La nouvelle usine de Lacroix Group – Symbiose – verra le jour en fin d’année à Beaupréau (Maine-et-Loire). L’un de ses objectifs prioritaires : « mettre l’humain au cœur de ce projet », comme l’explique à Alliancy Thomas Lesort, VP Executif Ressources Humaines de cette ETI française.
Alliancy. La « nouvelle usine électronique du futur » de votre groupe, située en France, entrera bientôt en service. Comment embarque-t-on ses salariés dans une telle aventure ?
Thomas Lesort. Le projet de cette usine, dénommée Symbiose, porte sur trois volets d’innovation, dont un volet social, intégrant non seulement des éléments liés au cadre de vie et à l’organisation du travail, mais aussi nous voulions anticiper et embarquer tous nos collaborateurs sur tous ces enjeux de l’industrie du futur.
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Symbiose, c’est l’idée d’une ré-industrialisation ou d’une poursuite de la sous-traitance électronique en France grâce à l’automatisation, la robotisation, l’interface homme-machine et autres solutions numériques. Mais c’est aussi la découverte, au fil de l’eau, d’un certain nombre de métiers d’aujourd’hui et de demain et pour lesquels nos collaborateurs sont accompagnés.
De quels types d’accompagnement parlez-vous ?
Thomas Lesort. D’un accompagnement à de nouveaux modes de travail qui sont au travers d’applicatifs métiers et d’interfaces homme-machine. Il s’agit de passer d’un rôle de simple exécution à un rôle où les opérateurs auront de plus en plus accès à de la scénarisation, ou à des choix proposés par des algorithmes notamment… A partir de là, il faut donc s’assurer qu’ils soient en capacité de prendre des décisions et de remplir leurs missions.
Dans un tel contexte, comment évolue le rôle du management ?
Thomas Lesort. Dans cette industrie du futur, le rôle du manager est en train d’évoluer. Celui-ci, qui reste un planificateur, évolue du « sachant » au « manager coach ». Demain, il sera aidant et facilitateur, capable d’épauler son collaborateur dans ses différents choix. Il y a clairement un renforcement du collaboratif dans cette usine du futur.
Pour suivre en temps réel la construction de la future usine Symbiose…
Quand on parle de digitalisation, on pense aussi « choc des générations ». Qu’en pensez-vous ?
Thomas Lesort. On a effectivement de nombreux entrants sur le marché du travail qui sont assez facilement à l’aise avec ces nouveaux outils, et d’autres plus âgés qui seront dans des phases d’apprentissage, dans lesquelles il y a des habitudes de travail à modifier. A nous de leur apprendre ces nouveaux réflexes et cette capacité à se mettre en interface avec tout l’équipement de production ou autres éléments de simulation. Tout s’apprend !
L’industrie du futur est-elle d’abord une question « technique » ?
Thomas Lesort. Non, car c’est aussi se dire que dans ces enjeux de l’industrie du futur, il y a une transformation de la culture de l’entreprise. Il y a une place à l’initiative qui, dans notre modèle, vise à libérer les énergies, faire prendre connaissance des outils et les possibilités qu’ils offrent. Tout ceci est aussi une histoire de fertilisation croisée entre générations. Le cognitif est extrêmement important par exemple, comme l’expertise du geste ou de l’œil en production… pour les plus anciens, quand il y a plus d’aisance sur certains outils pour les jeunes. Il faut savoir se transmettre ces savoir-faire.
Les systèmes d’information viennent apporter l’information en temps réel dans les ateliers. L’opérateur peut ainsi suivre sa performance ou des problématiques de process sur les lignes de production, mais l’enjeu du management est bien d’accompagner dans la durée les opérateurs à la prise de décision, c’est là l’enjeu de l’interface homme-machine (cobot). Il y a un nouveau jeu qui s’effectue entre le collaborateur et son équipement de production. Cela dépasse la simple mise en main d’un outil… L’opérateur, de plus en plus technicien, doit pouvoir explorer le champ des possibles, car tous les cas d’usages ne sont pas définis.
Et qu’en est-il des « nouveaux » métiers ?
Thomas Lesort. Il y a en effet des métiers que l’on va découvrir ou que l’on découvre déjà, qui sont liés au numérique, au traitement de la donnée, à l’IIoT… que ce soit dans le préventif, le curatif, la transmission machine-to-machine… Via la data, notre usine devient le prolongement du propre outil de production de nos clients, avec l’idée de renforcement d’une filière complète à terme en France.
