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IA et données : les leviers français pour un avenir prospère et durable

Visuels articles_Chronique Ana Semedo

Notre chroniqueuse invitée Ana Semedo appelle à la mobilisation pour faire de l’intelligence artificielle un outil de transformation sociale et écologique. La France serait en retard ? C’est sans compter sa capacité magique à se retrousser les manches, répond-elle.

Les Gafam investissent massivement dans l’intelligence artificielle : Microsoft a dépensé 14 milliards de dollars de janvier à mars, soit une hausse de 50 %, et a injecté 13 milliards dans OpenAI, créateur de ChatGPT. Google a investi 12 milliards de dollars sur la même période, et Meta prévoit des dépenses informatiques de 35 à 40 milliards en 2024, avec une hausse prévue pour 2025[1]

Loin d’être altruistes, ces investissements massifs visent la prochaine révolution technologique. Cette « prévolution » pourrait faire converger leurs activités, déclenchant une guerre fratricide menant à une nouvelle ère technologique, au-delà de l’IA actuelle.

Pour nos organisations, suivre l’IA sans stratégie précise risque de nous épuiser, avec des investissements sans retour. C’est un véritable « piège de l’IA » qui se profile. Une certitude demeure cependant : pour créer de la valeur, l’IA a besoin de nos données. Pas de data, pas d’IA.

L’IA, outil clé de transformations sociales et écologiques

Et en la matière, un point est à garder en tête. L’étude « Green AI et AI for Green » que j’ai pilotée et la « Feuille de route numérique et données pour la planification écologique » pilotée par Laura Létourneau soulignent l’importance des données pour la décarbonation. Un exemple parmi d’autres : chaque véhicule sur la route est une mine d’or de données inexploitées. Avec ces trésors d’informations, l’IA et la donnée peuvent révolutionner notre approche de la décarbonation.

Pour bien le comprendre, faisons un détour imagé par un bistrot animé de Paris, au sein duquel deux personnages, « TechVerte » et « Eveil-durable », se retrouvent, autour d’un café. Imaginons leur discussion :

TechVerte : Je descends du bus, fasciné par l’idée que chaque bus, tramway, smartphone… génère des données qui pourraient réduire notre pollution urbaine. Supermarché, métro, péage, pharmacie, industrie, énergie… nos traces de données sont partout.

Eveil-durable : Imagine si nous pouvions exploiter ces données pour créer des business, conseiller les gens, réduire les déchets, optimiser l’efficacité énergétique et la mobilité urbaine… L’impact sur notre empreinte carbone et les opportunités économiques !

TechVerte : Exactement ! Si nous organisions la collecte et la structuration de ces données comme nous gérons l’eau ou l’énergie, nous pourrions vraiment transformer le paysage des affaires grâce au partage de la donnée et à l’IA.

Eveil-durable : C’est la beauté de l’IA. Des millions de points de données transformés en actions bénéfiques et en business. C’est comme avoir un tableau de bord pour la santé de notre planète.

Cet échange fictionnel n’a qu’un but : faire passer l’idée que la donnée peut transformer l’information en action, faisant de l’IA un outil clé pour la transformation sociale et écologique.

Infrastructures de données : clé de la transformation

Or, tout comme l’eau de pluie doit être collectée, traitée et acheminée pour arriver potable, les données doivent être structurées et accessibles pour être utiles. Des infrastructures solides sont essentielles pour comprendre, prédire, réguler et optimiser leur utilisation durablement.

La France a été pionnière dans la construction d’infrastructures, des routes à l’eau et à l’assainissement, du rail à l’énergie. Ces efforts ont permis de créer des champions internationaux comme Veolia, Bouygues, Areva, EDF… Elle avait compris que ce n’était ni le particulier ni le promoteur immobilier qui pouvait le faire. Alors que les Gafam se livrent une guerre pour la meilleure IA, la France peut prendre une avance décisive en structurant ses données !

Une capacité magique de la France

La France a cette capacité magique de partir en retard et, tout d’un coup, se retrousser les manches pour devenir leader. Saisissons-la !

Prenons l’exemple du « Numérique en Santé » : en 4 ans, la France est passée de dernier de la classe européenne au premier rang. Cette initiative a amélioré la qualité des soins et impacté positivement la vie des citoyens (par exemple, l’application TousAntiCovid ou Mon espace santé). Elle a aussi stimulé le secteur des affaires, permettant aux entreprises d’innover et de réussir. La France s’affirme ainsi comme un leader dans la technologie de la santé, soutenue par un écosystème riche en innovations et en initiatives gouvernementales.

Pourquoi ne pas appliquer la même révolution au transport, à l’énergie, à l’agriculture, au logement, à l’urbanisme, à la sécurité publique, à l’éducation, à la finance, à l’économie circulaire… ?

Dans le transport, la maitrise des embouteillages, de la pollution, la sécurité routière, la billettique, les recharges de véhicules…

Pour l’énergie, la rentabilité des énergies renouvelables, la gestion intelligente des bâtiments, la tarification dynamique de l’énergie…

Dans l’agriculture, la maîtrise de l’eau, de l’utilisation des pesticides, des rendements…

Et que dire des projets croisés, tels les écoquartiers durables alliant énergies renouvelables, gestion des déchets, mobilité et bien vivre, ou les réseaux de chaleur réutilisant la chaleur des usines ?

Le rôle de l’État : facilitateur et régulateur

Pour réaliser ces scénarios, des infrastructures pour collecter, traiter et rendre les données accessibles et interopérables sont indispensables. L’État doit agir comme facilitateur neutre, plateforme, et régulateur, en créant des infrastructures et des cadres légaux garantissant l’éthique et encourageant l’utilisation des données pour le bien commun.

Même les dirigeants peinent à voir les données autrement que comme des outils pour les tableaux de bord. Pourtant, entre un simple « Porte de Bercy : 10 mn » de Sytadin et un trajet optimisé par Google Maps, que préférez-vous ? Les données informent et transforment. Nous pouvons rester dans le confort de l’habitude, ou exploiter leur potentiel pour nous réinventer.

Cette sous-exploitation est aussi évidente au sein des organisations, où l’utilisation des données pour l’innovation et la transformation de l’entreprise est loin d’être acquise. Pour surmonter cette lacune, la méthode C-K, que j’utilise, peut grandement y contribuer. Développée par l’École des Mines, cette méthode associe créativité et savoir dans un processus itératif, conduisant à des innovations majeures. En partant d’une connaissance approfondie des activités et des métiers de l’entreprise, ainsi que d’une bonne compréhension des usages des données et du potentiel de l’IA, on peut ensuite intégrer des processus créatifs pour aboutir à des transformations profondes et significatives.

Vers des modèles économiques verts soutenus par l’IA

Nous sommes à un moment clé : une « prévolution IA » supersonique, marquée par une guerre des Gafam pour dominer l’IA, et une France qui peut prendre de l’avance dans la structuration des données. La force disruptive de l’IA ouvre des possibilités immenses.

En conjuguant IA et données, nous pouvons créer des innovations qui préservent et enrichissent notre environnement, redéfinissant ainsi notre rapport à la nature et à la technologie pour un futur plus vert et intelligent. Sans cela, l’IA récréative préemptera les ressources, étouffant la planète et laissant le business aux GAFAM.

Saisissons cette chance pour un avenir prospère et durable !

[1] « Google, Microsoft et Meta justifient leurs gros investissements dans l’IA », Le Monde, 26/04/2024

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