Arrivée chez Bel il y a huit mois, Valérie Bourbon revient sur l’évolution de la fonction de CIO au cours de la dernière décennie, désormais plus ouverte et transversale, et anticipe les changements encore à venir. Elle détaille également les projets informatiques mis en chantier dans le cadre du plan de transformation engagé par l’entreprise de l’industrie agroalimentaire sur les cinq prochaines années, pour gagner en efficacité et se différencier sur son marché.
Après plusieurs années au poste de CIO chez Dim, vous avez rejoint le groupe Bel en septembre dernier. Dans quel contexte s’est opérée cette transition ?
En poste depuis plus de 4 ans chez Dim, devenu autonome après la revente par le groupe américain Hanes Brands International de ses activités européennes, je venais de consacrer de longs mois à la séparation et à la reconstruction d’un système d’information indépendant. La séparation avait été complexe et avait nécessité un engagement fort des équipes. Mais elle s’était finalement passée dans les temps et sans aucune interruption opérationnelle. Après cette aventure, j’avais envie de voir autre chose et l’opportunité du poste de CIO chez Bel s’est présentée, avec son fort niveau de challenges et un plan de transformation IT ambitieux.
Quels défis vous ont attirée dans ce nouveau poste ?
Secteur d’activité (agroalimentaire), taille (11 800 collaborateurs, 3,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires), management, organisation… Le changement de contexte ne vous a-t-il pas effrayée ?
Lorsque vous occupez le poste de CIO, il ne faut pas redouter les défis. Par ailleurs, si le contexte et les problématiques métiers (organisation de la collecte du lait, gestion de la qualité, etc.) sont effectivement très différents, et embarquent leur lot de de complexité, les enjeux et les applicatifs restent assez proches. En arrivant, je ne me suis pas sentie perdue. Une large partie du système d’information était comparable à ce que j’avais connu dans mes précédentes expériences.
En arrivant dans ce type de poste, comment se fait-on une place dans l’organisation, notamment vis-à-vis du Comité exécutif ?
Il est important de commencer par écouter et questionner, afin de comprendre les enjeux et les attentes vis-à-vis des systèmes d’information. Le dialogue avec toutes les parties prenantes est fondamental, aussi bien au niveau du top management qu’avec les directions métiers. Les premières ont la vision et l’ambition, les secondes permettent de faire le lien avec la réalité sur le terrain. Ces dernières années, j’observe une évolution des interactions entre Comex et direction IT, avec une augmentation de l’importance de la gouvernance technologique au sein des entreprises. La communication et la collaboration entre le CIO et les membres du Comex deviennent de plus en plus étroites, en raison de l’importance croissante de la transformation numérique. Les enjeux de cybersécurité et de conformité réglementaire sont également des facteurs qui influent sur la stratégie globale. En tout état de cause, l’évolution des tendances technologiques et les projets de transformation nécessitent la création d’un partenariat solide et stratégique entre l’IT et le Comex pour assurer le succès des entreprises.
Comment s’opère la collaboration avec les métiers ?
La collaboration entre l’IT et les directions métier repose sur une compréhension mutuelle des enjeux et des objectifs, ainsi que sur une communication régulière et une adaptation aux besoins changeants de l’entreprise. L’IT doit gérer des problématiques de disponibilité et de performance des systèmes d’information, l’obsolescence de leurs multiples composants, l’identification des innovations technologiques. Les métiers recherchent de l’efficacité opérationnelle, des nouveaux services. Pour répondre à cette double approche, les études de marchés et l’évaluation des solutions s’opèrent de manière conjointe dans une approche d’intelligence collective.
Avec déjà une longue carrière dans ce type de poste (Ubisoft, Smartbox, Ipsen, etc.), quelles évolutions du positionnement et des missions du CIO avez-vous perçues ?
