Leur domination dans le cloud permet aux grandes plateformes de s’imposer aussi sur l’intelligence artificielle. Pour Antoine Couret, fondateur d’Aleia, il n’est cependant pas trop tard pour l’écosystème européen pour se différencier.
Les entreprises européennes peuvent-elles trouver leur place sur le marché de l’intelligence artificielle face aux grandes plateformes américaines ?
L’IA doit être une chance pour l’Europe de revenir un peu dans la tech. Bien sûr, pour cela, il est indispensable que ses entreprises parviennent à exister. Plusieurs leviers y contribuent. Le produit est une réponse sur le marché. Mais c’est aussi un enjeu de business model et de cible clientèle.
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Aujourd’hui, les segments PME et ETI n’ont pas forcément envie d’être complètement pieds et mains liés avec des grands groupes avec lesquels ils maîtrisent peu la partie relationnelle. Produit, business model et clientèle constituent à mon sens les trois facteurs de différenciation. J’en ajouterais un quatrième qui est celui de l’accompagnement et de la proximité avec des approches multi-locales plutôt qu’uniquement globales.
Au niveau produit, comment peut s’exprimer la différenciation face aux Gafam ?
C’est un marché compliqué. Le cloud, indépendamment de la data et de l’IA, est dominé à 75% par AWS et Microsoft. Pour exister, il importe de disposer de différenciateurs produit susceptibles de créer de l’attrait.
Chez Aleia, nous misons par exemple sur une plateforme sans doute plus intégrée et packagée que ce que peut proposer AWS avec Sagemaker ou GCP via Vertex. Les fournisseurs de cloud proposent énormément de composants et les utilisateurs peuvent construire leur solution comme ils le souhaitent. C’est un peu comme chez Leroy Merlin, mais à condition d’être bricoleur.
En comparaison, nous apportons un service plus packagé qui garantit plus de simplicité d’usage. Sur un marché où la maturité est encore naissante, des packages offrent une sécurité aux entreprises. Cette approche, nous la déclinons sur le business model et le pricing.
Comment se traduit ce packaging au niveau produit ?
Le service est entièrement managé, c’est-à-dire englobant toute la partie ressources, dont le calcul et le stockage. C’est assez classique dans l’univers du cloud, mais l’avantage est de réduire les besoins en termes de ressources IT nécessaires à un projet d’IA. Data scientists et data analystes peuvent s’affranchir des problématiques d’infrastructure. Ce mode managé et packagé est prêt à l’usage. C’est important en termes de simplification.
Notre deuxième différenciateur, c’est la collaboration avec un store qui intègre des jeux de données et des modèles pré-entraînés. Les utilisateurs ont par exemple accès à des modèles NLP pré-entrainés, en outre sur des ontologies françaises.
La collaboration sur la plateforme, nous la pensons au sein d’une entreprise, entre une direction data centralisée et des filiales, et aussi entre sociétés d’un même écosystème.
Enfin, nous fonctionnons sur des infrastructures souveraines via un déploiement auprès d’OVH et Scaleway. Nous répondons ainsi aux enjeux de maîtrise des données.
Et sur le plan du business model ?
L’architecture a été pensée pour cela : nous intégrons la partie logicielle de l’IA, mais aussi le volet cloud. Contrairement à du Databricks, par exemple, qui distingue licence et cloud, nos packages comprennent les deux composants, pour un même prix. Nos clients savent ce dont ils disposent au sein de leur offre et ce qu’ils paieront à la fin du mois.
Au produit et au business model s’ajoute enfin la dimension accompagnement. Nous avons défini une méthodologie en trois étapes avec l’évaluation de maturité, la génération de cas d’usage et les étapes de mise en œuvre.
A quelles typologies de clients se destinent de telles offres d’IA ?
Le premier type de client pour lequel nous sommes particulièrement pertinents, c’est les espaces de données qui sont en train de se créer. Notre pertinence réside dans le collaboratif et dans l’infrastructure souveraine sous-jacente.
Classiquement, nous ciblons les entreprises, PME et ETI, plutôt rassurés de faire appel à un acteur local et qui en tant que PME comprend leurs problématiques de confiance, de maîtrise et de performance.
En fin d’année, nous lancerons un segment auprès de la communauté des data scientists et développeurs freelance en IA.
Et quid des grandes entreprises ?
Nous avons la capacité de servir ces entreprises, qui nous retiennent sur des critères de rapidité et de performance pour des thématiques métiers. Nous avons par exemple des contrats avec Renault et Disney.
Nous travaillons également avec des grandes entreprises clientes d’Amazon ou d’Azure. Nous n’avons aucun problème à nous déployer auprès de ces plateformes cloud. Nous avons même des complémentarités avec elles. Nos solutions sont packagées dans du kubernetes et peuvent se déployer sur n’importe quel cloud.
Le marché permet-il aujourd’hui à des challengers de se développer aux côtés des géants du cloud ?
Bien sûr. On considère que le taux de déploiement industriel de l’IA oscille, selon les chiffres, entre 5 et 15%. Il triplera d’ici 5 ans et devrait atteindre les 70 à 80% d’ici 2030. Nous sommes sur un marché en pleine croissance et en outre techniquement plus complexe que le cloud, très standardisé.
Sur l’IA, la marge de manœuvre est plus importante avec des enjeux autour de la confidentialité des données, de l’éthique et des jeux de données. Pour les fournisseurs, il est possible de se différencier sur de nombreux aspects, parmi lesquels aussi la performance de l’IA et l’entraînement des modèles.
Les grandes entreprises et l’Etat ont-ils aussi un place à tenir dans la structuration du marché européen ?
Nous avons la chance en Europe d’avoir de grands groupes. Ils ont un rôle à jouer sur ce marché naissant de l’IA en ne faisant pas toujours le choix de la prudence qui consisterait à choisir AWS, comme ils choisissaient IBM à une autre époque. De la même manière, la puissance publique, au travers des contrats publics, a ses responsabilités à prendre en jouant local. Les alternatives existent même si oui l’écosystème doit encore travailler à sa lisibilité par les grands groupes notamment.