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Ignacio Tirado (Redspher) : « La culture du « on-demand » a changé le secteur du transport »

Dans l’industrie du transport, le discret groupe Redspher (ex- groupe Flash) entend se rendre visible en se différenciant grâce aux technologies numériques et à sa vision d’entreprise plateforme. Ignacio Tirado, qui a été Chief Operating Officer du groupe avant de prendre la direction générale de la nouvelle filale « software » Easy4Pro, décrit la transformation vécue par l’entreprise, pour répondre à l’enjeu de la livraison à la demande.

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Article mis à jour le 19 février 2020

Alliancy. En devenant mi-2018 le groupe Redspher, à quel point le groupe Flash a-t-il fait évoluer son activité ?

Ignacio Tirado, Chief Operating Officer, Redspher

Ignacio Tirado. C’est un moyen d’assumer plus clairement notre ambition : devenir la plateforme de référence mondiale du on-demand delivery (livraison à la demande, ndlr). Nous montrons aussi plus clairement tous les métiers que cela inclut, au-delà de la seule activité initiale de Flash. Historiquement, Flash était une petite société de transport basée à Metz, qui a très vite grandi. Avec sa conviction autour de l’On-demand delivery, elle est sortie de l’ombre de la sous-traitance des grands transporteurs pour adresser des grands clients comme Bosch ou Siemens en direct, et a mené en parallèle de multiples rachats dans les années 2000 sur des activités complémentaires. Nous avons optimisé au fur et à mesure ces activités grâce à la technologie, avec très tôt du lean et du cloud. Prendre le nom de Redspher permet de dire que nous sommes bien plus que ce que faisait Flash par le passé et d’affirmer notre ambition mondiale.

Concrètement, qu’est-ce que recouvre cette expression de « on-demand delivery » ?

Ignacio Tirado. Le terme en tant que tel est assez récent dans le monde du transport. Le principe existe pourtant depuis que les entreprises ont commencé des stratégies de livraisons « just in time », c’est-à-dire sans stocks, en répondant aux commandes urgentes. Pendant longtemps a persisté l’idée que c’était un problème : que quelqu’un avait mal fait son travail et qu’il en résultait un manque de stock. Du coup, la pratique était faite presque honteusement et les transporteurs réguliers sous-traitaient cette partie « gestion urgente de la livraison » à des sociétés comme Flash, car il ne savait pas s’en occuper efficacement. Aujourd’hui la culture « on-demand » est devenue tellement naturelle dans notre vie de tous les jours, que notre secteur a complètement changé. Le marché atteint donc 10% du marché global du transport de biens. Aujourd’hui le « on-demand » est devenu en phénomène de masse, ça fait partie de la proposition de valeur des entreprises comme Amazon et non plus seulement un transport pour éviter une rupture de chaîne de production

C’est pourquoi vous avez fédéré vos activités autour d’une vision de plateforme de l’on-demand ?

Ignacio Tirado. Quand on disait que le on-demand allait devenir un différenciateur pour les entreprises et non pas une contrainte, on nous prenait pour des fous. Mais aujourd’hui, les chiffres nous donnent raison, les clients comme Ikea et d’autres grandes chaînes… ont fait leur choix.  Je prends un exemple parmi les entreprises du groupe : Easy2Go, dirigé par Olivier Leroux qui connait une très forte croissance (plus de 100% en 2016 et en 2017, ndlr). Redspher a réussi dès 2018 les objectifs de notre business plan 2015-2020. De même, notre installation aux Etats-Unis devait initialement se faire aux alentours de 2025…mais une de nos entités y a accompagné de grands clients dès cette année. De manière général, le secteur du transport est encore tellement mal optimisé, que nous arrivons à attaquer le marché avec nos offres on-demand… au même prix que les offres industrialisées du transport planifié traditionnel ! C’est presque invraisemblable.

Qu’est-ce qui vous permet de réaliser cela ?

Ignacio Tirado. Nous sommes obsédés par la technologie. Et nous savons donc capitaliser sur notre socle technologique pour accompagner notre croissance. Par exemple, nous formons 300 nouveaux chauffeurs par mois. Cela n’est possible que grâce à la création d’une start-up interne, Genius Academy, qui nous permet de concilier e-learning et formation de qualité. Cette philosophie très tournée vers le digital nous ouvre beaucoup d’autres possibilités. Nous avons ainsi commencé à vendre le logiciel d’optimisation de l’exploitation que nous avions créé pour nous-mêmes, sous la marque Easy4Pro. En aire urbaine, il permet d’assigner automatiquement les livraisons aux transporteurs les plus proches par exemple, comme ce que peut faire Uber, ou au contraire, en aire rurale notamment, de privilégier une approche d’enchère inversée pour privilégier le transporteur le moins cher. Cette technologie Easy2Trace nous la mettons gratuitement à disposition de nos transporteurs. Toutes les courses sont suivies et cela alimente du même coup nos moteurs d’optimisation. Le groupe dispose d’une cinquantaine d’agences dans 18 pays avec 49 bureaux, et le logiciel lui a permis de centraliser l’information et de lutter contre l’opacité de l’information ou contre des ententes autour des livraisons. C’est aussi ce qui a séduit les clients aux Etats-Unis qui ont des systèmes de distribution mondiaux et qui sont confrontés à des irrégularités de prix, en Turquie ou en Russie par exemple.

