Guillaume Rincé est le Chief Technical Officer de la MAIF. Il détaille la façon dont la société d’assurance mutuelle a fait évoluer sa conception du digital workspace pour ses collaborateurs depuis quatre ans et ce qu’une année de crise a changé en la matière.
Alliancy. Quel a été l’impact de l’année écoulée sur votre vision de l’environnement numérique de travail de vos collaborateurs ?
Guillaume Rincé. Il a fallu évidemment accompagner la bascule de l’entreprise dans des fonctionnements différents. Même pour une organisation répartie sur le territoire comme la nôtre, l’idée de ne pouvoir aller sur aucun site de façon généralisée, et surtout si soudainement, pose des problématiques organisationnelles profondes.
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Nous avons vu deux questions se poser en miroir. D’abord : comment faire travailler un collaborateur du réseau, c’est-à-dire de terrain, de la même façon chez lui ? La réponse a été d’équiper tous nos conseillers des mêmes types de PC portables que les collaborateurs du siège, ainsi que des équipements de confort comme les écrans pour avoir la même configuration qu’au bureau. L’autre question a rapidement été : comment étendre efficacement toutes les fonctions de communications ? Il s’agissait de prendre en compte l’impact de la crise sur le support utilisateur et plus généralement sur l’usage de la téléphonie, très important dans notre activité. Nous n’avons pas révolutionné les outils que nous utilisions, par contre nous avons appris à les déployer différemment. Une année de crise a bien montré que ce que l’on pensait être des obstacles par le passé, comme le fait de généraliser des formations sur ces sujets, n’étaient en fait pas un problème avec l’accompagnement adapté.
Est-ce que cette situation a fait évoluer la posture des principales parties prenantes sur le sujet du digital workspace dans l’entreprise ?
Guillaume Rincé. Je pense que la situation a permis aux DSI de se voir reconnaître comme de vrais partenaires par le reste de l’entreprise. La place de l’IT dans l’organisation s’est rapprochée de ce qui se vit dans des sociétés technologiques innovantes comme les start-up, l’IT rend possible les fonctionnements de l’entreprise. Dans les sociétés qui ont un historique important, cette nouvelle perception n’est pas du tout anodine ! Je pense que les DSI ont surpris par leur capacité à sortir des sentiers battus quand c’était nécessaire.
L’IT a su changer des modes de fonctionnement, et a challengé des prises de décisions traditionnelles quand il le fallait… Et la résilience des organisations agiles pendant cette période difficile a positivement surpris toutes les parties prenantes. Cela a contribué à accélérer les changements de posture : le plus souvent, ce sont nos équipes qui ont donc proposé des solutions directement, ce qui a permis de mobiliser beaucoup d’énergies différentes. Les sujets de digital workspace sont très propices pour créer de la transversalité : ils font travailler naturellement l’IT avec la DRH. Je participe par exemple au comité de direction avec le DRH sur ce sujet. Cela permet à la fois de renforcer la créativité de l’entreprise, mais aussi de mieux suivre les projets sur la durée.
Quelles ont été les principales accélérations qui ont permis de changer la donne selon vous ?
Guillaume Rincé. Cette remise en question du digital workspace ne date pas de la crise. Nous avions commencé à travailler sur le sujet il y a quatre ans et demi ! Les nouveaux outils de communication de type Teams ont amené une accélération, mais nous avons aussi lancé assez tôt de notre côté un réseau social d’entreprise avec Yammer. Cela s’est traduit par une appropriation forte et une intensité d’usage qui s’est largement développée en interne, à partir d’un lancement viral. Cet usage s’est montré très utile depuis un an, car le réseau était déjà devenu un terrain de jeu et d’initiatives pour les collaborateurs. Mais ces aspects ne sont clairement qu’une partie du sujet, il ne faut pas s’y limiter. Nous avons donc aussi renforcé le self-care collaborateur : pour interagir à travers des FAQ/Chatbot ou gérer des opérations simples du quotidien. Cette relation entre digital workspace et opérations RH est vraiment naturelle ; cela facilite la vie de l’utilisateur. Maintenant que nous avons plusieurs années de recul sur le sujet, nous voyons que les pratiques s’ancrent. C’est un changement de fond.
Qu’est-ce qui favorise la coopération entre un DSI et un DRH autour du digital workspace ?
Guillaume Rincé. L’attention portée au collaborateur est éminemment présente dans le modèle social de la MAIF. Et nous avons pu constater que cette valeur a permis de réunir plus facilement DSI et DRH. Nous avons travaillé de façon concomitante autour de l’expérience sociétaire et nous avons pris le parti d’être dans une symétrie des attentions avec le collaborateur et son expérience. Les travaux se sont donc alimentés en boucle : la progression de l’expérience digitale de nos sociétaires a nourri celle des collaborateurs. Ces derniers doivent être à l’aise sur la question de l’expérience sociétaire, pour éviter qu’un fossé ne se creuse. Et comme ce n’est pas qu’une histoire de réponse technologique, il fallait vraiment partir d’une envie commune qui doit tirer à la fois la DSI et la DRH. Ce ne pouvait pas être seulement l’initiative de l’une des deux directions.
