Le tribunal de grande instance de Paris a rafraîchi, fin décembre, la mémoire du moteur de recherche américain pour l’obliger à déférencer des liens.
A l’ère d’Internet et des moteurs de recherche, la diffamation prend une tout autre tournure. Si une rumeur auparavant se cantonnait au voisinage, elle est, aujourd’hui, exposée au monde entier. L’ordonnance de référé du 16 septembre 2014 rendue par le président du tribunal de grande instance (TGI) de Paris s’inscrit dans ce courant jurisprudentiel qui prend en compte ces nouvelles préoccupations. Pour la première fois depuis la consécration du droit à l’oubli par la Cour de Justice de l’Union européenne, un juge français a enjoint au moteur de recherche Google « sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard pendant deux mois », de déréférencer des liens. L’affaire est d’une grande banalité sur le plan des faits.
Trois personnes physiques s’estiment victimes d’une diffamation sur Internet. Elles saisissent la justice et obtiennent la condamnation pour diffamation de l’auteur des propos par le tribunal correctionnel de Paris. Seulement, les trois victimes constatent qu’en dépit du premier jugement rendu qui reconnaît leurs statuts de victimes, des liens naturels demeurent proposés sur le moteur de recherche numéro 1 de France, liens qui mènent vers les contenus diffamatoires. Ces personnes s’adressent alors à Google France pour faire retirer ces liens et rien ne se passe. Les trois victimes vont dès lors engager une seconde démarche judiciaire pour faire reconnaître leurs droits, contre Google France lui-même. C’est cette décision du 16 septembre 2014, rendue dans la lignée de la jurisprudence européenne sur le droit à l’oubli.
Soucieuse de préserver le droit à la vie privée et à la réputation, la Cour
Google n’est pas un juge
Ainsi, la Cour de Justice européenne donne l’occasion aux moteurs de recherche, et principalement à Google, de rendre justice par eux-mêmes et d’être leur propre arbitre. Pire encore, le juge européen consacre un droit en construction sans même définir ni son cadre ni les critères de sa mise en application, laissant les moteurs de recherche interpréter à leur guise et surtout à leur profit ce droit à l’oubli. Google a profité de ce vide juridique pour publier un rapport le 6 février 2015*, avec l’aide de représentants d’entreprise et d’experts européens, en proposant des critères pour aider les moteurs de recherche à faire le tri entre les demandes de déréférencement fondées et infondées. En réalité, Google réalise ainsi un véritable coup marketing en détournant à son profit une décision qui se voulait à l’origine contraignante. Mais Google n’est pas le juge !
En condamnant Google à retirer des liens diffamant, le juge des référés français rappelle au moteur de recherche qu’il ne peut arbitrairement décider seul d’exclure une requête de déréférencement. L’autorité judiciaire se pose ainsi en gardienne du droit à l’oubli, et reconnaît l’urgence de la situation, puisqu’elle enjoint le moteur de recherche à déréférencer sous astreinte provisoire de 1 000 euros par jour de retard. Google a tenté de limiter les conséquences de cette injonction à ses seuls liens assortis du nom de domaine « google.fr » mais sans succès. Le tribunal de grande instance de Paris a considéré que, puisqu’il est possible de se connecter sur toutes les autres terminaisons du moteur de recherche depuis la France, toutes les pages Google sont concernées.
Bien qu’il s’agisse, ici, d’une simple ordonnance de référé, cette jurisprudence risque de faire date et imposera l’état de droit et la fin de l’hégémonie du moteur de recherche gendarme du Net … mais non de la rumeur. Les colporteurs ont tout de même encore de beaux jours devant eux.
Découvrir l’infographie : « Google et le droit à l’oubli, un an après »