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Hacene Lahreche (SNCF) « Avec les Living Labs 5G, nous testons de nouvelles façons de travailler dans les Technicentres »

En France, la SNCF est l’une des pionnières dans l’expérimentation de la 5G. Débutés en gares depuis 2019 sous l’impulsion du régulateur télécoms, les tests en 5G du groupe ferroviaire s’invitent désormais dans ses Technicentres. Et pourrait bien, à terme, devenir le standard de communication de l’ensemble de la société. Entretien avec Hacene Lahreche, Directeur connectivités pour la transition numérique à la SNCF.

Cet article est extrait du guide Les défis d’un nouveau monde à télécharger « 5G : comment passer de l’expérimentation à l’industrialisation ? ».

Alliancy : Pour quels usages le groupe SNCF s’intéresse-t-il à la 5G ?

Hacene Lahreche – SNCF

Hacene Lahreche. Pour la SNCF, la 5G est cruciale car d’un côté elle transforme la connectivité dans les gares et les trains et en milieu industriel et de l’autre elle apporte une nouvelle connectivité ferroviaire, qui utilise encore des fonctionnalités déployées en 2G. C’est pourquoi nous menons plusieurs projets en 5G, de deux catégories. Il y a d’abord ceux que nous portons au niveau de la division e.SNCF. Il s’agit des trois expérimentations initiées dans le cadre du comité stratégique de filière numérique dès octobre 2019, lorsque l’Agence de régulation des télécommunications (Arcep) a ouvert son guichet pour la bande de 26 GHz.

L’idée est de tester, à Rennes, à Nantes et à Lyon, comment un réseau 5G d’opérateur améliore l’expérience client en gares et le quotidien des agents SNCF. Les bandes de 3,5 GHz et de 26 GHz ont toutes deux été utilisées. La première pour le suivi de la maintenance en réalité augmentée via des terminaux mobiles ; la seconde pour des services complètement nouveaux, comme le téléchargement instantané de contenus médias en gare, afin d’éviter de saturer le wifi à bord du train. Selon nos tests, la connectivité 5G pour un tel cas d’usage dépasse les 4 Gb/seconde. Vous pouvez donc télécharger un film en 4K en quelques secondes seulement.

Nous avons aussi des expérimentations sur le déchargement de données. Quand un train arrive dans un centre de maintenance, il y a beaucoup de données de circulation à décharger. En utilisant ces bandes de fréquences, cela permet de récupérer ces données de manière quasi instantanée dès que le train arrive en gare de stockage afin de les analyser.

Pour aller plus loin :  Retour sur l’échange digital « 5G » 

Et le second volet d’expérimentation ?

H.L. A la suite de cela, en 2020, dans le cadre du plan de relance, nous avons obtenu un label pour deux projets. Le premier, à Rennes, s’appelle Living Labs 5G. C’est l’extension de ces projets en gare mais appliquée aux centres industriels de la SNCF, qui sont de deux types : les Technicentres de maintenance et les Technicentres industriels, pour le montage et les gros travaux. Nous voulons tester une connectivité industrielle en 26 GHz pour proposer de nouvelles façons de travailler dans les Technicentres.

Nous sommes aussi partenaire d’un autre projet, également labellisé dans le cadre du plan de relance : CRIIOT, pour Critical IoT. Le chef de file de ce projet s’appelle Sequans, une PME qui développe des chipsets de connectivité. L’enjeu est de développer une connectivité spécifique pour les communications machine-to-machine (M2M) en 5G. Nous y croyons beaucoup car, pour l’instant, tous les sujets IoT s’appuient sur plusieurs technologies propriétaires différentes, qui ont chacune leurs intérêts et leurs inconvénients, mais il n’y a pas de protocole unifié. A l’avenir, on pourra certainement s’appuyer sur un réseau privé 5G, quand il y en aura, ou sur un réseau hybride.