Comment s’assurer que l’on adresse les bons besoins des collaborateurs et que l’on ne créé pas des gadgets ?
Guillaume Rincé. On le rappelle souvent : en soi aucun client d’Apple n’aurait au départ demandé la création de l’iPhone… et pourtant ! Il s’agit donc de travailler sur une ligne d’équilibre. Nous menons des learning expéditions pour emmagasiner de nouveaux usages et suggestions, nous multiplions les échanges avec nos pairs pour découvrir des expériences et nous ouvrir… Cela permet de tracer une ligne de direction. Mais en parallèle, nous travaillons aussi à faire remonter énormément de retours de terrain car il n’y a pas que les « grandes idées stratégiques » qui apportent des bénéfices dans l’expérience du collaborateur. Répondre à des petites attentes de terrain peut vraiment faire la différence au quotidien. La crise a aussi été l’occasion de rééquilibrer cette approche, en laissant plus de place aux questionnements sur cette satisfaction des détails, car précédemment nous avions tendance à nous concentrer plutôt sur les grands programmes de long terme. Ensuite, il ne faut pas sous-estimer l’important travail de diffusion et d’information qu’il faut mener en continu pour générer de l’adhésion aux nouveaux usages du digital workspace. C’est un suivi qu’il faut organiser dans la durée, les produits de la digital workplace évoluent et s’enrichissent en continue, c’est très positif à condition de bien l’accompagner au plus près des utilisateurs.
Votre façon d’appréhender la place des applicatifs métiers au sein du digital workspace a-t-elle dû changer ?
Guillaume Rincé. La question de l’expérience utilisateur sur les applicatifs métiers est effectivement clé. Ceux-ci souffrent souvent à tous les niveaux, du déploiement jusqu’à l’utilisation, de la comparaison avec les outils collaboratifs utilisés dans la vie quotidienne et maintenant dans l’entreprise. Il ne peut pas y avoir des décalages trop importants en termes d’expérience. Pour porter une attention spécifique au sujet, nous avons créé, il y a un an, au sein de la DSI le métier de designer d’UX pour les applications internes. C’est un rôle qui agit également sur la partie expérience du poste de travail et ainsi que sur l’expérience des solutions de sécurité, qui est un sujet à part entière. On le voit, le sujet est plus large que la seule tâche souvent attribuée aux équipes digitales. Mais la plus grande difficulté reste le « stock du patrimoine » et l’existence de nombreuses couches déjà existantes dans le système d’information, qu’il faut faire évoluer.
Un exemple de ce que cela peut impliquer comme changement ?
Guillaume Rincé. Un bon exemple est la révision de nos vues d’accueil dites « 720 degrés », c’est-à-dire qui font deux fois le tour du profil et de la situation du sociétaire. C’est un outil que nous avons redesigné avec les utilisateurs directement pour nous assurer que les vues fournies étaient vraiment utiles et efficaces. Nous sommes partis du plus petit dénominateur commun qui réunissaient les usages de tous les types d’utilisateurs, pour être certains que l’expérience au quotidien était à la hauteur de l’importance que revêt pour l’activité de l’entreprise cet applicatif.
Quels sont vos prochains défis ?
Guillaume Rincé. Je vois deux sujets importants pour les prochains mois. Le premier est de dépasser les deux modes de fonctionnement très crantés qu’ont connus nos entreprises : le travail majoritairement au bureau d’un côté et le travail à distance, souvent à la maison, de l’autre. L’après crise sanitaire se traduira probablement par un fonctionnement hybride où les équipes seront à parts égales à la fois dans l’entreprise et à distance. Nous allons devoir explorer les codes de ces nouveaux fonctionnements véritablement mixtes. Il va donc falloir re-imaginer une expérience globale avec des réponses qui seront à la fois culturelles, RH et technologiques. En tant que DSI, cela va donc nous occuper énormément d’accompagner cette nouvelle culture du travail avec les technologies. Le second sujet, ce sont justement les outils de demain. Pour l’heure, nous utilisons des outils assez standards, qui sont l’héritage de ceux que l’on connaissait il y a dix ou vingt ans. Nous attendons maintenant les vrais outils de la « phygital workplace », qui auront une approche originale pour gérer l’hybridité géographique et digitale. Nos équipes d’innovation conduisent déjà les premières investigations et cela soulève des questions passionnantes !