Dans les années 2000, période pendant laquelle j’ai commencé à occuper des postes de CIO, l’IT restait une commodité, presque un mal nécessaire : pour soutenir les processus de l’entreprise, il fallait un système informatique. L’essentiel des conversations avec les directions générales à cette époque tournaient autour de la réduction des coûts, afin de faire la même chose pour moins cher ! Ces dernières années, un vrai changement s’est opéré. Les instances dirigeantes ont pris conscience de la valeur stratégique des avancées technologiques, capables de générer un avantage concurrentiel au travers de nouveaux modèles économiques, d’une optimisation de la productivité, ainsi que d’une amélioration des processus opérationnels. En ce sens, le CIO, autrefois rattaché à la direction financière ou opérationnelle, a vu son positionnement évoluer, parfois jusqu’à intégrer le Comex. La DSI s’est ainsi ouverte et transversalisée, pénétrant tous les niveaux de l’entreprise, et collaborant étroitement avec les directions métiers. Elle s’est également rapprochée de la direction générale, gagnant en puissance et en influence. Dans cette mouvance, je vois le CIO du futur continuer à développer une compréhension approfondie du secteur d’activité de l’entreprise, lui permettant d’identifier les opportunités technologiques spécifiques à son domaine.
Comment le digital contribue-t-il à la performance des entreprises ? Avec quels leviers d’optimisation ?
Le digital contribue à la performance globale en améliorant l’efficacité opérationnelle, grâce à des systèmes robustes et efficients. Les dernières technologies améliorent aussi l’expérience utilisateur et facilite la prise de décision. Seulement, on observe depuis quelques années une fragmentation des données issues des différentes sources, internes et externes, et une explosion des volumes. Le challenge consiste donc aujourd’hui à organiser une gouvernance forte de la « data », pour garantir la qualité et la disponibilité des données tout au long des processus, et suivre les technologies associées. C’est le rôle du Chief data officer, un poste qui se développe dans les entreprises depuis quelques années, comme chez Bel.
Comment appréhendez-vous l’arrivée des technologies émergentes ?
Il est important pour moi de rester à l’écoute des nouvelles technologies, notamment en échangeant avec mes pairs, avec mes équipes, avec les experts de ces sujets. La réalisation de pilotes ou de prototypes, quand cela est possible, est une vraie opportunité afin de comprendre quelles sont vraiment les possibilités ouvertes grâce à ces innovations. Dans une précédente expérience, mon entreprise avait construit un « Lab » exploratoire afin d’identifier les technologies émergentes, monter des prototypes et réaliser du partage de connaissance avec les équipes métiers les plus susceptibles de les exploiter. Cela permettait de lancer des discussions et d’évaluer assez rapidement les bénéfices à tirer de ces technologies et leur adéquation potentielles aux enjeux métiers.
Plus concrètement, comment réalisez-vous ces évaluations et procédez-vous aux éventuels déploiements ?
Sur l’IA générative par exemple, nous avons créé une équipe dédiée, avec comme objectif de travailler avec les métiers pour identifier des cas d’usage pertinents, les développer, les tester et en faire la promotion quand les gains de productivité sont avérés. Cette boucle de réflexion itérative nous permet de lancer d’éventuels déploiements et d’identifier des pistes d’optimisation. D’une façon générale, avant de monter une équipe, il est important d’étudier chaque innovation, pour bien comprendre les enjeux, le fonctionnement et les possibilités. Dans une autre expérience, j’avais ainsi réalisé un état des lieux des technologies, des cas d’usages et des premières expérimentations sur le Métavers avec une équipe intéressée par le sujet. Ces réflexions avaient ensuite été partagées avec les fonctions marketing et e-commerce puis la direction générale. Nous avions alors décidé d’un commun accord de nous positionner en suiveur afin d’observer la façon dont notre marché allait s’approprier, ou non, cette technologie. A postériori, nous avons bien fait puisque la tendance s’est assez vite essoufflée. Mais cette démarche était nécessaire, afin de ne pas passer à côté d’une transformation majeure que nous n’aurions pas vu arriver. Je considère que c’est le rôle d’un CIO de stimuler la recherche de technologies innovantes et de nouvelles méthodes de travail, pour soutenir la croissance et l’agilité de l’entreprise.