôle d’excellence à Rennes, notamment, et une attention particulière de certains grands groupes qui s’installent dans les territoires de ne pas le faire au détriment des organisations déjà présentes. Mais c’est aussi le cas des « devs », dont les communautés sont soudées et où le bouche-à-oreille est efficace.
Dans le Nord de la France, l’initiative de la « Cité de l’IA » constitue l’un des meilleurs exemples de GTEC appliquée au numérique. Elle n’a pas d’équivalent ailleurs – pas encore du moins. Manuel Davy, aux commandes de la Cité, observe quelques essaimages çà et là… et espèrent qu’ils prendront de l’ampleur.
Lui travaille sur le projet depuis ses débuts, en 2019, sous l’impulsion du Medef Lille Métropole.
« L’objectif, c’est de nous regrouper pour mieux anticiper la façon dont l’IA va percuter le marché du travail, résume-t-il. Moi-même, je suis un ancien chercheur du CNRS et de l’Inria, en Machine Learning et un entrepreneur depuis 15 ans : Vekia est une solution d’IA pour la Supply Chain. Je me rends bien compte du défi qui s’ouvre à nous et de la nécessité de nous unir. »
La Cité de l’IA a réussi à mettre autour de la même table toutes les grandes entreprises de la région (Auchan, Roquette, Lesaffre, Boulanger, Vert Baudet, Feu vert…) et intègre des établissements d’enseignement supérieur ainsi que des organismes publics et para-publics.
Jeter des passerelles entre anciens et nouveaux métiers
Elle fonctionne grâce à des groupes de travail spécialisés, dont l’un porte sur les ressources humaines. De quels talents a-t-on besoin en entreprise pour accélérer sur l’IA ? Le groupe a produit un annuaire des formations certifiantes dans les Hauts-de-France pour les métiers de la Data et de l’IA. Il a aussi, par exemple, défini les compétences nécessaires pour être un bon Data Engineer, un « métier en grande tension ». Un outil mis à disposition des Universités.
« C’est très opérationnel, reprend Manuel Davy. On est là pour construire. Notre podcast, les Carnets de l’IA, en témoigne. En mai, nous avons emmené 40 personnes en Estonie – tous les services publics y sont digitalisés. Nous sommes également en train de rédiger une charte éthique d’IA. »
Changement climatique et IA, réindustrialisation de la France et IA… Les sujets abordés évoluent rapidement. « Les DRH de nos entreprises membres sont nombreux à venir demander de l’aide pour rédiger les fiches de poste et jeter des passerelles entre « anciens » et nouveaux métiers », conclut Manuel Davy.