Comme une société de transport parvient-elle à gérer de façon cohérente ces nouveaux métiers à forte teneur numérique, en interne ?

Ignacio Tirado. A nos yeux, l’une des clés de la transformation des entreprises est de créer des sociétés ambidextres, qui d’un côté avancent très vite pour innover, et de l’autre travaillent sur la pérennité et le long terme. En ce sens, la technologie doit toujours rester un moyen et pas une fin. Mais si aujourd’hui notre système d’information est mutualisé à 80% entre toutes les entités du groupe pour permettre cette vision cohérente de long terme, cela n’allait pas de soi au départ. Nous avons dû mener de nombreuses réformes techniques importantes pour garder cette capacité technologique à l’échelle du groupe. Nous sommes passés d’un SI monolithique, peu scalable, à un système basé sur des API et des micro services. Et nous nous sommes ouverts sur notre écosystème jusqu’à proposer à nos clients certains de ces micro-services.

Qu’est-ce qui vous a conduit à une telle transformation du socle technologique ?

Ignacio Tirado. C’était devenu une évidence. Quand j’ai rejoint l’entreprise il y a 9 ans, guidé par le directeur actuel de Flash, Jean-François Collenot, je consacrais ma thèse à la transformation du système de prix, soutenu par les nouvelles possibilités technologiques. Nous avons mis cela en place avec beaucoup de réussite et je me suis mis à travailler sur les nouveaux systèmes d’organisation, en soulignant l’importance que le digital pouvait prendre dans les processus des sociétés de services. Cela a conduit à la création de notre application de tracking, à des changements importants d’organisation et aux dépôts de brevets sur l’optimisation temps réel… Les possibilités devenaient extrêmement nombreuses, mais nous nous sommes retrouvés bloqués par un système d’information « legacy ». Si nous voulions attaquer de nouveaux marchés au niveau mondial, il fallait amener ce changement-là avant tout.

Comment ?

Ignacio Tirado. Pour provoquer le changement, il faut avoir l’idée de départ, mais surtout trouver les personnes qui vont suivre. Cela a était exactement la vision de notre CEO Philippe Higelin qui a rassemblé une équipe d’entrepreneurs autour d’une vision commune, faire d’une petite entreprise Lorraine un leader mondial. Souvent, les bonnes personnes sont celles qui ont une âme et une expérience d’entrepreneur, quitte à ce qu’elles viennent de métiers parfois complètement différents. Nous en avons beaucoup chez Redspher ! Pour ma part, j’ai créé ma première entreprise quand j’étais encore étudiant. La refonte du système d’information, plus précisément, a été rendue possible par Laurent Venier, un vrai génie, fou de changement, qui a pu mettre tout cela sur les rails au niveau de la DSI. Il a ensuite pris la tête de Yoctu, notre start-up chargée de commercialiser l’offre de micro-services rendue possible par ce nouveau SI.

Quels ont été les autres implications de ces transformations ?

Ignacio Tirado. Elles sont nombreuses. Nous avons dû par exemple revoir notre approche de la sécurité, pour concilier cette ouverture sur notre écosystème, avec le nombre extrêmement important de données personnelles que nous gérons. Sur un autre aspect, nous faisons dorénavant très attention pour fidéliser nos développeurs, qui sont devenus clés dans ces nouveaux métiers du groupe. Plus de 60% d’entre eux sont aujourd’hui basé au Luxembourg, un pays très technologique et stable par rapport à l’infernal turnover parisien ! Mais de manière globale, nous pouvons résumer cela ainsi : le digital est partout dans l’entreprise. On ne parle d’ailleurs plus de transformation digitale en interne car nous considérons que c’est intrinsèque à nos activités. Culturellement, c’est un acquis majeur. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai été Chief Operating Officer et pas seulement Chief Digital Officer du groupe : le digital fait partie de nos opérations. Aujourd’hui, le défi pour Redspher vient de sa croissance exponentielle et du recrutement suffisamment rapide des talents pour accompagner cette croissance, pas du digital, de son SI ou de sa culture.

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