Loïc Tourlourat est le directeur des systèmes d’information de l’assureur Allianz en France. Il décrit les changements profonds qui ont lieu depuis plusieurs mois au sein du groupe et de son entité et dévoile les chantiers sur lesquels il est engagé pour préparer l’avenir.
Cet entretien est issu de notre série d’interviews « What’s next, CIO ? » qui revient tout au long de l’année sur les priorités et visions d’avenir des CIO stratèges.
Vous avez pris la tête en janvier 2025 d’une direction des systèmes d’information profondément transformée chez Allianz France. Quel est son périmètre actuel ?
C’est un périmètre transverse, qui couvre les postes de travail, le réseau, l’hébergement, la cybersécurité, le support utilisateur… J’ai également la charge des partenariats cloud, alors que 50 % de notre système d’information est cloudifié. Il se compose de 600 applications, avec 200 partenaires à animer pour en assurer l’évolution et le maintien en condition opérationnelle. Près de 40 % de notre budget annuel est consacré au plan d’évolution de ces applications : c’est une transformation permanente, sous le regard attentif du régulateur (l’ACPR, Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, NDLR). Ce patrimoine applicatif est au service de 20 000 utilisateurs, dont 7 500 agents qui ne sont pas des salariés d’Allianz et travaillent dans 2 500 agences locales. L’expérience utilisateur et le support sont donc deux piliers très importants dans notre stratégie, avec un effort particulier de monitoring de la qualité des services, en sortant des seuls indicateurs IT habituels.
La DSI d’Allianz France a également vu son métier évoluer fortement en quelques mois…
La DSI a connu une transformation majeure ces dernières années, avec la création au niveau du groupe d’Allianz Technology, nouvelle filiale qui regroupe 10 000 informaticiens chargés du delivery des projets, en mode « service managé » pour les DSI. Nous avons donc basculé progressivement les services transverses aux métiers vers cette nouvelle entité. L’objectif étant de standardiser et de massifier au maximum. Conséquence directe : nous étions 800 à la DSI France et nous sommes aujourd’hui une cinquantaine de personnes en interne, avec un métier qui a évolué vers la gouvernance et une forme de maîtrise d’ouvrage déléguée de haut niveau. C’est un modèle en rupture sur le marché, qui implique une posture complètement différente entre le « faire » et le « faire faire », surtout dans un monde de démarches agiles en co-construction avec le métier. Pour les équipes de la DSI, la conduite du changement a été menée avec des plans de formation pour développer des compétences différentes. Il a fallu afficher de fortes convictions : être beaucoup plus précis sur les attendus des demandes, de la performance financière, de l’anticipation, du pilotage du forecast sur le portefeuille global… Ce sont toutes les attentes du comité exécutif vis-à-vis de la DSI qui changent avec une telle transformation.
Avec cette organisation, à quel point votre DSI peut-elle s’impliquer dans la démarche d’innovation des métiers ?
C’est un sujet en devenir. Nous faisons de la veille marché, mais nous avons la volonté d’aller chercher des partenariats qui nous aident en termes de prospective. Parmi nos sujets d’intérêt : le chiffrement post-quantique avec des start-up, l’élévation de la détection des cyberattaques en cherchant les signaux faibles avec de l’IA… C’est une initiative France que nous développons et qui demain devra servir le groupe dans sa globalité.
Quel a été l’impact de la transformation de la DSI pour vos prestataires IT ?
L’évolution du sourcing a été l’objet d’un plan à part entière. Avec la massification amenée par Allianz Technology, nous avons pris conscience du grand nombre de prestataires sur lesquels nous nous appuyions en ordre dispersé. Nous avons donc pris le parti de rationaliser et de nous structurer en France autour de 5 grands partenaires. Cela est passé par un mouvement de sourcing stratégique totalement revisité. Il fallait faire attention à ne pas fragiliser le patrimoine, les compétences, IT ou fonctionnelles… Il a fallu également appuyer des revues de transfert de compétences, pour conserver la capacité à opérer et à comprendre les grandes fonctionnalités du SI. Cela s’est accompagné de plans de départ volontaire en France, pour avoir des centres de compétences ailleurs et pour gagner en compétitivité. Le but a été de responsabiliser des partenaires au maximum à nos côtés. L’exigence de productivité que l’on demande à l’ensemble des métiers rejaillit forcément sur les métiers de l’IT. Et ces changements ne sont pas terminés : l’année 2025 doit nous permettre de stabiliser notre delivery malgré ces nouveautés.
Quels sont vos grands projets structurants pour cette année ?
