Laurent Rousset est le directeur des opérations digitales et des systèmes d’information du groupe Adecco, spécialiste franco-suisse de l’intérim. Il partage sa perception sur la notion de legacy et la façon dont elle est appréhendée dans les entreprises.
Quels enseignements retirez-vous de notre workshop digital consacré à la dette technique et à la gestion du legacy ?
J’ai surtout été surpris par le fait que tout le monde n’ait pas la même définition du legacy, loin de là. Certains ont évoqué leurs enjeux avec des solutions comme Office 365 et d’autres sur la gestion de leur parc d’ordinateurs fixes… Cela fait prendre conscience à quel point les équipes IT se sont retrouvées ces derniers mois dans une logique de « back to basic ».
Il faut le reconnaître, 2020 et la crise sanitaire a montré que l’IT faisait un super boulot, vital pour l’entreprise. Mais cela a concentré l’attention sur des sujets basiques. Je ne pense pas que les DSI en soient sorties grandies sur les enjeux de fond de la transformation et de la digitalisation. Je ressors d’ailleurs de cette période avec un sentiment mitigé : nous avons été mis sur le devant de la scène et nous avons sans doute vu que la DSI était la direction la mieux adaptée pour gérer ce genre de crise. Mais nous avons aussi été repositionnés avant tout sur le support informatique, la fourniture de matériel, car c’est là que le business attendait des gages de confiance. L’IT a-t-il vu sa place s’améliorer dans la pyramide de Maslow de l’entreprise ? Je ne pense pas.
[bctt tweet= »« On a tendance à croire que tout ce que l’on développe actuellement au service de la transformation des entreprises n’a rien à voir avec le legacy. Mais en fait, cela en est déjà. » » username= »Alliancy_lemag »]Dans ce contexte, quel est pour vous le véritable sujet du legacy pour les entreprises ?
Pour moi, les systèmes légataires sont ceux qui n’ont pas de valeur ajoutée liée à leur remplacement. Le parfait exemple sont les systèmes transactionnels bancaires qui fonctionnent encore sur leurs bases historiques. L’enjeu n’est pas seulement de « cloudifier » des systèmes pour faire face à une obsolescence technique ; si on ne change pas tous les processus, quelle est vraiment la valeur ajoutée ? Le legacy produit une valeur transactionnelle, mais un redéveloppement amènerait un ROI nul. Nous avons le cas dans mon entreprise avec le middle office.
Trouver le ROI pour remplacer une telle brique, qui a coûté des dizaines de millions d’euros, je ne saurais pas faire, à moins de changer radicalement la façon dont on pense le sujet, et donc le système d’information. La véritable problématique du legacy est donc de pouvoir se projeter sur une réingénierie totale des sujets les moins sexys de l’entreprise, alors que celle-ci est habituée avant tout à travailler sur ses front-offices. Moderniser des systèmes en les faisant migrer sur de nouvelles plateformes, on sait faire ; mais cela ne suffit pas à rendre l’opération intéressante : saura-t-on exposer de façon intéressante ces systèmes ? Faire plus ou différemment que ce qu’ils faisaient jusque-là ?
À quel point les DSI doivent-elles changer leur façon de concevoir le sujet ?
On a tendance à croire que tout ce que l’on développe actuellement au service de la transformation des entreprises n’a rien à voir avec le legacy. Mais en fait, cela en est déjà. Toute la question est de savoir quelle posture l’entreprise va adopter pour le faire vivre dans le temps. Ma vision est que les développements spécifiques, qui sont évidemment très exigeants à maintenir, ne sont pertinents que pour quelques sujets sur lesquels l’avantage concurrentiel pour l’entreprise est clairement identifié. Cet avantage permettra d’assumer sur le long terme l’existence d’un tel système légataire. Mais pour tout le reste, le progiciel en SaaS est beaucoup plus intéressant à partir du moment où l’on intègre tous les avantages liés à la gestion de la dette, au gain de time-to-market. Les arbitrages doivent bien prendre en compte tous ces paramètres relatifs à la vie sur le long terme des systèmes.
[bctt tweet= »« Est-on capable dans une entreprise de penser « out of the box » quand il est question du système d’information ? » » username= »Alliancy_lemag »]Le cloud joue donc un rôle important dans l’évolution de votre gestion de la dette technique ?
Il faut nuancer. Je ne suis pas du tout IaaS, mais suis plutôt convaincu par les avantages du PaaS. Toutefois, à ce stade, il faut bien souligner qu’il y a encore peu de sujets sur lesquels la différence a vraiment été faite dans le monde réel, à part dans l’univers des bases de données. La base de données est vraiment la grande gagnante du PaaS. Mais de plus en plus d’éditeurs SaaS se plateformisent, et, me semble-t-il, les sujets SaaS et PaaS vont donc à l’avenir continuer à se rapprocher.
Lors de notre atelier, vous avez souligné que la dette technique est aussi une dette intellectuelle. Que voulez-vous dire ?
Je reconnais que la dette peut être technique, c’est-à-dire « fonctionnelle », mais elle est avant tout liée à la façon dont l’outil a été pensé par l’entreprise. Cela rejoint la problématique du développement spécifique. Est-on capable dans une entreprise de penser « out of the box » quand il est question du système d’information ; de vraiment innover en repensant des systèmes hypercomplexes mais qui n’ont pas une valeur directement visible et quantifiable pour nos clients ? Notre middle office permet de faire toutes les paies et les règlements de nos clients. On peut donc considérer qu’il est au cœur de business, et pourtant il ne pèse absolument pas sur la valeur de nos contrats.
Le transformer est en fait moins une question de technologie que de processus. En cela, une organisation a vite fait d’accumuler une dette intellectuelle dans la façon dont elle pense ses processus et ses services. Nos premiers développements middle office datent de 2008 ; ils ne sont plus en phase avec ce que l’on pourrait imaginer aujourd’hui en termes de processus. D’ailleurs, actuellement, la question que l’on se pose est plutôt : doit-on vraiment gérer les paies nous-mêmes ? Est-ce que notre métier n’est pas plutôt de se concentrer sur le recrutement et la formation ? C’est, en filigrane, une vision stratégique du modèle de l’entreprise qui est remise en question, pas juste de la technique sous-jacente. La valeur n’est-elle pas plus relationnelle que transactionnelle ?
Quels sont pour vous les sujets les plus importants à traiter dans les prochains mois ?
Je ne vais en retenir qu’un seul, qui est clairement la plateformisation. C’est là qu’on voit les transformations les plus différenciantes se faire, à travers notamment l’ouverture des services sur l’écosystème grâce à l’APIsation. Le modèle B to C nous montre la voie : le self-service pour les clients, les candidats, les intérimaires, est une demande forte. Nous travaillons aujourd’hui à la mettre en œuvre.