Dans un rapport rendu au Premier ministre, le Conseil d’Etat constate que le secteur public utilise et bénéficie encore très peu de l’intelligence artificielle. En outre, les développements restent, pour l’essentiel, dans une phase de découverte et d’expérimentation.
En 2018, le président Macron annonçait vouloir faire de la France un pays leader en matière d’intelligence artificielle. En novembre dernier, l’Etat attaquait la phase 2 de sa stratégie IA avec une enveloppe de deux milliards d’euros.
Les efforts budgétaires consentis ont-ils contribué à accélérer l’adoption de ces technologies dans le secteur public ? Ce qui est sûr, c’est que la France ne bénéficie pas d’un avantage sur ses voisins européens dans ce domaine.
230 cas d’usages, mais 3 sources de transformations
C’est une des conclusions du rapport consacré à l’intelligence artificielle par le Conseil d’Etat, à la demande du Premier ministre. Consolation : la France n’accuse pas non plus “de retard au regard des pratiques constatées dans les administrations des autres Etats membres.”
Les rapporteurs ont identifié au total 230 cas d’usages de l’IA. Toutefois, “la plupart (…) portent sur des outils relativement frustes”, soulignent-ils. De fait, les projets relèvent essentiellement de l’expérimentation.
Le rapport note que seuls trois cas d’usage sur les 230, s’inscrivent “dans un changement qualifié de radical dans la définition des politiques publiques ou du modèle de service public.” En conséquence, le secteur public restreint à ce jour son rôle à celui de régulateur et de facilitateur.
L’administration utilisatrice de l’intelligence artificielle demeure une orientation à construire. Et elle aura fort à faire pour s’extraire de la simple phase de découverte et d’expérimentation – en outre “plus ou moins concluante”.
Le secteur n’a “pas enclenché, autour de l’IA, un mouvement structurel et massif d’automatisation ni, a fortiori, de redéfinition des politiques publiques, de leurs missions et de leurs principes de fonctionnement”, ajoutent les auteurs.
Des administrations inégales devant l’IA
Leurs travaux, s’ils ne traduisent donc pas un retard français, sont également l’opportunité de mettre en lumière la “très grande hétérogénéité” des administrations en termes de maturité. De plus, l’IA semble avant tout bénéficier aux activités de contrôle, comme la lutte fiscale et la déclaration des piscines.
“Le déploiement de SIA innovants est plus balbutiant dans les activités de service à l’usager, et embryonnaire pour ce qui concerne les fonctions support, notamment dans le domaine des ressources humaines.”
Forts de ces différents constats, les rapporteurs du Conseil d’Etat émettent plusieurs recommandations. Ils soulignent ainsi la nécessité de conduire une stratégie volontariste et lucide. Selon eux, “l’ensemble des entités de la sphère publique sont susceptibles de tirer le plus grand profit des SIA.”
C’est peut-être encore plus vrai pour les collectivités territoriales, grâce notamment aux données qu’elles collectent et à la confiance des citoyens dont elles bénéficient. L’adoption dans le public, comme dans le privé, est néanmoins conditionnée à un haut niveau de sponsoring.
“L’engagement et le soutien au plus haut niveau, politique comme administratif, constituent une condition indispensable au succès de tout projet de SIA”, prévient le rapport. Ce volontarisme est nécessaire, mais il ne doit cependant pas se fourvoyer.
Une acculturation par des ‘victoires rapides’
Attention par exemple à ne pas céder à la dérive du solutionnisme technologique. De même, l’IA ne constitue pas l’unique alternative. D’autres outils, plus performants, peuvent être mobilisés.
Le rapport rappelle aussi que l’IA dans le public ne connaîtra pas de “grand soir”. Le travail à mener est itératif. Il passe par exemple par le développement d’une nouvelle culture de l’échec. Celle-ci distingue les échecs inacceptables et les échecs ‘normaux’ “au regard d’une dynamique d’innovation numérique”.
Le conseil d’Etat recommande, dans un premier temps, de se limiter à deux actions : la recherche de quick wins avec le développement d’un ou deux systèmes « modestes », mais à « fort enjeu symbolique ».
Deuxièmement, il encourage chaque service de l’administration à passer en revue ses processus et à en étudier le potentiel d’automatisation. Ces premières initiatives permettront de faire croître la maturité.
Enfin, l’administration doit aussi veiller à assurer un équilibre en ce qui concerne les usages de l’IA. En résumé, l’intelligence artificielle ne peut porter uniquement sur la performance opérationnelle et les besoins des agents. Elle doit aussi fournir des services aux usagers. A défaut, une politique pourrait s’avérer contre-productive.
“Les effets des indispensables efforts de pédagogie (…) peuvent être anéantis par le sentiment que les SIA sont d’abord et avant tout des instruments de coercition ou, qu’à tout le moins, c’est ainsi que les pouvoirs publics les conçoivent”, pointe le rapport.