Prises de vues aériennes, relevés topographiques, inspections d’ouvrages et, peut-être livraison de colis, ces petits aéronefs sont sortis de la phase expérimentale pour devenir un outil courant dans certaines filières.
« Le drone professionnel va constituer une nouvelle industrie. C’est pour accélérer cet axe de développement que nous avons lancé notre augmentation de capital de 300 millions d’euros », confie Henri Seydoux, PDG de Parrot. Après avoir conquis le marché du drone de loisir, Parrot s’attaque désormais au secteur B to B. L’entreprise a procédé, en novembre dernier, à une augmentation de capital record de 299 millions d’euros. Et les investisseurs n’ont pas traîné. Bpifrance a acquis 5 % du groupe français, pour 33 millions d’euros ; quant au fonds IDG Capital Partners, il a investi 10 millions d’euros.
10 millions d’euros. Le marché du drone professionnel attire. Pour les professionnels du secteur, ce n’est pas une surprise. « Après plusieurs années d’expérimentations, la filière s’est structurée et le marché B to B du drone civil passe désormais en phase industrielle », observe Stéphane Morelli, président de la Fédération professionnelle du Drone civil (FPDC), également directeur général d’Azur Drones. Le nombre d’entreprises partant à l’assaut de ce marché ne cesse d’augmenter. Fin 2013, la France comptait ainsi un peu moins de 500 opérateurs de drones. Deux ans après, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC ) en recense plus de 2 200 !
De l’agriculture…
L’agriculture est, aujourd’hui, l’un des secteurs les plus dynamiques dans l’usage des drones. En 2014, près d’un vol sur deux déclarés à la DGAC servait à survoler des parcelles agricoles, domaine que cible Parrot. Début 2014, le groupe a investi 1,6 million d’euros dans Airinov. Cette société, fondée en 2010, s’est imposée comme le numéro un en France des drones agricoles. « Nous proposons des services de conseils en fertilisation des cultures, basés sur des images aériennes réalisées par drones », résume Romain Faroux, cofondateur et directeur commercial d’Airinov. En 2015, 5 000 agriculteurs ont sollicité les prestations d’Airinov, contre 2 000 en 2014 et 300 en 2013. Parmi eux, la coopérative Corea Poitou-Charentes (4 500 membres), utilise des drones depuis 2011. « Ils servent à réaliser des relevés de niveaux de vigueur des cultures de colza et de blé, et en déduire la quantité d’azote à y pulvériser pour les fertiliser », explique Romain Coussy, en charge des outils d’aides à la décision au sein de la coopérative.
Jusqu’à récemment, ce type de relevés était effectué par satellite. Mais les agriculteurs doivent parfois patienter plusieurs semaines avant d’avoir leurs résultats. Avec un drone, l’opération ne nécessite que quelques jours. Explication : le satellite ne passe que certains jours au-dessus d’une exploitation. Il faut donc attendre ce passage. Par ailleurs, le satellite peine à prendre des clichés lorsqu’il y a une trop importante couverture nuageuse. Il faut donc attendre que la météo s’améliore.
« Le drone offre également une meilleure précision d’images », poursuit Romain Coussy. Les capteurs photos atteignent une précision au mètre près, contre une vingtaine pour le satellite. Quant au prix, il est à peu près le même, soit environ une dizaine d’euros par hectare. Mais à tarif équivalent, le drone semble donc avoir de sérieux avantages. « Le satellite reste intéressant pour effectuer des mesures régulières tout au long de l’année, pour le suivi général des cultures », indique Romain Coussy. Corea Poitou-Charentes possède cinq pilotes et deux drones. Son service est utilisé par plus de 350 agriculteurs. En 2015, il a permis de contrôler plus de 3 900 hectares de colza et 2 000 de blé, soit près de 20 % de plus qu’en 2014.
