Kapten (anciennement Chauffeur Privé) a été lancée en 2012 par trois ingénieurs français dans la foulée de la libéralisation du marché des transports de particuliers ; l’entreprise se transforme en restant fidèle à sa philosophie. Gilles Rasigade, Chief Technical Officer explique en quoi la croissance rapide et soutenue de son entreprise a poussé à repenser à la fois son socle technologique, les usages de ses équipes et sa relation avec ses prestataires.
Alliancy. Peut-on dire que même une jeune entreprise comme Kapten est dans l’obligation de se transformer avec le numérique ?
Gilles Rasigade. Nous sommes nés avec le numérique, mais depuis 2012, l’entreprise a vite grandi. Nous sommes dorénavant plus de 200 collaborateurs. Nous avons connu une accélération supplémentaire en intégrant fin 2017 le groupe Daimler, ce qui a permis de nous lancer à l’international beaucoup plus facilement. À l’origine localisés à Lyon, Paris et sur la Côte d’Azur, nous sommes ainsi présents à Lisbonne depuis 2018. En début d’année, Chauffeur Privé a changé de nom et d’identité visuelle pour devenir Kapten en cohérence avec une ambition stratégique forte, en France mais aussi à l’international. Nous opérons déjà à Genève et bientôt à Londres.
Dans ce contexte, le numérique fait partie des leviers de renouvellement permanent qui permettent de se différencier de la concurrence, en proposant une expérience utilisateur différente, un lien fort avec les chauffeurs, tout en valorisant notre empreinte locale.
Délivrer ce service est-il dans ce cadre un défi technologique ?
Si on doit résumer les caractéristiques de ce « socle » : ce sont la scalabilité et la fiabilité. C’est typiquement ce que l’on va rechercher auprès de nos partenaires technologiques, par exemple Google Cloud. C’est ce qui permet de faire des bonds en avant au niveau de l’activité.
Plus précisément, quels ont été les accélérateurs à ce niveau ?
Gilles Rasigade. Le premier travail a été mené au niveau de l’environnement de développement. Nous sommes aujourd’hui 70 sur cette partie technologique et nous avons fortement investi pour un changement du cœur du développement. Nous avons rapidement compris qu’il nous fallait assurer l’industrialisation des processus de déploiement, avec un effet de levier fort quand on travaille en microservices. Nous avons automatisé sur tous les domaines : test qualité des codes, test de charges… Cela revient par exemple à améliorer très nettement le temps de première mise en production qui peut dorénavant être faite en une journée.
Est-ce que cette transformation a eu un impact dans votre façon de concevoir la résilience et la disponibilité de vos services ?
Gilles Rasigade. Fin 2015, à mon arrivée, un des axes de changement a été de mettre en place un monitoring permanent pour suivre l’intégralité des mesures applicatives et fonctionnelles et pouvoir être prévenu des anomalies, le cas échéant. De manière générale, la complexité des systèmes informatiques actuels fait qu’il faut anticiper des problèmes souvent nouveaux. C’est pour cela que Netflix a inventé des approches comme le Chaos Monkey*,reprises par de plus en plus d’autres entreprises. Nous allons nous aussi vers cela, pour garantir une disponibilité 24H/7J, dans n’importe quelle situation. Notre plateforme doit
s’adapter en permanence à l’anormal.
Diriez-vous que cloud a changé la donne dans ce contexte ?
Gilles Rasigade. Kapten est « cloud native » : contrairement à d’autres entreprises, nous n’avons pas eu à nous détacher d’usages passés et d’architectures non-clouds. Cependant, il a fallu tout de même changer en profondeur notre approche pour accompagner notre croissance. Très tôt, nous nous sommes en effet appuyés sur les services qu’Heroku propose pour les start-up. Ceux-ci fonctionnent exceptionnellement bien, mais pour passer à l’échelle supérieure, nous avons dû reprendre la main sur de nombreux aspects de notre infrastructure.
