Anne-Claire Baschet, chief data officer du spécialiste européen de la vente de véhicules d’occasion reconditionnés, Aramis Group, détaille les enjeux de transformation actuels de son entreprise. Et en particulier sur les initiatives qui permettent d’embarquer les équipes, y compris sur des sujets comme l’intelligence artificielle.
Le spécialiste européen de la vente de véhicules d’occasion reconditionnés, Aramis Group, compte plus de 2400 collaborateurs pour près de 1,8 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Pionnier de la vente en ligne et du reconditionnement de véhicules d’occasion, Aramis Group opère en France sous le nom d’Aramisauto et dans 5 autres pays européens (avec l’acquisition récente des sites de vente en ligne Onlinecars en Autriche et Brumbrum en Italie). L’utilisation des données et de l’intelligence artificielle est au cœur de la transformation numérique de l’entreprise, mais celle-ci compte aussi et surtout sur l’engagement de ses équipes métiers et sur leurs initiatives bottom-up pour mener des projets qui ont du sens. Explications avec Anne-Claire Baschet, sa chief data officer.
Alliancy. En matière de transformation numérique, qu’est-ce qui dans votre expérience distingue le plus l’approche d’une entreprise de taille intermédiaire, par rapport à celle d’un grand groupe ?
Anne-Claire Baschet. J’ai eu l’occasion de travailler auprès de grandes organisations dans ma carrière, avant de rejoindre Aramis Group. Je vois en effet quelques différences. Les grandes entreprises ont pris l’habitude de communiquer très fortement sur leurs transformations numériques. Elles mettent en avant leurs nombreux partenariats et elles montrent aussi souvent qu’elles réalisent de forts investissements sur de nombreux sujets différents… L’enjeu va être différent pour les entreprises de taille intermédiaire. Celles-ci sont préoccupées de faire le bon investissement au bon moment, sur le bon sujet. Elles doivent choisir leur combat pour aller vraiment chercher la valeur client et l’apprentissage. Pour autant, je pense qu’il ne faut pas avoir de complexe vis-à-vis de la communication massive des plus grands groupes et de leur omniprésence dans les médias. Tout l’enjeu est plutôt d’être très clair sur les problématiques très opérationnelles liées à son activité, pour montrer comment on y répond de manière innovante.
Quelles sont les questions à se poser pour ne pas se tromper ?
Il faut déjà identifier sur quels sujets il y a un risque à ne pas se transformer. Dans mon activité, qu’est-ce qui va me faire perdre des clients si rien ne bouge ? Qu’est-ce qui va générer des ruptures d’usages par rapport à l’évolution de leurs attentes ? Ensuite, il y a un deuxième niveau de questionnement, autour de la création de valeur des projets en tant que tel : où sont les freins ? Quelles sont les problèmes rencontrées par les équipes ? Qu’est-ce qui crée des frustrations quand elles veulent apporter de la valeur au client ? Et puis on peut également observer de plus près ce qui génère des coûts additionnels…
Chez Aramisauto, pour lancer un projet de transformation avec le numérique, nous partons systématiquement des problèmes rencontrés sur le terrain, par exemple dans nos agences ou nos centres de reconditionnement des véhicules. Nous jouons au maximum la carte de la proximité, permise par la taille de notre entreprise. Qu’est-ce que l’on observe en direct ? Et comment peut-on se positionner en fonction des technologies à moindre coût ? Pour y parvenir, il est nécessaire de créer un cadre pour créer une dynamique et une autonomie du terrain, en générant des initiatives bottom-up plutôt que top down. Il faut faire croître en interne une culture de la résolution des problèmes. Le piège serait de se dire que parce qu’il y a moins de niveaux hiérarchiques dans une entreprise de notre taille, il faut céder à la facilité et faire avant tout du top down. Au contraire. Au-delà de la confiance accordée aux équipes, il est nécessaire de leur donner les conditions de faire les tests directement, qui vont permettre d’apporter un incrément de valeur rapide. Ces conditions, cela peut passer par beaucoup d’aspects différents. On peut déjà citer le no-code ou le low-code… Mais l’IA Générative, c’est au final le même combat. De nombreuses technologies facilitent aujourd’hui une capacité d’action rapide pour un investissement très mesuré.
