Guy Mamou-Mani est co-président de l’ESN française Open. Il détaille comment les derniers mois ont accéléré les transformations du secteur et l’évolution de la posture commerciale de son entreprise.
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Alliancy : En tant qu’ESN, à quelles remises en question avez-vous dû faire face en 2020 ?
Guy Mamou-Mani : Comme beaucoup d’entreprises, les ESN n’étaient absolument pas préparées à la mi-mars pour une crise sanitaire de cette ampleur. Dans le cas d’Open, les investissements que nous avions réalisé, notamment en matière de sécurité, ont permis à nos collaborateurs de continuer leur activité. Chez certains clients, il y a eu cependant un arrêt assez net des projets et cela a conduit plusieurs centaines de personnes en activité partielle. Le Syntec Numérique évalue la décroissance du secteur à environ -25%. Dans nos prévisions, Open va mieux s’en sortir, notamment parce que beaucoup de nos clients sont dans le secteur bancaire, moins touché. Mais qu’en est-il d’ESN plus petites ou exposées à des secteurs en crise profonde ?
Quels changements anticipez-vous dans le secteur pour les mois à venir ?
Guy Mamou-Mani : Notre secteur va sans doute bénéficier de la plus forte reprise dans l’économie française, car tous ceux qui ont stoppé leurs activités numériques vont effectuer un rattrapage et ceux qui avaient des résistances vont les débloquer. L’administration publique va notamment être en première ligne et mener des projets très structurants, à l’image du Health Data Hub dont Open est un des architectes.
Au-delà de la parenthèse 2020, je pense donc qu’il va y avoir des investissements importants pour installer de nouveaux usages numériques dans la durée et pour transformer les systèmes historiques encore majoritaires dans les entreprises. Les PDG vont dire à leur DSI : tout ce que vous pouvez économiser sur ce « legacy » vous pourrez l’investir à budget équivalent dans la transformation numérique.
Comment évolue votre relation avec les DSI justement ?
Guy Mamou-Mani : Je pense que nous sommes à la croisé des chemins. Les DSI peuvent avoir la tentation de venir voir les ESN en disant simplement : il faut réduire vos prix. La question que nous devons nous poser est plutôt : comment devenir plus efficace ensemble ? Cela implique d’être bien plus qu’une régie à l’ancienne, façon SSII. Une posture de centre de services permet à la fois de réduire les coûts, par rapport à la valeur créée, tout en rémunérant mieux nos talents.
C’est une attente cohérente alors que les entreprises suivent le chemin de la plateformisation et changent leur relation avec les prestataires pour des partenariats beaucoup plus riches. La période de crise a permis de créer une intimité nouvelle avec les clients : les ESN qui vont le mieux s’en sortir seront celles qui pérenniseront cette proximité. Pour cela, il faut parler de transformation globale et d’enjeux de business model, pas seulement de « jour/homme ».
A quel point cela implique-t-il un changement de pratique commerciale et de prospection ?
Guy Mamou-Mani : Il devient primordial de faire évoluer les profils des commerciaux et les processus de vente, pour prendre en compte ce changement de posture. Il faut intégrer le fait que la discussion va être de haut niveau avec le client, et ne consistera pas seulement à « vendre de la ressource ». Un commercial en ESN dont le discours repose sur la disponibilité de ses développeurs Java ou Angular est aujourd’hui à côté du vrai sujet. Cela implique d’importants plans de formation pour nos commerciaux, à la fois sur leurs compétences propres, sur les façons dont ils prospectent et dont ils travaillent ensemble. Dans le cas d’Open par exemple, Kynapse, notre cabinet de conseil, nous sert de locomotive : il apporte des opportunités de haut niveau pour tous nos commerciaux.
Ce parti-pris renvoie d’ailleurs aux nouveaux modes de fonctionnement, basés sur l’agilité organisationnelle, qui s’imposent chez les entreprises clientes. Il n’y a plus de « cycle en V » : les ESN peuvent donc faire du business différemment, apporter du conseil et mener des MVP rapides. La régie ne se trouve plus au centre du modèle.
Vos outils changent-ils également ?
Guy Mamou-Mani : A plusieurs niveaux. D’abord, pour les ESN le recrutement reste clé : l’utilisation des outils digitaux est en la matière acté, avec chez Open, un tiers des recrutements par cooptation, un tiers grâce à une approche contractualisée avec LinkedIn et le dernier tiers par le biais d’autres plateformes web. Mais c’est également valable pour la prospection commerciale. Nous avons aujourd’hui de plus en plus de demandes entrantes directement par notre « store » en ligne.
Je crois de toute façon de moins en moins au commercial qui passe cinquante coups de fil par jour sans avoir le temps de créer une vraie intimité client. Il doit pouvoir au contraire capitaliser sur la dématérialisation d’un point de vue opérationnel et sur la transformation de l’image employeur pour incarner des valeurs, en miroir à celles des clients. Open est par exemple très fier d’avoir 94 sur 100 sur l’index de l’Égalité professionnelle femmes hommes. Nos commerciaux sont capables de mettre nos valeurs et nos façons de travailler en avant lors du processus de vente. S’il s’agit juste de parler de prix, une plateforme numérique peut le faire automatiquement.
Pendant la crise sanitaire, notre priorité a été de prendre soin de nos collaborateurs, en plus d’assurer la survie de l’entreprise. Et il y a eu en retour un engagement très fort de nos salariés autour des valeurs de l’entreprise. Pour assurer l’avenir, il faut que nous puissions recréer cela même après la crise, dans la relation avec tous nos clients, pour assurer des transformations de haut niveau.
Résilience pour le Groupe Open face à la crise
L’ESN co-présidée par Guy Mamou-Mani a publié ses résultats pour le premier semestre 2020, le 10 septembre dernier. « Dans un contexte incertain et toujours marqué par un manque de visibilité », l’entreprise limite cependant le choc : un chiffre d’affaires à 147,9 millions d’euros signifie que le groupe ne subit qu’une décroissance de 5% par rapport à 2019, attribuée directement à la crise sanitaire. L’ESN a dû faire appel comme de nombreuses entreprises au chômage partiel jusqu’au 1er août, mais n’a pas sollicité de prêt garanti par l’Etat (PGE). Pour capitaliser sur cette résilience, les fondateurs du groupe lance une offre publique d’achat sur les actions Groupe Open avec à la clef un nouveau pacte d’actionnaires qui permettra « d’accompagner la transformation de l’entreprise ».