Nous orchestrons une migration progressive vers des standards « groupe ». Nous voulons notamment sortir des approches « spécifiques » que l’on pouvait avoir historiquement, afin de faciliter l’intégration sur les verticaux. Allianz Technology a récupéré les initiatives d’ingénierie logicielle que nous avions commencé à mettre en œuvre, pour harmoniser et aller plus loin. L’entité développe aussi dorénavant une « business master platform » centrée sur les métiers de l’assurance, pour les proposer dans nos différents pays en Europe. Avec l’intention ensuite de pouvoir vendre ce produit sur le marché, pour la vente, la souscription, l’indemnisation…
En parallèle, en France, nous devons repenser les modes de delivery de quelques produits très spécifiques, comme l’assurance vie. Notre DSI doit agir avec un rythme plus soutenu sur des technologies assez anciennes, souvent de type mainframe. Elles sont très stables, mais les compétences de développeurs les concernant deviennent rares et chères.
Enfin, il y a l’enjeu de ce que je nomme la « voiture balai du DSI » : le décommissionnement. Le secteur des assurances connaît une forte sédimentation des outils. Des centaines d’applications, des dizaines de technologies différentes coexistent… Nous consacrons cette année presque 30 % de notre budget IT pour harmoniser et sortir les technologies que l’on ne sait plus faire vivre au bon rythme. En la matière, notre move-to-cloud est d’une grande aide.
Comment voyez-vous l’avenir de votre système d’information ?
Pour préparer l’avenir, nous nouons de plus en plus des partenariats différents. Il existe dans le domaine « vie et santé » des pure players très matures, capables de nous proposer de la marque blanche, pour offrir de nouvelles opportunités autour de nos produits. Nous voulons donc faciliter l’exposition de notre SI, des bases de données, des services, de l’identification… avec l’APIsation du système. Des technologies très matures permettent aujourd’hui de sécuriser ces interfaces pour éviter les fraudes. Notre objectif est de prendre de l’avance avec cette ouverture du SI, afin d’imposer au maximum notre interface et de ne pas avoir à tout réinventer avec chaque nouveau partenaire potentiel.
L’autre grand sujet d’avenir, c’est évidemment l’intelligence artificielle. En la matière, l’accès à la donnée est le nerf de la guerre. Nous voulons améliorer la qualité des données de façon fondamentale. C’est un projet majeur que nous devons mener sur le long terme pour tirer parti de tous les mouvements de l’IA, en cours et à venir. Quant à l’accès en langage naturel, cela dépasse forcément une approche d’assistant de bureautique. Nous avons des usages métiers spécialisés qui nous obligent à avoir un plan stratégique pour réconcilier les données. Tout cela demande un peu de temps de mise en place. Mais quand on voit les demandes et convictions qui émanent du comex ces derniers mois, je pense que nous avons enfin une excellente opportunité de régler l’affaire de ce vieux serpent de mer de la donnée et de sa gouvernance dans l’entreprise ! Sans oublier que les capacités apportées par l’IA elle-même devraient nous y aider. On ne peut qu’être impressionné par les avancées permises en matière de reverse engineering IT par exemple. Et ce n’est que le tout début.
Les dépendances technologiques pèsent-elles malgré tout sur vos projets d’avenir ?
La façon dont la question est prise en compte au sein de l’entreprise a beaucoup évolué en 18 mois. Nous menions évidemment des revues trimestrielles au niveau groupe, pour observer l’évolution des produits numériques ; mais le prisme était alors avant tout celui de la dépendance économique. Aujourd’hui, quand nous choisissons un logiciel, les risques liés à « l’empreinte » globale des pays d’origine des prestataires entrent en ligne de compte : les enjeux de localisation ont pris une tout autre dimension. Nous essayons d’avoir une approche cohérente et transverse : nous catégorisons l’ensemble de nos produits avec des critères additionnels pour prendre en compte les nouveaux enjeux de dépendances. Nous avons aussi mis en place une « liste noire » indiquant les technologies dont nous allons devoir sortir d’ici un an, deux ans, cinq ans… Et nous avons renforcé nos partis pris contractuels pour mettre des limitations plus formelles, sur les technologies, les pays, etc. Avec 60 filiales au niveau mondial, nous avons par ailleurs la chance de pouvoir profiter d’éclairages internationaux de la gestion des risques, afin de ne pas voir seulement la question sous le prisme français. C’est un préalable à l’analyse des fournisseurs en tant que telle. Cette méthodologie reste cependant « réactive » et nous aimerions être plus proactifs. Mais dans tous les cas, la thématique de la dépendance est montée en quelques mois à un niveau stratégique, plutôt que technique. C’est flagrant.