Depuis plusieurs années, le groupe Accor transforme massivement son activité, jusqu’à changer son business model lui-même. Gilles de Richemond, CIO groupe, détaille les éléments sur lesquels la stratégie cloud de son entreprise s’est forgée pour mieux accompagner cette transformation.
L’an dernier pour accélérer sa transformation, votre groupe a acté son changement de modèle économique. Quelle est son ambition stratégique ?
Gilles de Richemond. Le groupe a mené à bien le programme consistant à devenir un « service provider » en vendant les « murs » de nos hôtels. Nous avons ainsi complètement adopté un modèle « assets light » pour assumer une logique où nous valorisons nos services auprès des propriétaires et franchisés. En parallèle, nous continuons une forte transformation digitale centrée sur la maîtrise de l’expérience client de bout en bout, et pas seulement lors du séjour ou dans la chambre. Nous accentuons également la personnalisation : nous ne voulons pas être dans une logique d’un parcours type qu’on fait évoluer à la marge pour chaque client. Il nous faut une multitude de parcours uniques. C’est un challenge en termes de réalisation concrète car cela nécessite des synergies très fortes entre différents métiers, entre de nombreuses technologies et entre les mondes physique et numérique.
Quel rôle joue le cloud dans cette transformation ?
Gilles de Richemond. Au service de cette stratégie, la DSI travaille notamment sur plusieurs grands axes. D’abord, le CRM-Loyalty avec un affinage de la connaissance client pour tendre vers cette unicité de chaque parcours. Nous travaillons donc aussi énormément sur la data, qui est un enjeu clé de notre activité de service provider. De même, il nous faut développer et harmoniser nos canaux web et mobile notamment, pour qu’ils fassent mieux le lien avec le monde physique. Nous avons aussi un fort enjeu sur le paiement worldwide, pour déployer partout dans le monde des méthodes de paiement « local », sans couture. Enfin, plus généralement le développement de solutions et outils pour les hôtels est un point extrêmement fort, car chez Accor, l’IT est l’un de nos cœurs de métier. Pour chacun de ces axes, le cloud peut être un accélérateur. Et dans notre vision, il est forcément hybride.
Gilles de Richemond. L’hybride est une évidence car il faut continuer à faire vivre le legacy que nous ne ferons pas disparaître en quelques mois. Pour être plus précis, il faut être réaliste : le legacy est une réalité en perpétuelle évolution et ce que nous bâtissons aujourd’hui sera notre legacy dans quelques années. Plutôt que de vouloir penser tout le temps « à neuf », il faut trouver les modes de fonctionnement qui permettent une transformation permanente. Le cloud hybride s’impose aussi pragmatiquement pour des raisons économiques. Pour schématiser, la location est plus chère que l’achat sur le long terme. D’autant plus que le marché cloud public est loin d’être mature, avec des prix instables. Il faut donc être prêt à s’adapter à des réalités très différentes selon les usages, car la transformation d’une entreprise n’est pas qu’une question de gains à court terme.
Qu’en est-il du lien entre votre stratégie cloud et l’évolution de votre gestion des données ?
Gilles de Richemond. Effectivement, chez Accor, vient se greffer en plus, l’enjeu de performance et de localisation des données. Notre métier a une empreinte mondiale, d’un point de vue digital mais aussi physique ! Ce caractère international, décentralisé, implique de savoir délivrer localement la performance auprès de chaque hôtel, ce qui est un enjeu technique. À cela, s’ajoute la nécessité de prendre en compte la localisation des données en tant que telles pour respecter chaque législation nationale. Cette problématique nous pousse à exploiter intelligemment toutes les possibilités du cloud, sous ses différents aspects. Ainsi, la centralisation des données, qu’elles soient « clients » ou de distribution, n’empêche pas des réplications déportées dans les pays. Les modèles doivent coexister. Et c’est justement ces différentes combinaisons au cas par cas qui font la force d’une approche hybride maîtrisée. Il ne s’agit pas d’avoir un « optimum » théorique sur le papier, mais plutôt de savoir assurer l’exploitabilité réelle et complexe face à de nombreuses contraintes croisées.
« Il faut se laisser la possibilité d’aller chercher les fonctions avancées des cloudeurs. »
Cela limite-t-il l’accès aux possibilités d’innovations offertes par le cloud ?
Gilles de Richemond. Non, à condition d’avoir plusieurs points de vigilance. Le premier est d’éviter bien entendu de développer le symptôme du « plat de spaghetti », en empilant des couches et des approches différentes. Les arbitrages autour du cloud doivent être fins, au niveau de chaque projet, mais ouvrir la voie à une cohérence globale. Autre point clé : il faut se laisser la possibilité d’aller chercher les fonctions avancées des « cloudeurs », autour de l’automatisation, du traitement de la donnée, de l’intelligence artificielle, qui sont souvent disponibles sur catalogue et très pratiques pour accélérer les projets. En effet, quand on veut rester absolument agnostique, il est possible, sans y faire attention, de créer un nivellement par le bas en se privant des spécificités très pointues des innovations développées par ces experts en technologies. Mais dans le même temps, il est nécessaire de toujours maîtriser la réversibilité, car ces innovations peuvent avoir tendance à « souder » au fournisseur de cloud, la fonction et l’applicatif. Le SI se retrouve alors en situation de dépendance. C’est pourquoi maîtriser son chemin vers le cloud passe par la définition d’une doctrine précise, qui adresse objectivement chacun de ces points.