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IA : rester captifs ou devenir stratèges ?

 

Epinglant un numérique « réduit à un marché de consommation » en Europe, notre chroniqueuse Ana Semedo lance un appel urgent à sortir de la passivité et de la captivité pour saisir l’opportunité stratégique offerte par le développement de l’intelligence artificielle.

 

Petit récapitulatif de la situation : l’intelligence est un levier de pouvoir que les États-Unis et la Chine exploitent, mais qui nous échappe en Europe. Les USA dominent le marché et nous rendent captifs, tandis que la Chine contrôle sa stratégie et, avec DeepSeek[1], bouscule l’équilibre. Les deux verrouillent matières premières et semi-conducteurs : la Chine en avance, les USA en rattrapage dominateur. Eux progressent, nous achetons. Nous avons réduit le numérique à un marché de consommation, sacrifiant compétences, souveraineté et compétitivité. L’IA suit le même chemin : chaque annonce française résonne comme un écho affaibli des initiatives américaines. Pendant que nous les regardons, l’Inde, les Émirats, la Corée du Sud tracent déjà leur route.

 

Une IA en quête de cap

 

L’IA est tout à la fois un enjeu technologique, une bataille culturelle, économique et stratégique. Mais sans stratégie, où va l’IA française ? En février, le Sommet de Paris pour l’action sur l’IA a produit des discours séduisants, mais peu d’engagements concrets. Avec les data centers et Current AI, nos données et infrastructures renforceront-elles les marchés dominants ou notre économie ? Quelle est la portée réelle de la Déclaration commune sur une IA inclusive et durable  ou de la Coalition for Sustainable AI ? Nous suivons les USA, alors que DeepSeek a montré que d’autres voies sont possibles. Construisons les nôtres !

Nous nous focalisons sur nos grandes entreprises nationales, dont l’actionnariat est devenu majoritairement étranger. Nous subventionnons nos startups, dont les success stories s’expatrieront. Entre les deux, nos PME-ETI restent sans boussole. Que signifie protéger notre tissu économique avec des grands champions qui nous échappent ? Que faut-il retrouver, recréer ? On se félicite des avancées françaises en IA, on célèbre Mistral AI, on multiplie chartes et annonces, mais où est la vision stratégique ? Une IA nationale ne se bâtit pas sur des « success stories » isolées, mais sur une capacité industrielle et technologique partagée. A défaut, l’IA française restera un vivier de talents et d’idées au service des autres. Un modèle autonome ou un leadership sur des briques critiques sont possibles, sans mimétisme servile.

 

L’IA comme levier de transformation économique

 

Aujourd’hui, plus qu’un problème de productivité, nous avons un manque d’activité et d’emplois. Pourtant, nous nous focalisons sur la productivité, alors que l’IA pourrait nous aider à imaginer de nouveaux relais de croissance. Nous pouvons orienter l’IA pour servir nos enjeux (systèmes de santé, chômage, transition écologique, éducation, cybersécurité…). L’IA peut ouvrir de nouvelles voies, qu’il s’agisse de la robotique, clé pour une relocalisation industrielle, ou de la création de matériaux plus écologiques. Dans la santé, l’IA peut nous aider tant au niveau technologique que pour réinventer les organisations ou les modes de gestion. L’IA peut nous aider à innover pour l’existant : le recyclage, la maintenance, l’économie circulaire. Nous pouvons inventer un autre chemin. Il manque une vision stratégique assumée et des démarches cohérentes. Elles sont à inventer et nous devons avoir l’humilité de l’accepter.

Mistral AI est une fierté nationale, mais son actionnariat inclut déjà Salesforce, Nvidia, deux fonds américains, et Eric Schmidt (ex CEO de Google). Nous les pensions très innovants, DeepSeek nous a stupéfiés. Même si son open source reste sous conditions. Nous avons besoin d’analystes-experts capables d’évaluer notre position réelle, sans concessions. Les majors des LLM (OpenAI, Anthropic) évoluent vers des solutions autonomes[2] qu’ils contrôlent et commercialisent. Ils se cherchent, innovent, protègent, financent des startups comme relais d’innovation. Ce marché pourrait se refermer et nous rendre captifs à nouveau.

 

Un écosystème à restructurer

 

Quelle stratégie pour les LLM ? Créer notre LLM open source, comme infrastructure partagée pour de nouveaux développements ? Avec quelle vision stratégique ? Suivre la voie des majors, c’est courir après un modèle qui nous échappe. L’IA ne se limite pas aux LLM. Nos industriels (Thales, EDF…), nos chercheurs (tels l’INRIA) et nos talents regorgent d’expertises. Tout n’est pas secret. Comment structurer cet atout, pour en faire un levier différenciateur plutôt qu’un écosystème dispersé ? Cela implique veille, analyse, stratégie, innovation, financements, développements, mais aussi la sécurisation industrielle de la chaîne de valeur (matières premières, énergie, semi-conducteurs). C’est possible !

 

Stratégie ou dépendance, à nous de choisir

 

DeepSeek innove, la géopolitique nous pousse à accélérer : alors, allons-y ! Pour cela, les premiers points sur lesquels nous devons agir apparaissent clairement :

Alors, marché stratège ou captif ? Il est plus que temps de se donner les moyens d’une IA souveraine et durable.

 

[1] DeepSeek est une société qui nous a surpris avec un grand modèle de langage (LLM) très performant et en open source.

[2] Par exemple, DeepResearch conçu pour effectuer des tâches de recherche de bout en bout, capable de naviguer, de rechercher et de synthétiser des informations sans orchestration externe.

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