Comment faites-vous évoluer ce rôle du manager ?
Thomas Lesort. Nous avons un prérequis : l’organisation a toujours du sens, même si elle est hiérarchique. Pour autant, il faut responsabiliser à différents niveaux. Chez Lacroix Group, majoritairement, dans nos organisations, les experts sont devenus managers, mais de très bons experts ne sont pas toujours bons managers et inversement… Notre vision aujourd’hui est de dire que le management est une compétence, qui nécessite une expertise au métier, la compétence managériale et une capacité à tenir un projet. C’est-à-dire travailler en matriciel et savoir animer des équipes pluridisciplinaires…
D’où l’idée de coach…
Thomas Lesort. Absolument. C’est une culture managériale que nous mettons en place partout dans le groupe, avec un manager qui devient coach, qui arrive à libérer les énergies, permet l’initiative, donne le droit à l’erreur, mais aussi celui qui a la capacité à tracter une performance, la capacité d’animation et de mise en dynamique de l’engagement de l’équipe. A nous de faire comprendre également à nos collaborateurs qu’il y a une possibilité d’évolution par une maîtrise dans l’expertise de son métier.
[bctt tweet= »Depuis trois ans, Lacroix a créé son réseau interne d’experts (DigiFriends), qui regroupe des animateurs volontaires plus aguerris à différents outils numériques (métiers et support). Identifiés au sein de l’organisation, ils viennent accompagner un certain nombre de collaborateurs à une meilleure utilisation de ces solutions. » username= »Alliancy_lemag »]Votre projet porte également une dimension sur le cadre de vie. De quoi s’agit-il ?
Thomas Lesort. Il s’agit d’un cadre de vie en rupture par rapport à un existant, sachant que l’usine actuelle a une centaine d’années. Nous avons souhaité un cadre d’échanges informels entre les collaborateurs par des espaces qui leur sont réservés pour des moments de pause ou de déjeuner par exemple…
Quels enseignements avez-vous gardé des dix-huit mois passés de la crise sanitaire ?
Thomas Lesort. Nous avons interrogé le personnel à ce sujet bien entendu. Il faut des lieux de contact au cœur des usines, des espaces de travail collaboratifs… C’est vrai sur les services support, mais aussi en ateliers [Symbiose tournera en 3×8, 5 jours sur 7, NDLR] pour la transmission d’informations.
Vos usines ont continué à tourner durant les mois de confinement. Comment avez-vous géré le fait que certains collaborateurs pouvaient être en télétravail et d’autres non ?
Thomas Lesort. Nous sommes un groupe industriel. Notre cœur de métier est la réalisation d’un process de fabrication et cela se joue dans les ateliers, qui sont des métiers non-télétravaillables. Il y a donc en effet cette équité à traiter entre ceux qui sont à l’usine par nécessité et les autres métiers. L’enjeu pour nous a été de dire que tous ceux qui étaient support à la production ne constituent pas des métiers télétravaillables pour préserver l’efficacité collective. Pour les autres, notre accord d’entreprise prévoit 8 jours de télétravail maximum par mois.
Comment se passe la période post-Covid aujourd’hui ?
Thomas Lesort. Si l’entreprise doit garder un sens, c’est bien celui de créer cet attachement à une organisation collective, qui ne prend vraiment son sens que lorsque nous sommes ensemble. La crise sanitaire a été un accélérateur d’un certain nombre de modèles d’organisation, comme le télétravail par exemple. Cette période a permis l’adoption plus rapide à certains outils numériques, comme la téléconférence ; ou encore une réflexion sur la mobilité et la façon dont évolue la relation au travail et à l’entreprise au sens large… Quel est le sens d’un projet collectif et la façon dont chacun y contribue et inscrit son activité dans un cadre collectif. Il y a des équilibres à trouver ! Chacun a besoin d’un cadre et le rôle de l’entreprise est de faire progresser ses collaborateurs dans ce cadre, tout en élargissant le champ des possibles. C’est tout sauf une entreprise à plat, mais une entreprise en mouvement qui permet de libérer les énergies.
Chiffres clés 2020 du groupe
- 441 millions d’euros de chiffre d’affaires
- 10 usines / 12 pays
- Environ 4 000 collaborateurs