Notre chroniqueur Frédéric Bardeau analyse ce que l’ascension fulgurante des modèles « foundation » de type GPT provoque comme effets de bord dans le paysage technologique. Il détaille en particulier l’évolution des rapports de force autour des emplois IT.
Avec l’ascension fulgurante des modèles dits « foundation » (ou « frontier ») de type GPT, les IA génératives ont émergé comme une force désormais incontournable dans le paysage technologique. Combinant créativité et automatisation, ces IA ont le potentiel de révolutionner de nombreux secteurs et l’organisation du travail, y compris le domaine des technologies de l’information. Mais quelle est vraiment leur portée, et comment affectent-elles les métiers de la tech et de l’IT ?
La vision d’une machine écrivant son propre code a longtemps été reléguée au domaine de la science-fiction et est présentée comme la chose à éviter à tout prix (« AI recursive self improvement ») par Mustafa Suleyman (ex patron de Deepmind maintenant CEO de Inflection AI). Cependant, les avancées récentes dans l’intégration des Large Language Models (LLM) dans les environnements de développement (IDE) ont démontré que les IA génératives possèdent effectivement des capacités intéressantes sur l’ensemble de la chaîne de valeur de la création, production, évolution et maintenance de logiciels et d’applications. Toutefois, ces IA – présentées comme des « copilotes » ou des « augmentations des humains » – ne remplacent pas les développeurs mais travaillent plutôt en complémentarité et symbiose avec eux, souvent en automatisant des tâches simples, répétitives ou fastidieuses (entre 30 et 50% d’augmentation de productivité selon McKinsey), ou encore en proposant des solutions à des problèmes courants ou en augmentant le niveau de vigilance générale sur la qualité du code produit. Parmi les tâches automatisables de manière sûre et facile : rédaction de spécification ; automatisation dans la rédaction et la conduite de tests ; documentation, production et refactoring de code ; simulation d’architectures, de configurations et d’API ; clustering ; traduction d’un langage informatique vers un autre, etc. Quand on pense aux solutions que ces technologies peuvent apporter à la gestion du « legacy » et à sa migration, ça peut en faire rêver beaucoup…
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L’intégration croissante des IA génératives influence inévitablement le recrutement dans le secteur de la tech et la demande (et l’offre) de profils techniques liés au monde de la programmation, de la data, de l’IA. Alors que certaines compétences basiques pourraient devenir moins recherchées, la capacité à « travailler avec », en co-pilotage, voire à fine-tuner et à cadrer les travaux de ces IA, devient un atout majeur. Les entreprises recherchent désormais des profils capables d’intégrer ces outils dans leurs workflows pour les optimiser, ainsi qu’à démultiplier la productivité de leurs troupes sans dégrader la qualité et la sécurité du code produit. Il est plausible que certaines tâches, notamment celles réalisées par des profils « juniors », soient progressivement automatisées. Cela pourrait entraîner une baisse des besoins en recrutement pour ces fonctions spécifiques.
Toutefois, cela ouvrirait également la porte à de nouveaux rôles, axés sur la supervision, l’entraînement et l’optimisation des IA. L’autre manière de prendre le « problème » serait la suivante : les gains de productivité et donc de croissance générés par les modèles de langages en général vont entraîner la création et le développement des activités économiques et donc de l’emploi et comme l’ensemble de l’économie est digitalisée, de nouveaux besoins de recrutements « tech », y compris en profils « juniors ». Dernière manière de voir les choses, « l’augmentation » des compétences et de la productivité des travailleurs et travailleuses de la tech par les IA génératives rendront les profils « juniors » plus compétitifs que jamais pour accompagner la transformation numérique des entreprises de plus petites tailles, les profils plus « seniors » étant attirés et monopolisés par les grandes entreprises, ESN et acteurs technologiques.
Les challenges à relever sont nombreux pour les entreprises quant à l’intégration des IA dans les SI : confidentialité et propriété des données, gestion des données (RGPD), sécurité des SI (nouvelles surfaces d’attaque, nouvel outil exploité par les attaquants…) et sécurité des données, etc. Les métiers de la data et de l’IA sont de plus en plus sollicités. La maîtrise des réseaux de neurones, des algorithmes et des technologies d’apprentissage automatique ou encore de l’éthique de l’IA deviendront des compétences stratégiques. De plus, avec la montée des préoccupations liées à la confidentialité et à la sécurité, les professionnels spécialisés dans la cybersécurité et la protection des données seront de plus en plus en demande. On peut donc s’attendre à plus de recrutements sur ces métiers périphériques au monde du logiciel, et donc à des besoins à tous les niveaux (juniors et seniors, spécialistes et généralistes). Si certaines tâches pourraient être automatisées, l’essentiel réside dans la capacité des professionnels à évoluer et à s’adapter à cette nouvelle ère technologique. L’avenir des métiers de l’IT ne se trouve pas dans l’obsolescence face à l’IA, mais dans une collaboration harmonieuse avec elle. Quant aux sujets d’inclusion et de diversité, y compris sur les profils « juniors », ils doivent rester une priorité dans le recrutement afin de contrebalancer les effets de biais qui existent dans les données et les algorithmes, et qui seraient renforcés par des équipes trop homogènes en mode « armée des clones ». Seule une main d’œuvre compétente mais également diverse et représentative de la population générale pourra aider les entreprises à être plus performantes, plus innovantes et plus résilientes, et permettra alors de réduire la fracture numérique entre les populations et les services numériques et organisations qui les produisent.