D’autres entités de la SNCF mènent aussi des programmes de recherche sur la 5G, en particulier la division Innovations, Recherche et Réseaux, mais ceux-là concernent plutôt les opérations ferroviaires.

Justement, vous évoquiez un bond des réseaux télécoms ferroviaires de la 2G à la 5G…

H.L. C’est exact. Jusqu’à maintenant, les réseaux ferroviaires (Tetra, GSM-R…) s’appuient principalement sur de la 2G, avec des fonctions spécifiques de sécurité et des bandes de fréquences (900 MHz…) dédiées uniquement à ces usages, décidées au niveau européen. Comme ces réseaux sont fiables et que les agents SNCF s’étaient habitués à travailler avec, ils sont toujours utilisés pour les opérations ferroviaires à l’heure actuelle. Toutefois, ils deviennent de plus en plus obsolètes. La 5G est particulièrement intéressante pour ces usages car elle fonctionne sur une architecture logicielle, sur laquelle on va pouvoir facilement greffer ces mêmes fonctionnalités, mais virtualisées.

La future bande choisie par l’UE pour les futures communications ferroviaires est celle des 1900-1910 MHz, pour opérer ce que l’on appelle le Future Railway Mobile Communication System (FRMCS), soit une classe de fonctionnalités qui s’appuieront sur la 5G.

« Pour les DSI, l’enjeu sera de démontrer à leur direction les gains qu’apportera la 5G. Et les quantifier par rapport à ces coûts »

Le fait que la SNCF opère des réseaux depuis des années influe-t-il sur votre manière d’appréhender la 5G ? Sur votre rapport avec les opérateurs télécoms ?

H.L. Il est vrai que, grâce à notre expertise, nous connaissons les possibilités et les limitations des moyens de télécommunications et donc nous savon mieux anticiper la 5G. Prenons l’exemple de la gestion financière. Pour une entreprise, les réseaux télécoms représentent un coût. Or, la SNCF, tout comme toutes les entreprises qui, pour des raisons historiques de gestion de services critiques et de sécurité des personnes, ont opéré des réseaux télécoms depuis des années, savent l’anticiper et le prendre en compte dès les premières phases d’implémentation. Une entreprise qui n’a pas encore d’expertise dans les réseaux, elle, n’aura pas cette notion de coût. Pour les DSI, l’enjeu sera de démontrer à leur direction les gains qu’apportera la 5G. Et les quantifier par rapport à ces coûts – un vrai défi.

Quant à notre relation avec les opérateurs, le véritable changement viendra quand ils pourront proposer de nouvelles fonctionnalités, en particulier le slicing. 

En effet, la 5G va permettre, pour les opérateurs, de couvrir en 5G des zones aujourd’hui blanches car ils auront davantage d’opportunités d’affaires avec, potentiellement, à la fois des clients B2C en réseaux publics mais aussi des industriels et leurs besoins en réseaux privés. Les opérateurs vont donc pouvoir mutualiser leurs infrastructures télécoms pour ces deux types de clients et les entreprises y gagneront aussi en s’appuyant sur des offres qui n’existaient pas jusqu’à présent.

Quand prévoyez-vous de passer de l’expérimentation de la 5G à son industrialisation ?

H.L. Il y a deux types de calendrier : celui qui concerne les bandes communes, 3,5 GHz et 26 GHz, pour lesquelles on imagine une industrialisation d’ici trois ou quatre ans.  Notre projet de Living Labs 5G s’échelonne sur trois ans et nous voulons l’utiliser pour amener les différentes entités du groupe à tester aux quotidiens la 5G afin de déclencher, à l’issue de cette preuve de concept, un plan d’extension d’expérimentation qui nous permettra d’équiper progressivement les Technicentres.

Pour les besoins ferroviaires, notre feuille de route, qui s’appuie sur le plan européen pour l’évolution des systèmes de communications ferroviaires, s’étale sur dix ans.

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