IA : au milieu du bruit, quels messages les directeurs du numérique doivent faire passer au Comex ?

À l’heure où l’engouement pour l’IA générative se stabilise, les directeurs du numérique doivent recentrer les discussions avec le comité exécutif et faire le lien avec les priorités stratégiques de l’entreprise. Mais encore faut-il trouver le bon message à faire passer.

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L’IA générative, qui a largement dominé les conversations au sein des comités exécutifs ces dernières années, ne doit plus monopoliser le dialogue entre le comité exécutif et les CTO, CIO ou CDO de l’entreprise. Les directeurs du numérique doivent désormais équilibrer leurs discussions en mettant en avant les prochaines priorités stratégiques qui façonneront l’avenir de leur entreprise, et présenter au Comex les opportunités et les risques liés aux nouvelles technologies. 

« Le lancement de ChatGPT a donné lieu à une adoption sans précédent du public » rappelle Christopher Tollnert, Directeur de l’Informatique et de l’Innovation Digitale du Groupe GSF, groupe spécialisé la propreté et de l’hygiène des espaces de travail, de production, de santé, de vente, de loisirs et de transport. « Cela a naturellement amené les Comex et les directions IT à vouloir explorer les capacités, les opportunités et les impacts de l’IA Générative. Dans notre entreprise, nous avons facilité cette réflexion en organisant un dialogue direct entre le Comex et le leader du marché. Notre démarche est aujourd’hui structurée et l’IA est considérée et suivie comme un levier stratégique pour soutenir les objectifs de l’entreprise. »

« Au cours de la dernière décennie, les projets d’intelligence artificielle étaient étroitement liés à des profils hautement spécialisés. Cela limitait l’accès à l’IA aux organisations ayant les ressources nécessaires pour investir dans de telles équipes et infrastructures spécialisées » complète Loïc Veyssière, directeur conseil IT et responsable de la cellule innovation chez Meritis, cabinet spécialisé dans le conseil, pilotage et développement IT. « Aujourd’hui plus acculturé au sujet, le Comex s’interroge peut-être moins sur ce qui est possible et la réflexion se concentre plus sur l’utilisation par les équipes métiers. »

Cybersécurité et IA

Dans ce contexte, les messages à faire passer autour de l’intelligence artificielle au Comex, peuvent être plus facilement liés à d’autres priorités stratégiques. La cybersécurité est un bon exemple. Alors qu’une entreprise sur deux est victime chaque année d’une cyberattaque, la mise en place de systèmes de cybersécurité robustes est devenue un indispensable dans un environnement où ces cyberattaques deviennent plus fréquentes et sophistiquées. En renforçant la palette d’outils des attaquants comme des ingénieurs en cybersécurité, l’IA joue tant un rôle de menace que d’opportunité dans la protection des données de l’entreprise. Les directeurs IT doivent donc convaincre le Comex que ces investissements sont non seulement nécessaires pour protéger les actifs de l’entreprise, mais permettront aussi de garantir la confiance des clients et des partenaires.

« La cybersécurité est une très haute priorité dans les agendas, et ce à plusieurs niveaux : comment protéger l’entreprise ? Comment mettre en place des bonnes pratiques auprès des collaborateurs ? Comment protéger nos données, même celles non critiques ? » affirme ainsi Eneric Lopez, AI National Initiative & Social Impact Director chez Microsoft.

« Dans notre entreprise, le Comex suit de près comment nous déployons cobotique, IoT, digitalisation, data science, low-code, cloud, agilité et démocratisation IT » affirme Christopher Tollnert. « Et cela tant pour créer de nouvelles offres de service innovantes et adaptées aux besoins de nos clients que pour optimiser nos opérations ou de permettre de répondre à nos ambitions en matière de RSE. Donc, plus que jamais, la cybersécurité demeure également un sujet d’intérêt légitime pour tout Comex. »

Or, pour favoriser la cybersécurité, il est important que chaque membre de l’entreprise en comprenne les enjeux, mais aussi les dangers, à chaque niveau de l’organisation. Il est donc impératif de former continuellement les employés aux meilleures pratiques en matière de cybersécurité et, plus globalement, d’augmenter leur culture numérique et leur compréhension de l’IA. En la matière, l’IA peut d’ailleurs également appuyer et soutenir le travail des équipes métiers que faciliter leur apprentissage. Mais pour y parvenir, il reste clé de pouvoir impulser le changement grâce à des talents IA.

En effet, comme le souligne Frédéric Bardeau, Président de Simplon, organisme de formation spécialisé dans les métiers techniques du numérique, « La transformation ne peut pas fonctionner s’il n’y a pas de talents qui viennent de l’extérieur. L’upskilling ou le reskilling des équipes sont alors importants : dans la data et l’IA, il n’est pas possible de développer une politique, si au départ personne ne sait ce que c’est. » 

Actuellement, le marché du travail français présente une pénurie de compétences en technologie : il faudrait former 845 000 personnes pour réussir à pourvoir les 1,6 million d’emplois du secteur numérique d’ici 2030. Les entreprises doivent donc mettre en place des stratégies de recrutement et de fidélisation pour attirer et retenir les talents nécessaires à leur transformation digitale de façon transversale. C’est un sujet profond de comité exécutif sur lequel les directeurs du numérique doivent être particulièrement actifs, pour lancer le mouvement, tout en veillant à ne pas appliquer seulement une logique descendante. « Il faut impliquer les collaborateurs dans cette transformation digitale afin de leur fournir de nouveaux outils. Mais cette dynamique ne peut être exclusivement ‘’top-down’’ : ce n’est pas le Comex qui va dire où il en faut » complète Frédéric Bardeau « Ce sont les profils métiers qui peuvent le dire, une fois qu’ils disposent d’une bonne culture du digital. »

