IA : ces secteurs d’activité qui tirent la sonnette d’alarme 

 

Composition de musiques et de chansons, doublage de films, traduction et interprétariat… Certaines industries lancent des alertes sur les effets de l’IA générative sur leurs activités. Ont-elles raison de le faire ? 

 

À la fin du mois d’octobre dernier, l’Alliance européenne des compositeurs et auteurs-compositeurs (ECSA) a publié un manifeste visant à protéger le travail des paroliers et compositeurs… Leur objectif : protester contre l’utilisation d’œuvres existantes pour l’entraînement d’IA génératives spécialisées dans la création de morceaux de musique ou de chansons. Des start-ups comme Suno et Udio sont dans le viseur de l’industrie musicale. D’ailleurs, le syndicat professionnel Recording Industry Association of America, qui représente des poids lourds comme Warner Records, Sony Music ou Universal Music Group, a déposé en juin dernier deux plaintes pour violation du droit d’auteur contre ces deux jeunes pousses américaines. En France, Cécile Rap-Veber, Directrice Générale de la Sacem, s’est émue, lors d’une émission de L’Hémicycle, de la menace que représente l’IA générative pour les créateurs.

« L’IA bouleverse le monde de la création musicale : elle offre de nouvelles opportunités, mais représente aussi une menace puisqu’aujourd’hui, l’ensemble des œuvres des créateurs est pillé par les intelligences artificielles. L’IA va très certainement permettre des progrès incroyables dans la médecine, l’architecture ou encore l’environnement. En revanche, le pillage des œuvres de l’esprit des êtres humains n’apportera rien, si ce n’est la paupérisation des créateurs », déclare-t-elle. Dans cette optique, la Sacem a décidé en octobre 2023 d’exercer son droit d’opposition sur l’ensemble de son répertoire, afin de protéger les œuvres de ses membres contre une utilisation non autorisée par des IA pour leur entraînement. « Il est crucial que nous continuions à défendre les droits d’auteur et à anticiper les évolutions technologiques, tout en veillant à ce que la culture et la diversité créative restent au cœur de nos sociétés. Nous devons mettre en place un cadre légal clair pour que nos créateurs puissent continuer à créer sereinement. Sans nouvelles créations, les IA n’auront plus de bases d’entrainement, et l’on arrivera très vite à la domination d’une culture unique, d’une pensée unique. Il en va de l’avenir de notre démocratie ! », ajoute la directrice générale. 

 

Les professionnels du doublage et les traducteurs inquiets 

 

Même levée de boucliers du côté des professionnels du doublage. L’association professionnelle Les Voix et le Syndicat Français des Artistes interprètes CGT se sont appuyés sur le Datalab du groupe de protection sociale Audiens pour recenser les emplois menacés par l’arrivée de l’IA générative. Selon eux, c’est toute la filière - c’est-à-dire 12 500 emplois répartis dans 110 entreprises – qui pourrait subir des bouleversements majeurs. « Les outils de doublage en cours de développement par des systèmes d’intelligence artificielle permettraient de réaliser des doublages n’importe où, dès lors que l’enregistrement en studio des doublages de films, séries, jeux vidéo et dessins animés par des comédien(ne)s ne serait plus nécessaire. Cette délocalisation et cette automatisation pourraient engendrer une perte d’activité rapide et massive au sein de cette industrie française », peut-on lire sur le site de l’association Les Voix. 

Un collectif, appelé « Touche pas ma VF » a même été créé par des comédiens. Sur le site de la pétition qu’ils ont lancée, qui a déjà recueilli près de 160 000 signatures, les professionnels du doublage se déclarent en danger : « Nous risquons d’être parmi les premiers à être remplacés, à très court terme par les outils de l’intelligence artificielle générative, capables de traduire, cloner, synthétiser des textes, des voix, des interprétations et des émotions avec une similitude étonnante. Nous sommes en première ligne, car le traitement des données vocales nécessite moins de puissance de calcul que l’image ». 

L’inquiétude est de mise également du côté des traducteurs. Dans une prise de position officielle, la Société française des traducteurs (SFT), syndicat professionnel des métiers de la traduction et de l’interprétation, tire la sonnette d’alarme : « La concurrence de l’intelligence artificielle générative se classe en première position des préoccupations des traductrices, traducteurs et interprètes (selon deux enquêtes réalisées en 2023 par la SFT (…). La SFT avertit les donneurs d’ordre, les prestataires de services linguistiques et l’ensemble des citoyens et citoyennes sur les renoncements qu’induit le recours à l’IA plutôt qu’à des traductrices, traducteurs et interprètes professionnels, ces passeurs qui prennent soin des messages qui leur sont confiés et qui tissent des liens entre les humains ».  

 

Comprendre, quantifier et accompagner  

 

Face à ces avertissements répétés, issus de secteurs d’activité différents, il est nécessaire de se référer à des études menées sur le sujet. C’est le cas de celle publiée par le cabinet Roland Berger et intitulée « L’impact de l’IA générative sur l’emploi en France ». Prenant les grandes catégories de métiers, le cabinet a tenté de déterminer le potentiel d’automatisation de chacune d’entre elles. « Les emplois de bureau sont fortement exposés en raison de la prédominance de tâches administratives. L’analyse de la classification internationale type des professions (CITP) révèle que certaines professions dans les domaines administratifs et organisationnels, comme les secrétaires, sont particulièrement exposées. La technologie excelle effectivement dans la manipulation du langage naturel donc dans des tâches telles que la génération de contenu, la préparation de résumés, et plus », analysent les auteurs du rapport. 

Selon l’étude de Roland Berger, certains métiers comportant principalement des tâches hautement exposées risquent l’automatisation, ce qui pourrait potentiellement entraîner 800 000 pertes d’emplois. En revanche, 1,4 million d’emplois comprenant à la fois des tâches hautement exposées et des tâches peu exposées sont davantage susceptibles de connaître une augmentation. « C’est par exemple le cas des professions intellectuelles et scientifiques, dont de nombreuses tâches impliquent l’extraction et la génération de contenu. Dans leur cas, l’IA générative permettra de libérer du temps pour des tâches à plus forte valeur ajoutée », commentent les auteurs de l’étude. 

 

 

Face à ces changements annoncés, les organisations, qu’elles soient publiques ou privées, doivent se préparer. « Cela implique de comprendre les implications de l’adoption de l’IA générative, d’accompagner la transition des employés affectés, et de maximiser le potentiel d’augmentation offert par cette technologie. Il est essentiel d’anticiper et de planifier ces évolutions pour garantir une transition en douceur tout en maximisant les avantages de l’IA générative », peut-on lire dans le rapport. 

Afin de prendre toute la mesure des évolutions induites par l’IA générative, les organisations publiques et privées doivent, selon le cabinet Roland Berger, relever trois défis majeurs : comprendre et quantifier la nouvelle dynamique, accompagner l’automatisation et la réallocation des ressources humaines, et maximiser le potentiel offert par l’augmentation. Ce dernier point implique de mettre en place des programmes d’adaptation des métiers existants et de formation des collaborateurs.