… à l’audiovisuel…
Dans l’émission « Secrets d’Histoire », lorsque Stéphane Bern s’exprime face à la caméra, depuis la fenêtre d’un château, et que le plan s’élargit progressivement pour présenter l’ensemble de l’édifice, il n’y a aucun système de grue ou de câbles. Pour la scène, France 2 fait appel à des drones. Et c’est le cas de la majorité des chaînes TV, pour des programmes aussi variés que : « Des Racines et des Ailes » (France 3), « Bienvenue au Camping » (TF1), « Zone interdite » (M6) ou encore « Le Tour de France » (France 2). L’audiovisuel fut historiquement la première industrie à exploiter des drones civils à usage professionnel. Et il reste le premier secteur de la filière drone en termes de revenus, avec plus de 50 % du chiffre d’affaires [FPDC et En toute sécurité]. Parmi les pionniers de ce secteur, figurent la société de production et agence de presse Tournez S’il Vous Plaît (TSVP) et son partenaire Aliothcam, entreprise spécialisée dans le tournage aérien. « Nous avons débuté les prises de vues par drones en 2010, pour l’émission “Des racines et des Ailes”. À l’époque c’était une vraie nouveauté. Il n’y avait que deux ou trois sociétés sur ce secteur. Aujourd’hui, il y en a plus de 2 000 », confirme Pierre Fourtillan, directeur d’Aliothcam. « Les prises de vues par drone se banalisent dans les médias. Il faut donc être de plus en plus imaginatif », souligne pour sa part Agnès Molia, productrice chez TSVP. Parmi les dernières productions de TSVP : un documentaire archéologique pour Arte sur les célèbres lignes de Nazca au Pérou. Ces tracés sur le sol, longs de plusieurs kilomètres, ne prennent forme que vus du ciel. Le drone a permis de rendre compte de
ces deux perspectives. « Le drone est un excellent outil pour le suivi de personnages et leur mise en contexte. Il permet de réaliser un plan serré sur un présentateur, puis un plan plus large sur son environnement », résume Moïse Rogez, fondateur et CEO de Pixiel, opérateur de drones travaillant notamment pour le secteur audiovisuel. La prise de vues est réalisée en duo, avec un pilote et un cadreur. La caméra est installée sur un support gyrostabilisé que le cadreur peut baisser, lever et tourner. Il ajoute ainsi des mouvements au déplacement du drone. Côté prix, une journée de tournage coûte environ 2 000 euros. Mais ce n’est pas l’aspect tarifaire qui est le premier argument. Ce sont les nouvelles possibilités de prise de vues, indique-t-on chez TSVP, Aliothcam comme Pixiel.
… et la prise de mesures
Derniers grands domaines d’intervention des drones : la prise de mesures aériennes de sites industriels (topographie) et l’inspection de grands ouvrages comme le réseau ferré de la SNCF ou les lignes électriques d’ERDF. Depuis trois ans, le groupe cimentier Vicat, utilise ainsi des drones pour effectuer des relevés topographiques de ses stocks de granulats, en partenariat avec l’opérateur Delta Drone. « Plutôt que d’utiliser les services de géomètres, nous employons de plus en plus des drones afin d’estimer la surface et la hauteur des tas de granulats extraits de nos carrières. Cela nous permet d’en déduire précisément le volume de nos stocks », explique JeanLuc Martin, directeur régional Isère, Savoie et Haute-Savoie pour le groupe Vicat. Avantages du drone : sa grande précision, de l’ordre du centimètre, ainsi que des résultats obtenus en 48 heures, au lieu de 4 jours à une semaine avec des géomètres. Et côté sécurité : « Nous n’avons plus besoin de faire monter des géomètres sur les tas de granulats », poursuit le responsable. Ces mesures sont réalisées tous les mois sur une dizaine de sites en région Rhône-Alpes. Le groupe Vicat entend décliner ce type de services sur l’ensemble de ces grands sites.
De son côté, la SNCF teste depuis 2012 l’utilisation de drones pour inspecter les toitures et charpentes de ses gares, contrôler l’état de la végétation et des parois rocheuses le long des voies et même surveiller certains sites sensibles pour lutter contre les vols de métaux. « Depuis cet été, nous sommes passés en phase opérationnelle. Nous travaillons avec une dizaine d’appareils et une équipe de 16 personnes », précise Nicolas Pollet, responsable de la Mission drone. En trois ans, la compagnie ferroviaire a déjà investi 10 millions d’euros dans cette mission. « Les relevés effectués par drone sur les toitures de bâtiments et le long des voies, sont bien plus précis que ceux des équipes au sol », poursuit-il. Quant à la lutte contre les vols de métaux : « Nous n’avons pas encore repéré de voleurs grâce aux drones. Mais c’est intéressant car l’appareil est totalement invisible. Il fonctionne avec des capteurs infrarouges à 100 mètres de hauteur. Difficile de le repérer. »
ERDF, gestionnaire du réseau électrique français utilise, quant à lui, des drones depuis 2013 pour l’inspection de ses lignes moyenne tension. Le dispositif sort tout juste de la phase expérimentale pour passer en phase préindustrielle. « Nous utilisons des drones pour inspecter l’état de la végétation autour de nos lignes et ainsi anticiper nos travaux de maintenance », explique Michel Cordonnier, chef de service au sein du département expertise matériels et relations fournisseurs. Par rapport à l’inspection par des équipes à pied, le drone est plus précis et plus exhaustif, car il couvre des endroits parfois difficiles d’accès pour des humains. » D’autres usages sont en cours d’évaluation, comme le contrôle du réseau lors d’aléas climatiques, par exemple lorsqu’un arbre tombe sur une ligne, ou l’aide à la préparation de chantiers.
