Dans la course à l’intelligence artificielle, une poignée d’acteurs donne le tempo quant au futur de cette technologie de rupture. Entre bataille frontale, alliances et monopole, la guerre entre les géants de l’IA devrait s’intensifier dans les prochains mois.
ChatGPT, Gemini, Mistral Large… telles sont les principales interfaces d’intelligence artificielle générative. Derrière ces vitrines, une bataille technologique d’envergure fait rage entre les différents acteurs. « Les investissements sont colossaux dans cette course permanente à l’innovation », reconnaît Jean Ferré, CEO de Sinequa, éditeur de moteurs de recherche dopés à l’intelligence artificielle. Google, OpenAI ou encore Mistral, tous veulent jouer leur carte. Mais avec quelles priorités ?
« Mistral doit continuer sa guerre technologique et rester aux aguets pour voir où cela va mener », indique Jérôme Valat, fondateur du spécialiste de la data Cleyrop. Ce dernier compare Arthur Mensch, fondateur de la pépite française, à Mark Zuckerberg, patron de Facebook. « Ce sont des ayatollahs de la technologie, et ces entreprises avancent d’abord sur le plan technologique pour gagner la bataille », quitte, selon lui, à ne pas présumer de la stratégie de marché sur laquelle cela débouchera.
Que ce soient les moteurs de recherche ou les clouds, tous les aspects du numérique sont secouées par ces technologies d’IA. Mais sur quels nouveaux produits cela va-t-il aboutir ? « On est dans le brouillard en termes de stratégie pour ces entreprises », confie Jérôme Valat. L’arrivée d’OpenAI et de son ChatGPT a percuté les organisations et leurs collaborateurs, qui ont commencé à utiliser la plateforme pour leurs missions quotidiennes. Mais le fondateur de Cleyrop s’interroge encore sur l’avenir de ChatGPT sur le plus long terme.
Selon lui, la stratégie d’OpenAI est de s’attaquer frontalement à Google. « Nous avons tous fait joujou avec ChatGPT avec des transpositions en entreprise, mais son avenir n’est pas de créer des modèles », estime-t-il, alors que l’entreprise vient de présenter son moteur de recherche SearchGPT. Or, de nombreuses entreprises ont implémenté l’IA via OpenAI. « Elles sont dans une impasse, car tant qu’OpenAI continuera d’entraîner des modèles sur des données générales, elle ne franchira pas le cap de la contextualisation en entreprise. »
Cette situation pose la question de l’avenir de ces plateformes et de leur vocation à rester généralistes ou à se spécialiser par secteur d’activité. « Aujourd’hui, les plateformes sont très ouvertes », reconnaît Jean Ferré. Malgré la guerre technologique menée, l’adoption et l’intégration en entreprise sont encore loin, avec des modèles complexes à paramétrer et à implémenter. « Chacun reste sur ses spécialités », observe Jérôme Valat, citant les chatbots conversationnels pour Mistral ou l’analyse de corpus documentaire pour Meta, tandis que certains acteurs de l’IA ne misent pas sur cette guerre technologique.
C’est notamment le cas de Microsoft. « Ils innovent rarement », souligne Jérôme Valat. Pour rester dans cette course à l’IA, l’entreprise américaine mise sur le niveau technologique de start-ups disruptives. Elle a ainsi investi près de 13 milliards de dollars dans OpenAI. Selon Jérôme Valat, l’acquisition reste leur stratégie pour rester dans la cour des grands. « Ce n’est pas une entreprise bluffante sur le plan de l’innovation, mais elle l’est concernant la diffusion des technologies », poursuit-il, estimant que sa force de frappe pour toucher le monde des entreprises lui offre l’opportunité d’être un acteur indispensable de l’IA.
Vers la fin du monopole de Nvidia ?
« Personne n’a intérêt à ce qu’il existe un acteur monopolistique sur le carburant même de l’IA », reconnaît Jérôme Valat, au sujet de Nvidia, dont les composants sont indispensables au fonctionnement des modèles d’IA. Pour contrer cette situation, qui a fait de l’entreprise la première capitalisation mondiale, certains concurrents tentent de développer leurs propres cartes graphiques. « Ça laisse la place aux géants comme Apple ou Google », indique-t-il. Selon lui, Apple possède la trésorerie pour supporter ces investissements, comme elle l’a fait en se passant des processeurs Intel sur ses produits. De plus, miser sur le carburant de l’IA pourrait être stratégique pour la marque à la pomme. « C’est une entreprise un peu à risque, qui n’a pas innové depuis un certain temps », souligne le fondateur de Cleyrop.
Quid de l’Europe ? « On est encore en retard », regrette Jérôme Valat. Il estime que ce sujet n’est pas pris au sérieux, alors même que c’est au niveau européen que cela se joue en raison des moyens nécessaires pour développer ces solutions. « Je serais très embêté qu’on manque le coche, car on façonne un monde d’IA qui va être 100 % américain ». Après le virage Internet manqué, il existe le risque que l’Europe rate à nouveau celui de l’IA, ce qui ferait peser un risque sur l’espace numérique du continent. La guerre de l’IA va s’intensifier, mais l’Europe ne semble pas vouloir y envoyer de soldats.