« Chez Maïsadour, nous avons pris le sujet à bras le corps depuis plus de 6 mois. Nous avons mené plusieurs actions : une sensibilisation au Comex, une masterclass sur l’IA generative ouverte à tous les managers et des ateliers pilotes avec 50 collaborateurs qui expérimentent une solution jusqu’à mi-juillet » affirme Grégory Gonzalez, Directeur des systèmes d’information du Groupe Maïsadour, groupe coopératif agricole du Sud-Ouest de la France. « Il s’agit pour le Groupe d’identifier des cas d’usage pour valider en septembre la meilleure solution à développer au niveau de l’entreprise. »

Passer les bons messages sur la gestion des données

Une partie plus complexe de l’équation est sans doute d’utiliser l’intérêt pour l’intelligence artificielle, afin de passer les bons messages en matière de gestion des données dans l’organisation. Les entreprises doivent non seulement collecter des données, mais aussi les analyser et les utiliser pour prendre des décisions stratégiques. Cela implique une transformation culturelle et managériale profonde pour que toutes les parties de l’organisation adoptent une approche orientée data. Or, plus une entreprise est mature sur la gestion de sa data, plus elle est capable d’innover et d’augmenter ses profits. La mise en place de systèmes de gestion des données robustes est donc non seulement bénéfique, mais surtout essentielle pour le succès à long terme. L’IA y trouve donc une application directe, en termes de gain de temps et de fiabilité dans la collecte, la gestion et le traitement des données. 

Faire le lien entre IA et RSE

Parmi les autres thèmes stratégiques auxquels se rattacher, la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise offre également des opportunités pour faire émerger un discours IA qui fasse se sentir concernés le plus grand monde. « Les trois sujets majeurs de notre stratégie d’entreprise sont la RSE, qui est au cœur de tous nos projets, la performance de nos activités, et tout le travail sur notre image d’entreprise attractive et engagée dans ses territoires » témoigne Grégory Gonzalez. « L’objectif visé est de mettre tout en place pour que l’IT puisse être la plus efficiente possible pour tous les projets et tous les salariés. Ce projet passe par plusieurs chantiers majeurs : la formation, la conduite du changement, la définition de stratégie de portefeuille de projets… Nous souhaitons étendre la DSI dans les métiers avec les rôles de Business Process Order et Key User, des relais qui aient la capacité de faire des améliorations continues. »

Or, l’IT est de plus en plus attendu pour jouer un rôle clé dans la mise en œuvre de solutions durables, telles que l’IT for green, qui vise à réduire l’impact environnemental des opérations numériques. Ainsi, comme l’affirme Eneric Lopez, « Les externalités positives et la ESG sont d’autant plus des sujets du Comex que les obligations issues de la directive CSRD arrivent très prochainement. Tout le monde a sa part de responsabilité et d’actions, et l’IT doit faire son propre reporting afin de montrer qu’il est socialement et environnementale responsable et contribue aux enjeux ESG de l’entreprise : diminuer l’impact environnemental des services digitaux, utiliser le numérique pour avoir plus d’accessibilité pour les collaborateurs et le public. Il faut donc mettre en place des outils pour tracker son impact ». Et une nouvelle fois, il est urgent de pouvoir lier le sujet IA à ces préoccupations. En effet, l’intelligence artificielle promet à la fois d’offrir de nouvelles capacités pour faciliter la gestion de ces problématiques complexes, tout en inquiétant de plus en plus d’acteurs sur ses propres impacts. Les messages du directeur du numérique doivent donc s’affiner sur le lien à faire entre la préoccupation business du Comex et la priorité RSE grandissante.

Pour y parvenir, les directeurs IT doivent établir des canaux de communication clairs et réguliers pour partager les mises à jour sur les projets, discuter des défis et aligner les priorités. En outre, la collaboration interfonctionnelle est essentielle pour maximiser l’impact des initiatives numériques. Le Comex doit prendre conscience que les projets technologiques ne doivent pas être confinés au département IT, mais doivent impliquer des représentants de différentes fonctions de l’entreprise, notamment le marketing, les opérations et les ressources humaines. « Chez Meritis, la stratégie de l’entreprise est décomposée en objectifs spécifiques et en résultats mesurables, permettant à chaque direction et à chaque directeur de contribuer de manière significative au développement stratégique avec un langage et des buts partagés. » conclut Loïc Veyssière. « L’IT a un impact direct sur l’inclusion sociale et la responsabilité écologique de l’entreprise, sur l’innovation, la compétitivité et la vision à long terme de l’entreprise. En général, nos décideurs sont sensibles à ces réflexions globales. Le message doit être complété par des chiffres concrets comme un budget, un retour sur investissement ou une analyse de risque. Dans la communication avec le Comex, l’alignement sur les valeurs et les objectifs est central ». Ces 18 derniers mois, les messages sur l’intelligence artificielle auprès du Comex ont pu être facilité par le bruit important et la hype marketing autour de la démocratisation de l’IA générative. Pour continuer le travail mené, il est plus que temps de mieux travailler l’alignement sur les valeurs et les autres fondamentaux stratégiques.