Avec l’exemple de l’IA Générative, les promesses de disruption sont cependant très fortes. Comment votre entreprise accompagne-t-elle les métiers pour anticiper de tels chocs ?
Par exemple ?
On peut partir de petits exemples très concrets. Un des premiers usages de ChatGPT en interne a été porté par un team leader au service client qui observait que certains e-mails automatiques envoyés au client peuvent être améliorés avec une touche plus humaine. Revoir la rédaction de l’ensemble de ces emails automatiques était chronophage.. Dans ce cas, on voit vite la valeur à gagner avec ChatGPT pour générer un texte en lien avec la tonalité de marque. D’autant plus parce qu’il n’y a pas de problème de privacy ou de propriété intellectuelle pour un tel usage de ChatGPT et que les coûts API sont faibles… Mais derrière, le message est aussi de montrer qu’il y avait déjà eu un premier passage de la digitalisation, avec ces e-mails automatiques, et que ce n’est pas pour cela qu’il faut se dire qu’il n’y a rien à changer. L’aspect culturel revient à adopter le bon regard sur ce qui a déjà pu être fait, pour ne pas tomber dans la facilité de la non-transformation.
Derrière ces réflexions sur la valeur apportée aux clients, et au quotidien des équipes, on lit en filigrane l’évolution nécessaire des processus de l’entreprise et, bien souvent, de leur automatisation…
En interne, on n’utilise pas le mot automatisation, qui veut un peu tout et rien dire. On parle plutôt d’enablers technologiques sur des sujets précis… Plutôt que de dire : quels processus automatiser ? Nous souhaitons engager les équipes à voir où le process présente des problèmes et les encourager à tester des améliorations. Quels sont de leur point de vue les opportunités pour faire mieux ou pour aller plus vite ? Ce n’est qu’ensuite que l’on pose la question de comment les aider techniquement avec les équipes data et d’être à leur disposition… La force des entreprises de notre taille, ce sont bien les humains qui savent faire le métier, plutôt que des experts technologiques qui appliqueraient une théorie de la transformation.
Je vais prendre un autre exemple avec ChatGPT, qui est un sujet très discuté ces derniers mois : quand on produit des fiches produits pour notre site web, nous les personnalisons avec un avis d’expert. L’opportunité avec l’IA Générative est d’améliorer la qualité de la fiche, d’éviter des coquilles… mais l’enjeu est moins de tout confier à la technologie, que d’itérer et tester les bons « prompts » dans l’utilisation de l’outil pour avoir une vraie boucle retour… La valeur vient de l’identification par les personnes des problèmes sur les processus de l’entreprise et de l’analyse qui en est faite et non de la solution toute faite qui pourrait être déployée pour remplacer ce processus
Est-ce que vous identifiez des obstacles notables aujourd’hui, pour vos transformations à venir ?
Il y a un enjeu d’attractivité majeur pour les entreprises de notre taille. Pour attirer les talents, il faut se faire connaître et montrer que l’on a des cas d’usages inspirants ! Il faut faire en sorte que des candidats se disent : « j’ai intérêt à répondre à un recruteur d’Aramisauto car ils mènent des projets qui sont vraiment intéressants et avec un fort impact, je ne vais pas m’ennuyer ». Si on arrive à franchir cette barrière de notoriété, je pense qu’une entreprise comme la nôtre a une vraie carte à jouer. Il nous est plus facile de répondre à la forte attente de sens . Dans notre entreprise, on ne tombe jamais dans l’ultra-spécialisation : tout le monde peut voir l’impact de ce qu’il fait sur la chaîne de valeur. Un data engineer aura les retours terrain en accès direct, c’est très précieux comme expérience. De plus, on ne va pas jamais rester dans une optique d’expérimentation en laboratoire : on doit aller en production, se frotter à la vraie vie. Nous cultivons cette différenciation et je pense que la diversité des équipes, et leur proximité entre elles, est une force pour convaincre et retenir les bonnes compétences.