L’outil par excellence de la capture de données
L’usage professionnel des drones civils n’en est qu’aux prémices. Les expérimentations se multiplient et de nouveaux secteurs industriels devraient bientôt adopter ces engins. L’un des exemples les plus médiatisés est celui de la livraison de colis. Amazon a annoncé qu’il proposerait ce type de livraison d’ici 4 à 5 ans, de même que Google dès 2017.
Le leader mondial du commerce électronique teste actuellement une douzaine de drones en vue de proposer ce service, appelé Prime Air (voir photo page 58). En France, le groupe La Poste réalise depuis fin 2014 des tests de ce type de livraison. « Pour l’instant, il ne s’agit pas d’expérimenter la livraison régulière de colis pour des particuliers, mais dans des cas d’urgence, par exemple vers des hôpitaux », précise le groupe public.
Autre piste d’exploration : l’inspection des bâtiments. C’est ce que met en œuvre depuis 2013 Bureau Veritas, leader mondial dans l’évaluation de la conformité et la certification. « Nous avons, par exemple, inspecté aux infrarouges l’ensemble des 32 étages de la Tour de Bretagne, à Nantes, en seulement une heure. Sans cette technologie, il faudrait plus d’une journée », explique Frédéric Figuet, en charge de l’activité drones. Bureau Veritas développe également l’inspection des pales d’éoliennes par drones, très difficile depuis le sol.
Autres exemples : le drone peintre en bâtiment (Drone Paint de Drone Volt), des drones sous-marins au secours de la lagune de Venise (projet de recherche européen SubCULTron), des drones pour inspecter les exploitations viticoles (Projet français Vitidrone) ou le réseau français de gazoducs (collaboration entre GRTgaz et Air Marine)… Alors, le drone bientôt un outil ordinaire dans l’industrie ? C’est le pronostic de Benjamin Hugonet, directeur commercial de l’opérateur de drone Redbird (Prix 2015 d’Alliancy, le mag). « Cette technologie sera très rapidement incontournable dans le monde industriel. Le drone sera l’outil par excellence pour la capture de données dans bon nombre de domaines. » Une vision partagée par Henri Seydoux : « Ce sera le bras armé du big data et de l’analytics pour de nombreux secteurs d’activité », prédit le PDG de Parrot.
Un allégement du cadre réglementaire en 2016En 2012, la France fut le premier pays au monde à proposer un cadre réglementaire à l’usage des drones civils. Défini par la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), il a permis le démarrage de la filière. Parmi les règles : le drone ne peut voler au-dessus de 150 mètres d’altitude ; pas de vols de nuit sauf dérogation spéciale… Depuis le 1er janvier 2016, deux arrêtés ont assoupli ce cadre. Les démarches administratives pour obtenir des autorisations de vol ont notamment été simplifiées. Il suffit de déclarer le vol à la préfecture. Auparavant, il fallait envoyer une demande au préfet, une procédure qui pouvait parfois prendre plusieurs semaines. Autre allégement : la zone de sécurité au sol autour d’un drone, où le pilote doit veiller à ce qu’il n’y ait aucun individu, passe de 30 mètres à 10 mètres dans certaines conditions. Enfin, le poids maximal d’un drone volant en zone peuplée passe de 4 à 8 kg. Au niveau européen, la Commission a demandé à l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) de travailler sur un cadre réglementaire pour les drones. Une consultation publique a été lancée et s’est achevée fin septembre. « L’objectif est d’harmoniser les réglementations, notamment sur les homologations de drones, pour qu’un opérateur français puisse, par exemple, s’implanter sur le marché allemand. Cela est, aujourd’hui, très compliqué », explique Stéphane Morelli de la FPDC. Reste que pour l’instant le texte initial, qui a reçu plus de 3 000 commentaires, est loin de faire l’unanimité. « Nous avons répondu non à de nombreuses propositions, qui étaient pénalisantes par rapport au cadre français », poursuit le responsable. Selon la FPDC, la réglementation européenne ne devrait pas voir le jour avant 2019 au plus tôt. |
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