Depuis 2013, le groupe Veolia s’est réorganisé profondément autour de ses fondamentaux business et d’une mission : « ressourcer le monde ». Hervé Dumas, Group Chief Technology Officer, explique en quoi sa mission – permettre à Veolia d’utiliser au mieux les technologies d’aujourd’hui pour faire du système d’information une ressource et non une contrainte – a été liée à cette transformation aussi économique qu’écologique.
Alliancy. Quels sont ces fondamentaux qui permettent au SI d’être une ressource pour l’innovation de Veolia ?
Hervé Dumas. De manière générale, il s’agit de créer « l’atmosphère digitale » appropriée dans toute l’entreprise. Celle-ci s’appuie sur 4 piliers. D’abord, la modernisation de l’infrastructure elle-même, grâce au cloud. Ensuite, la mise en œuvre d’une capacité d’exploitation de nos données, en créant notre Data Platform, alors que nos métiers s’appuient partout sur des capteurs IoT, que ce soit sur les réseaux d’eau, dans les usines, sur les camions de collecte des déchets… Le troisième aspect a été l’accélération du développement des applications pour faire face à l’augmenta tion importante de la demande de tous les types d’utilisateurs. Le dernier pilier est le changement dans les méthodes de travail et la culture numérique des employés. Une des clés pour exécuter la vision stratégique des dirigeants est en effet de parvenir à instaurer une coopération fluide à travers l’ensemble de l’organisation, puis avec l’écosystème de fournisseurs, partenaires, territoires…
En quoi le choix du cloud vous a-t-il paru prioritaire ?
Hervé Dumas. Il fallait se doter des bonnes technologies pour favoriser la créativité et l’innovation… C’est la fonction première des équipes IT, mais elle se dilue quand le SI devient un poids et qu’il éloigne ces équipes de la mission première de l’entreprise. Un exemple : en 2016, nous avons décidé de nous doter d’une capacité de développement sur mesure, en créant une Digital Factory. Nous l’avons fait en suivant des principes très clairs pour tout le monde : un cadre d’infrastructure cloud et un design d’architecture Serverless. Cette approche « par défaut », permet aux équipes de se concentrer principalement sur le code, la data et la sécurité, qui sont les sujets à valeur ajoutée pour Veolia : ils ne gèrent pas de serveurs, de patchs, de systèmes d’exploitation…
De plus, cette stratégie est fondamentale pour respecter la mission écologique de Veolia. En effet, cela nous permet non seulement d’avoir une informatique efficace d’un point de vue business, mais cela réduit aussi massivement l’impact environnemental de notre système d’information. La tendance générale à la surconsommation du numérique, au niveau mondial, n’est pas soutenable au regard des besoins en énergie et en matériaux que cela implique. Une rupture majeure dans les pratiques IT doit avoir lieu.
Et le cloud est une telle rupture ?
Hervé Dumas. En étant sur des plateformes clouds mutualisées au niveau mondial, Veolia bénéficie des infrastructures qui ont à ce jour la meilleure efficacité énergétique au monde. Les grands opérateurs comme Google Cloud ont un intérêt économique direct à augmenter leur efficience énergétique, car cela impacte leur marge. Ce sont aussi ces opérateurs mondiaux qui investissent le plus dans l’usage des énergies alternatives. Google est « carbone neutral » depuis 2017, ce n’est pas anodin ! Les autres clouds providers n’ont fait que la moitié du chemin, mais tous vont dans le même sens, car le business du cloud n’a pas de futur autrement. En parallèle, l’approche Serverless permet de consommer uniquement ce dont on a besoin au moment où l’on en a besoin. C’est enfin le rendez-vous avec la promesse initiale du cloud : ne payer que ce que l’on consomme. C’est ce qui permet de faire l’association entre le pilotage FinOps* et le pilotage de l’impact environnemental, à travers une gestion plus fine de la consommation. Ce point est crucial pour une entreprise en croissance. Quand nous avons commencé en 2014, ces choix concernaient environ 80 000 employés, contre le double aujourd’hui. Pour autant, avec ces convictions fortes sur les choix d’infrastructure et d’architecture, nous avons fait diminuer les coûts de « run » d’environ 25 %, libérant autant de marge de manœuvre pour les projets et l’accompagnement de l’innovation métier.
Cela renforce-t-il pour autant la culture de l’innovation chez les collaborateurs ?
Hervé Dumas. Oui, à plusieurs niveaux. D’abord, la scalabilité est devenue un non-sujet : quand un service fonctionne, sa mise à l’échelle n’est plus un point de blocage. Si ce n’était pas le cas, il n’y a aucun intérêt pour les collaborateurs à jouer le jeu de l’innovation ! Et en regard, cela a permis de développer une acceptation plus facile de l’échec, pour toutes les activités nouvelles. La culture traditionnelle du pilotage du risque de l’innovation change complètement car l’impact financier est faible. Enfin, cette culture de l’innovation devient compatible avec le développement de la sobriété numérique, où frugalité et partage doivent régner. Et en la matière, les leviers IT ne sont qu’une partie de la réponse : c’est à l’entreprise de faire prendre conscience à ses collaborateurs de l’impact environnemental du numérique, que ce soit en termes d’émission de GES ou de déchets du numérique… Qui sait aujourd’hui, qu’avec un scénario idéal de collaboration autour d’un document partagé, limitant les échanges de mails et de fichiers, on réduit de 81 % les émissions de GES par rapport aux anciennes façons de travailler ? La dynamique d’innovation doit faire naître une gestion responsable des données, des terminaux, des services numériques, depuis la refonte des processus collaboratifs, jusqu’aux décisions de décommissionnement d’applications métiers.
* FinOps : il s’agit d’un modèle opérationnel (une combinaison de systèmes, de meilleures pratiques et de culture) qui permet de comprendre et d’optimiser les coûts du cloud en associant les professionnels de la technologie, du commerce et de la finance.