La perspective dessinée le 18 mai par Emmanuel Macron suscite un réel élan dans les régions. Mais si certaines adaptent leur démarche à la nouvelle stratégie, d’autres commencent à peine à s’en préoccuper. L’industrie du futur démarre dans l’hétérogénéité.
Emmanuel Macron l’a admis dans son discours du 18 mai à Nantes sur l’industrie du futur. La « nouvelle logique » impulsée à travers les neuf solutions industrielles et la place accordée aux conseils régionaux et aux fédérations professionnelles ne se construit pas ex nihilo. « Beaucoup ont été faits. Il faut capitaliser sur les acquis des 34 plans industriels », a confié le ministre de l’Economie et des Finances, insistant aussi sur la nécessité de fixer un cap qui « ne change pas tous les six mois » et sur l’indispensable investissement des grandes entreprises. « Si les numéros 1 ne s’impliquent pas, nous ne réussirons pas le retournement », a-t-il ajouté.
De fait, avant d’être remodelée en « industrie du futur », l’usine du futur s’est déployée dans plusieurs régions françaises. Les plus en pointe ont perçu les nouvelles orientations avec sérénité. D’autres démarrent à peine, bien que la thématique « Innovation, filières d’avenir et usine du futur » ait fait l’objet le 2 août 2013, sous le gouvernement précédent, d’une circulaire aux préfets cadrant l’élaboration des contrats de plan Etat-Régions pour 2014-2020. Si la volonté de réindustrialiser la France enthousiasme, l’impact de ces disparités et de l’élargissement du dispositif de terrain interroge…
Des initiatives motrices
Au conseil régional d’Aquitaine, François Pellerin, directeur du projet Usine du futur, se réjouit des orientations du ministre. Début 2014, l’institution a en fait une priorité de sa stratégie économique. Résultat : quand la région Lorraine lance son appel à projets Usine du Futur auprès des PMI avec une échéance des candidatures au 30 juin 2015 ou que la région Centre-Val de Loire a initié le sien en avril, l’Aquitaine a déjà achevé la première phase des diagnostics sur 110 ETI et PME sélectionnées l’an dernier par appel à manifestation d’intérêt (AMI). « Nous avons voulu disposer d’un état des lieux complet de leur situation afin de déterminer le chemin à parcourir pour progresser, explique-t-il. La région a choisi un seul cabinet pour effectuer les 110 diagnostics individualisés. Cette option nous offrira un panorama cohérent et consolidé de la performance industrielle en Aquitaine. D’ores et déjà, l’on constate que notre tissu de PME reste encore loin de l’industrie 4.0. Notre ambition consistera d’abord à les amener vers un niveau 3.0. Notre nouvel AMI se fonde sur des objectifs identiques. »
Champagne-Ardenne vient de clôturer son deuxième AMI. En Rhône-Alpes, l’usine du futur structure depuis 2014 la stratégie régionale de l’innovation. « Conçu dans une première phase sur la « remise à niveau » des PME de moins de 50 salariés, notre plan PME, articulé autour d’une vingtaine d’actions collectives, a permis d’accompagner près de 5 000 entreprises depuis son lancement », indiquait en avril Philippe Barq, directeur général adjoint de l’Agence régionale du développement et de l’innovation de Rhône-Alpes, lors de la Conférence Industrie Lyon 2015. Ce plan entre cette année dans la phase « anticipation », ciblée sur leur montée en compétences en robotique, fabrication additive, organisation du travail.
L’Alsace, elle aussi, a joué les pionnières, dynamisée par la proximité de l’Allemagne, avec son plan Industrie 4.0. « L’usine du futur, ce n’est pas de la modernisation, ni du rattrapage de retard, mais de la prise d’avance, insiste la directrice de l’Economie du conseil régional, Martine Mack. En côtoyant régulièrement, via leurs réseaux, de grands dirigeants allemands, les entrepreneurs de notre territoire ont cerné l’enjeu. Il ne s’agit pas seulement d’investir dans un robot ou un outil numérique, mais de bâtir un véritable plan stratégique pour évoluer. L’industrie française doit intéresser des géants internationaux avec ses technologies. Aujourd’hui, la Foire de Hanovre est une référence en industrie 4.0. Les Italiens, les Chinois, les Indiens… ont compris l’importance d’y être. Les Français n’y existent quasiment pas. Dans deux ans, nous voulons que des PME alsaciennes y exposent. »
Dans la région Pays de la Loire, la dynamique en cours, notamment autour de l’IRT Jules-Verne, du groupe Daher, du projet de Centre industriel de la Réalité virtuelle à Saint-Nazaire, a été saluée par Emmanuel Macron. Mobilisée sur le projet HenriFabre, à l’initiative d’Airbus Helicopters et de Daher et désormais élargi, Provence-Alpes-Côte d’Azur a intégré le mouvement. Mais en rangeant sa démarche sous une terminologie d’entreprise étendue du futur, sa stratégie manque pour l’heure de visibilité.
