Véritable relais de croissance pour les grands groupes, l’innovation radicale a beaucoup à gagner à être accompagnée au sein d’un incubateur interne. Elle y sera protégée de la gouvernance et des indicateurs de performance habituels dédiés à l’optimisation et qui sont inadaptés au développement d’une innovation de rupture. En revanche, elle pourra bénéficier de la pleine puissance des moyens de l’entreprise hôte. Sébastien Durand et Bruno Cracco, cofondateurs de Bengs nous livrent leur analyse.
Quelles sont les conditions pour qu’une innovation de rupture arrive au marché, sans qu’elle ne se fasse tuer en chemin par le “système immunitaire” d’un grand groupe ? Question complexe à laquelle diverses réponses peuvent être apportées, pour peu que les dirigeants veuillent bien se saisir sérieusement du sujet et faire évoluer leur point de vue.
Depuis l’émergence d’une idée « radicale » jusqu’à sa concrétisation, de multiples obstacles se dressent en chemin : la gouvernance même du groupe, mais aussi sa communication financière et sa politique interne. Les craintes relatives aux potentiels changements de modèle économique induits par cette innovation sont également à prendre en considération, tout comme l’absence de ressources internes adaptées pour porter et accompagner le projet.
A lire aussi : Vivatech 2023 : 7ème édition, chaud devant…
Un incubateur interne pour créer de jeunes pousses « maison »
Et pourtant, l’innovation de rupture constitue un formidable relais de croissance pour les entreprises. Malheureusement, les organisations optent le plus souvent pour la facilité et la minimisation du risque : le rachat de startups. C’est une voie comme une autre, mais on constate que la greffe prend rarement. Une fois l’actif technologique ou industriel acquis, l’esprit même de la jeune pousse s’évapore dans un nouveau système, plus puissant, plus ancré dans les mentalités. Les sommes importantes dépensées pour l’acquisition d’une jeune entreprise pourraient être utilisées bien plus efficacement.
La création de jeunes pousses « maison » est une alternative bien plus intéressante qu’on ne le pense. À travers une structure ad hoc – un incubateur interne – disposant de véritables moyens techniques, humains, commerciaux et financiers, les grandes entreprises ou groupes de tous secteurs sont en mesure de faire naître les innovations qui, demain, assureront leur pérennité, voire leur survie.
Les projets incubés au sein de ce type de structure connaîtront l’un des trois destins suivants : la mort (bien naturelle pour les fausses bonnes idées), l’intégration au « core business » du groupe sous la forme d’une nouvelle offre ou d’une nouvelle BU, ou l’essaimage, la vente de l’actif créé, autre voie possible pour les vraies bonnes idées pour lesquelles les synergies avec l’entreprise incubatrice sont faibles.
Mais pourquoi alors les retours d’expériences d’un peu moins d’une dizaine d’année sont mitigés ? Probablement par manque de méthode, d’une gouvernance trop normative et d’un cadre pas assez précis dans lequel l’innovation peut se développer librement.
Du venture capitalism d’un nouveau genre
Ces structures d’investissement rentrent dans la grande famille du « venture capitalism interne ». Certes, des moyens leur sont nécessaires pour fonctionner, mais ils restent sans commune mesure avec les montants parfois exorbitants dépensés pour le rachat d’une startup externe.
Pour réussir, ces structures d’un nouveau genre doivent bénéficier d’une gouvernance spécifique. Le pilotage des investissements ne peut être réalisé à l’aune d’indicateurs classiques. Les ratios de suivi sont ceux utilisés par les capital-risqueurs : comment sont utilisés les fonds, où en est la réalisation des objectifs de développement de l’actif, du chiffre d’affaires, du nombre de clients… Les tranches financières sont débloquées selon ces critères.
Les hommes et les femmes à la tête de cet incubateur interne viendront en partie du groupe lui-même, mais aussi de structures externes qui apporteront leur savoir-faire et leur état d’esprit entrepreneur. L’enjeu est en effet de réussir la validation du modèle et de préparer le passage à l’échelle, très tôt. L’idée radicale doit atteindre une taille comparable à celle d’une business unit rapidement, au risque de ne pas intéresser la Direction, aussi disruptive et rafraichissante soit-elle.
Des groupes comme Michelin et Vallourec ont réussi à mettre en place ce genre d’entités dédiées à l’incubation de projets disruptifs. Des avancées significatives sur les modèles opérationnels ou économiques ont été réalisées grâce à la sanctuarisation de l’innovation. Aujourd’hui, Michelin vend toujours des pneus mais, sur la partie BtoB, le groupe vend désormais des kilomètres. De même, Vallourec, au bord de la faillite avant l’arrivée de Philippe Guillemot, son nouveau CEO, a décidé d’explorer de nouveaux marchés et de diversifier son offre de services autour de la data. Autant de décisions stratégiques qui mettent en valeur l’impérieuse nécessité d’une gouvernance et de moyens dédiés pour piloter l’innovation de rupture.