C’est pour cela que nous nous déployons sur Google Cloud. Cela consiste à passer d’une situation de « clé en main » à une maîtrise avancée, notamment sur les sujets réseaux et sécurité. Cet enjeu de croissance avait été identifié dès le départ. Nous avons anticipé les premiers signaux nous indiquant que nous arrivions aux limites de scalabilité de notre précédent service, vis-à-vis de données souvent sensibles. Et nous préparons maintenant la suite de notre histoire. À ce titre, nous restons dans une philosophie ouverte, multicloud, pour tirer le meilleur parti de cet univers.
Comment avez-vous assuré cette transition, connaissant son caractère très structurant pour votre activité ?
Gilles Rasigade. En 2017, nous avons créé une équipe stable sur la partie infrastructure et data, pour reprendre la main sur les sujets de sauvegarde, disponibilité, hébergement, et à partir de là, converger sur les sujets applicatifs. Le début de la migration a ainsi pu avoir lieu fin 2018, avec 8 personnes consacrées à ces objectifs, et chargées de faire le lien entre notre équipe de développeurs et notre équipe « plateforme ». Nous respectons en ce sens une approche DevOps, et avons continué à mettre en production de nombreux services tous les jours. Nous profitons en effet de ces changements pour faire évoluer notre philosophie : l’objectif à terme est bien que les développeurs fassent la mise en production des services. Pour cela, il faut être bien outillé, afin de réduire les temps à y consacrer, tout en ayant un contrôle fin des déploiements et de la gestion progressive du trafic.
Cela semble impliquer un gain de maturité important pour vos équipes, au-delà d’un simple « changement technologique » autour d’une plateforme cloud ?
Gilles Rasigade. Nous avons clairement un chevauchement d’enjeux culturels et technologiques. Cela se ressent jusque sur la chaîne métier. Il y a eu une prise de conscience à tous les niveaux sur les implications que recouvrait le fait de rendre disponible 24H/7J notre service en croissance. Et pour avoir une proximité métier forte, il faut que l’équipe technique soit la plus à l’aise possible avec la plateforme technologique mais aussi avec les changements d’usages. Le lien business se crée au quotidien dans ces conditions. Nous avons ainsi un département technique associé à chaque département business dans l’entreprise, en colocalisation. Toute évolution technique conduit à un dialogue avec les équipes métiers au fil de l’eau.
Quelles sont les autres implications de cette évolution culturelle ?
Gilles Rasigade. Nos attentes vis-à-vis de nos partenaires changent. Nous attendons aujourd’hui qu’ils nous accompagnent sur la partie purement technologique, mais également qu’ils soient proactifs et qu’ils nous alertent sur les sujets engageants pour l’avenir. Il ne s’agit pas de parler de « partenariat » dans le vide, mais bien de créer une relation forte entre deux équipes, qui va permettre d’éviter les impasses dans des écosystèmes de plus en plus complexes. Il est évident qu’un Google Cloud, pour reprendre mon exemple, a une culture très particulière et dynamique, face à d’autres types d’entreprises. On regarde la proximité que ces partenaires savent fournir, la facilité d’accéder aux bonnes personnes, notamment en termes d’expertise technique… Et nous n’hésitons pas dès le départ à poser des questions qui peuvent fâcher, car cela permet de jauger de la qualité des réactions. Nous surveillons les zones grises des discours et le temps des réponses à nos questions, qui sont d’excellents indicateurs de la qualité du partenaire. Quand on recrute de nouveaux talents pour rejoindre Kapten, on recherche des personnes exceptionnelles, qui nous permettent autant d’apprendre d’eux que de partager nos convictions. Il faut exactement la même approche pour ses partenaires technologiques.
* Concept qui implique d’automatiser la mise hors service aléatoire d’instances dans l’environnement de production afin de s’assurer que l’architecture est suffisamment redondante pour que le service continue malgré tout d’être délivré.