Des inquiétudes exprimées
La diversité de ces initiatives révèle un risque. Avec l’industrie du futur, l’Etat pose clairement les bases d’une politique industrielle nationale. Mais, en choisissant les régions pour relais, il se confronte à l’engagement variable, voire très dispersé, de ces collectivités. De plus, les régions ne semblent pas les interlocutrices naturelles des PME-PMI, plus portées à se tourner vers leurs CCI lorsqu’elles ont besoin de conseil et de support, que vers des acteurs publics aux rythmes éloignés des leurs. « Les problèmes engendrés par le regroupement à marche forcée de régions n’accélérera pas la réactivité », s’inquiète encore un observateur. Investies dans la sensibilisation de leurs ressortissants dès 2013, lors de leur « Année de l’Industrie », les CCI sont déboussolées par le « braquage » de l’Etat sur leurs ressources (le mot est de Jacques Pfister, président de la CCI Marseille-Provence). Elles semblent écartées, pour l’instant, du dispositif de déclinaison territoriale de l’industrie du futur. Les pôles de compétitivité ont survécu aux alternances. Mais ils n’apparaissent plus en première ligne alors qu’ils ont conduit sur la R&D un travail approfondi de rapprochement des grands groupes avec les PME et start-up. Certains ont même articulé des projets autour de « niches » de l’usine du futur, comme Aerospace Valley dans l’aéronautique, Axelera sur l’intensification de procédés, System@ tic, Cancer-Bio-Santé (usine chimique pharmaceutique du futur), Véhicule du Futur, Elastopôle (caoutchouc/élastomères) ou Mov’Eo en BasseNormandie où la région indique que tous les pôles de compétitivité et associations de filières sont partenaires de l’initiative plan Usine du futur en Normandie… Est-ce par crainte d’être marginalisés ? Juste avant le déplacement d’Emmanuel Macron à Nantes, onze pôles* se rejoignaient sur une « plateforme de coordination pour renforcer la compétitivité de la France sur l’industrie du futur », en interaction avec l’Association française des Pôles de compétitivité. Désormais pleinement intégrée dans le développement de l’industrie du futur, la Fédération des industries mécaniques (FIM) a identifié le danger d’une application hétérogène. Dès le mois d’avril, elle a signé un accord de coopération avec l’Association des régions de France (ARF). Le partenariat concerne l’offre industrielle mécanicienne, transverse à toutes les filières pour la mise en œuvre de l’industrie du futur. La FIM finalise, pour juin 2015, un référentiel « Usine du futur 2020 », afin de diffuser une base d’information commune, sous forme de fiches thématiques, aux régions et aux TPE/PME/ETI qui les solliciteront.
Les annonces d’Emmanuel Macron n’en bouleverseront pas le contenu. « Elaboré avec les autres fédérations et syndicats professionnels et les organismes scientifiques et académiques de l’Alliance pour l’industrie du futur**, ce référentiel se veut la colonne vertébrale du concept, affirme Michel Athimon, directeur de la FIM. Il constituera, pour une PME, le fléchage à suivre pour mesurer les étapes de son évolution. Les comités mécaniques régionaux, les CCI et le Cetim serviront de relais. Nous discutons aussi avec l’Association française des pôles de compétitivité. Répondre aux défis de l’humanité en 2050 exige une industrie nationale opérationnelle dès 2030. Construire l’usine du futur, c’est donc investir aujourd’hui, en fédérant toutes les énergies. » Avec la publication du référentiel, des listes régionalisées de consultants qualifiés seront mises à disposition des régions et des entreprises pour accélérer la réalisation des diagnostics. L’idée de labelliser les sociétés qui auront réussi leur mutation est à l’étude. « Nous allons démultiplier l’impact sur le territoire. L’Alliance, c’est ça ! », a promis au ministre de l’Economie Frédéric Sanchez, président du directoire de Fives, qui coprésidait avec Bernard Charlès, le 34e plan Usine du futur.
En rassemblant aussi largement, il faudra cependant éviter de transformer l’usine du futur en usine à gaz aux yeux des PME. « Un pilotage plus collectif s’imposait, mais le dispositif s’est loin d’être allégé », ironisent plusieurs responsables dans le Sud. « Les disparités s’accentueront, car des régions en resteront aux déclarations d’intention », avance un autre, dans l’Est. « Le risque est réel de s’éloigner des préoccupations concrètes de terrain. Toutes les régions ne sont pas armées et organisées pour produire une action efficiente, redoute enfin le directeur d’une agence régionale d’innovation. La pratique dira si le choix de l’Etat était le plus pertinent. » François Pellerin nuance ces craintes en notant déjà des retombées positives à l’étranger : « Quand la presse internationale commence à traiter du plan français et du modèle d’industrie 4.0 qu’elle défend, c’est que le changement d’image est amorcé… »
*Aerospace Valley, ASTech, Axelera, Cap Digital, EMC2, I-Trans, Images & Réseaux, Mont-Blanc Industries, Moveo, Plastipolis et Systematic. D’autres doivent y adhérer.
**FIM, Afdel, Gimelec, Institut Mines Telecom, Arts et Métiers ParisTech, Syntec Numérique, Symop, UIMM, CEA, Cetim.
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