Sheïla O’Hara, Sustainability Technology Leader pour IBM France & EMEA, analyse les attentes des entreprises en termes de numérique responsable. Elle décrit également le framework « Responsible Computing » créé par le groupe.
Alliancy. Les entreprises ont-elles pris la mesure des enjeux liés au numérique responsable ?
Sheïla O’Hara. Oui, au vu des appels d’offres que nous recevons actuellement. Pour réduire leur impact, les entreprises peuvent activer trois leviers majeurs. Le premier concerne l’infrastructure – c’est-à-dire les assets physiques – pour laquelle l’enjeu principal est de réduire la consommation énergétique, le deuxième, la supply chain et le troisième, l’IT.
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Dans certains secteurs, comme le secteur bancaire, l’informatique représente une part plus importante des émissions de l’entreprise. Mais, dans tous les appels d’offres, même pour des solutions qui n’ont pas un lien direct avec le fonctionnement de l’IT, nous devons afficher notre impact, soit à travers celui des machines achetées (Product Carbon Footprint), soit à travers celui des logiciels. Nous avons également de nombreuses demandes relatives à notre infrastructure Cloud. Les entreprises nous demandent de leur fournir des outils permettant de calculer l’équivalence carbone de tel ou tel service tournant sur la plateforme.
À tous les niveaux, il nous est demandé de faire un lien avec l’impact environnemental et de fournir des outils facilitant l’optimisation de l’infrastructure matérielle ou logicielle pilotée par les directions informatiques.
Quelles sont leurs priorités ?
Sheïla O’Hara. Il y a un élan soutenu sur les programmes d’achats d’équipements reconditionnés. La partie « fabrication » du matériel a en effet été identifiée par les entreprises comme ayant le plus d’impact environnemental. Il existe également un focus important sur l’optimisation des tâches de travail (workloads). Les entreprises cherchent des outils leur permettant de consolider certaines tâches et de réduire le nombre de machines ou de VM (machines virtuelles) au sein des datacenters.
L’optimisation des processus fait également partie de leurs priorités : les directions informatiques se donnent comme objectif d’analyser les applications afin de détecter des fonctions qui ne servent à rien ou qui nécessitent d’importantes optimisations, notamment au niveau de leur code, pour réduire les consommations de ressources inutiles.
Nos équipes de recherche travaillent par ailleurs sur des outils permettant de détecter les « serveurs zombies », ces machines oubliées au sein des datacenters. Elles ne servent à rien et devraient être décommissionnées, mais il n’existe à ce jour pas d’outil facilitant leur identification.
Enfin, beaucoup d’entreprises cherchent à sensibiliser leurs collaborateurs sur leur impact à travers l’usage de la bureautique. L’enjeu est de mesurer l’impact des envois de courriers électroniques, de l’utilisation des espaces de partage de documents, des impressions, etc. Les projets concernent la fourniture d’applications aux salariés afin de leur faire prendre conscience de leur propre empreinte, à leur niveau.
Le numérique responsable couvre d’autres aspects, comme l’accessibilité, l’inclusion, l’éthique. Ces thématiques émergent-elles également ?
Sheïla O’Hara. Tout à fait. En 2020, à travers un groupement d’experts dont je faisais partie, IBM a créé un framework intitulé « Responsible Computing ». Plusieurs domaines ont été identifiés afin de faire passer le message que le numérique responsable, ce ne sont pas que les datacenters et l’infrastructure.
Il faut aussi prendre en compte l’usage des données (respect de la vie privée, sécurité des données…), les systèmes (transparence de l’IA, déduplication des données), l’efficience du code et tout ce qui a trait à l’IT for Green. L’IT for Green regroupe l’ensemble des outils numériques qui peuvent aider les entreprises dans leur transition écologique. Bien entendu, mesurer et chiffrer les impacts de ces outils n’est pas chose aisée, mais cela fait partie des attentes actuelles des entreprises.
Le framework « Responsible Computing » a été pris en charge par un organisme externe, Object Management Group (OMG), afin d’attirer d’autres entreprises dans le cadre d’un consortium. L’objectif est de réfléchir ensemble aux outils nécessaires au traitement de l’ensemble de ces données et proposer aux directions informatiques une vision holistique du numérique responsable.
Quelles bonnes pratiques les entreprises peuvent-elles appliquer quand elles souhaitent se lancer, ou renforcer leur action, en matière de numérique responsable ?
Sheïla O’Hara. L’optimisation des workloads est un chantier pouvant apporter des bénéfices rapides. Les retours se situent entre 10 et 30 % d’économies réalisées sur les ressources. Dans le passé, les objectifs à atteindre étaient plutôt de nature financière. Aujourd’hui, les coûts sont toujours à l’esprit des DSI, mais elles cherchent également à traduire ces projets en termes de gains environnementaux. Nous avons donc ajouté à nos outils des tableaux de bord et des règles de conversion afin que les DSI aient accès à ces notions d’économies en termes d’impact.
Le passage au cloud est également source d’économies, les acteurs de ce secteur ayant déjà réalisé un travail considérable afin d’améliorer leurs datacenters. Le passage au cloud ne signifie pas que les entreprises se déchargent de leur responsabilité. En choisissant le cloud, elles basculent simplement vers le Scope 3 et peuvent avoir un réel impact en choisissant un fournisseur de services cloud ayant un positionnement véritablement « green ».