[L’analyse] L’IA générative, utilisée dans les processus RH pourrait appuyer les enjeux de diversité et d’inclusion des entreprises. Mais encore très centrées sur l’humain et les individualités, peu formées aux potentialités des solutions, les RH pourraient passer à côté du train en marche.
A la question « quelles sont vos priorités RH en 2024 », 2 300 entreprises certifiées Top Employer ont placé la diversité, l’équité, et l’inclusion dans le top 10, derrière le recrutement et l’expérience collaborateur. Les objectifs de diversité et d’inclusion visent à accueillir, faire progresser et valoriser des profils différents en entreprise. Cela recouvre des champs aussi différents que l’égalité homme femme, l’inclusion des personnes en situation de handicap, mais aussi l’accueil des diversités de genre, diplôme, âge, expérience, origine, orientation sexuelle, situation confessionnelle, etc. De manière générale, il s’agit de bannir les discriminations dans l’environnement de travail et faire de la diversité un levier de réussite.
L’intérêt est également business. Selon une étude Diversité et Inclusion du cabinet Deloitte, les entreprises mettant en œuvre une politique en faveur de la diversité ont 60 % de chance de voir leurs profits et leur productivité augmenter.
Une étude du fournisseur de logiciels RH ADP « HR trends and priorities for 2024 » place également les politiques de diversité et d’inclusion au premier plan des priorités de DRH, derrière le déploiement de systèmes RH augmentées par l’intelligence artificielle.
Les uns pourraient-ils servir les autres ? Peut-on tabler sur les outils RH dopées à l’IA générative pour aider les DRH à atteindre leurs objectifs en matière de diversité et inclusion ?
La promotion de la diversité et de l’inclusion, attente des nouvelles générations
Importées des Etats-Unis, ces politiques dites DEI (Diversité – équité – inclusion) sont apparues en France au début des années 2000. Elles n’ont jamais depuis quitté les agendas des grandes entreprises. Et sont désormais incarnées réglementairement par l’obligation de calcul d’un index d’égalité homme femmes pour toutes les entreprises de plus de 50 salariés depuis 2020.
Et depuis quelques années, l’enjeu d’inclusion est « exacerbé » selon Jean-Noël Chaintreuil, directeur de Change Factory, un cabinet de conseil en RH et transformation culturelle. Il y voit une attente des nouvelles générations. « Elles font preuve d’une « vraie insatisfaction vis-à-vis du monde du travail, de plus en plus visible sur les réseaux sociaux comme TikTok » et réclament un « alignement de leurs valeurs avec celles de l’entreprise ». « Il s’agit d’un besoin de se sentir valorisé et inclus dans une communauté. On peut presque parler de besoin tribal », analyse encore celui qui travaille depuis des années sur le futur du travail.
Pour autant, ces enjeux de diversité et d’inclusion sont plus prégnants chez les grandes entreprises selon Perrine Vincey, DRH à temps partiel pour le compte d’établissements de taille intermédiaire « Ce n’est pas la priorité de mes clients, ce sont des petites entreprises qui ont essentiellement des sujets de recrutement ou de contentieux. »
Des outils calibrés pour les processus RH
Pour Jean-Noêl Chaintreuil, l’IA générative est un outil fait pour les RH. Selon lui, la « mathématisation des RH est incontournable ». « Il faut penser sous forme de modèles réplicables et abandonner l’idée de la singularité individuelle ». Perrine Vincey, qui se dit « technophile » s’appuie déjà sur l’IA pour ses missions. « J’expérimente quotidiennement les outils, que ce soit ChatGPT ou Mistral. Il y a un potentiel inexploité des outils d’IA générative. Cela me sert par exemple pour des dossiers complexes de contentieux, pour compléter une analyse juridique ».
Comment favoriser l’inclusion et garantir l’épanouissement de chacun quel que soit son profil ? Tabler sur l’IA pour élargir les recrutements est une des premières applications expérientielles déjà adoptée par les RH. « En effet, l’IA peut servir au recrutement, notamment pour le tri de CV, pour la rédaction d’offres d’emploi ou de fiches métier », abonde Perrine Vincey.
Jean-Noël Chaintreuil en est convaincu, l’IA sert à supprimer des biais inconscients. Il en affiche le contre-exemple « La start-up Zylo, qui propose des solutions d’optimisation de plateformes Saas l’a expérimenté à ses dépens. Ses offres d’emploi qui mettaient en avant les qualificatifs de ninja ou rock star pénalisaient les candidatures féminines qui ne se retrouvaient pas dans ces termes. L’IA peut appuyer la sémantique souhaitée ».
Au-delà du recrutement, l’IA pourrait encourager les mobilités internes, une autre application moins connue. Certaines femmes pourraient se sentir moins qualifiées que les hommes pour certains postes et postuleraient moins. « Une femme ne postule que si elle a 80 % des compétences, alors qu’un homme le fera dès qu’il estime en avoir la moitié », soulève le directeur de Change Factory. L’IA en introduisant le « matching par compétences » pourrait permettre de dépasser le fameux plafond de verre et « placerait plus loin le curseur de l’égalité des chances ».
Suite logique d’un parcours au sein de l’entreprise, l’IA pourrait aider à l’hyper-personnalisation des parcours de formation, notamment lors des sessions d’onboarding. Par exemple en présentant des profils auxquels le collaborateur peut s’identifier.
Les RH risquent de rater encore une fois la vague de la modernité
Pas sûr pour autant que les RH montrent le chemin. Ils risquent au contraire « de rater encore une fois la vague de la modernité » selon Jean-Noël Chaintreuil.
Samuel Lucas, DSI chez Anthea RH, abonde « le secteur RH est le plus à la traîne. Ils n’ont pas cet ADN pro-solutions. Pour autant beaucoup de solutions existent déjà, l’IA doit être considéré comme un outil facilitateur »
Marie Mignot, responsable RH et recrutement RH chez Ekinox le reconnaît volontiers « J’ai beau travailler dans une société spécialisée dans la data et l’IA, à titre personnel je n’utilise pas encore beaucoup d’outils IA. » Mais pour autant la jeune femme compte bien y remédier en mettant à l’œuvre la start-up factory interne à Ekinox. « Développer un outil d’automatisation des messages d’approche et de relance me ferait gagner beaucoup de temps. On pourrait imaginer des messages vocaux ou vidéos personnalisées qui permettraient d’approcher des profils ingénieurs pénuriques très sollicités ». Selon elle, l’adoption tardive par les RH vient pour l’instant du manque d’outils clé en mains.
La DSI peut-elle compenser le fait que les RH soient à la traîne ? « L’IA peut se découper en plusieurs niveaux, nécessitant différentes compétences. Pour le prompt simple, pas de problème. Pour une mise en œuvre complexe, qui exploite tout le potentiel de l’IA générative c’est plutôt au niveau COMEX que ça se joue », certifie Jean-Noël Chaintreuil. Un alignement des planètes au plus haut niveau de l’entreprise, seul à même de mettre les moyens au service des ambitions.