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[Tribune] Innovation : les brevets sont-ils encore utiles ?

Un an après le début de la crise sanitaire, alors que quatre laboratoires ont déposé des brevets de vaccin, des voix se font entendre pour réclamer la levée de ces brevets au nom de l’enjeu de santé publique. Une telle décision créerait une rupture, là où traditionnellement, les innovations sont toujours protégées par des brevets. Cette situation soulève à nouveau la question : les brevets sont-ils vraiment une incitation à l’innovation, ou au contraire un frein ? Larry Perlade, fondateur de Néva, nous livre son analyse.

Les brevets pour protéger l’innovation

Larry Perlade, fondateur de Néva

Larry Perlade, fondateur de Néva

Conçus pour protéger les inventions, les brevets ont été inventés au XVe siècle à Venise, centre névralgique des arts, mais aussi, à l’époque, des sciences. L’inventeur protégeait sa création pendant 20 ans, mais devait, en contrepartie, exploiter l’invention dans l’intérêt de l’État. Aujourd’hui, quasiment tous les pays protègent leurs inventeurs à travers des lois modernes sur les brevets. La détention d’un brevet constitue un atout sur le marché pour l’entreprise qui se protège ainsi de la concurrence. 

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Or le brevet comporte bien l’idée qu’en contrepartie des droits octroyés aux brevetés, ceux-ci innovent en retour pour le bien de tous. Le contrat social ainsi tissé entre le créateur et l’ensemble de la collectivité se retrouve ainsi rompu lorsque l’entreprise utilise son brevet en tant qu’arme anti-concurrentielle, bafouant alors – abusivement ? – la liberté de concurrence et de commerce de l’économie de marché.

Il n’en reste pas moins vrai que les brevets récompensent ceux qui ont investi le temps et l’argent qui leur ont permis d’innover. Sans cette garantie de pouvoir tirer profit de leur innovation, pourquoi les entreprises innoveraient-elles ? Le brevet protège les inventions et les inventeurs, et fait partie des moyens, indispensables, qui permettent d’éliminer tricheurs et copieurs.

Il est une autre dimension intéressante à prendre en considération : le brevet fournit de la crédibilité à l’entreprise, en particulier chez les jeunes pousses, et se révèle un atout précieux pour nouer des partenariats. Il est aussi un atout pour réussir une levée des fonds : on estime qu’en France 15% des startups françaises déposent au moins un brevet (vs 23% en Allemagne). Dans les faits, les startups ayant déposé un brevet doublent leurs chances de lever des fonds. Si le brevet n’est pas bloquant pour le premier tour de table, il peut en revanche empêcher de passer le cap suivant.

Très chère innovation

Mais la protection d’une invention a un prix. Et ce coût figure justement parmi les freins au dépôt de brevets évoqués par les entreprises. Le manque de visibilité sur les coûts et le fait de souvent devoir financer la propriété intellectuelle sur leurs fonds propres fait que les entreprises hésitent souvent à déposer un brevet. Le coût du dossier est souvent élevé en raison du paiement d’annuités successives et des coûts de traduction pour déposer un dossier à l’étranger. Pour les entreprises les plus pragmatiques, c’est aussi un budget qu’elles préfèrent investir directement en R&D. C’est pour encourager les entreprises françaises à innover, et lever ce frein financier, que les dépenses inhérentes au dépôt d’un brevet, y compris les frais encourus pour défendre ce brevet, figurent parmi les dépenses éligibles au Crédit d’Impôt Recherche. On estime que 3% des dépenses de R&D déclarées au titre du CIR concernent les brevets. Une aide importante si l’on considère que 10.163 demandes de brevets européens ont été déposées par la France en 2019, deuxième producteur européen de brevets derrière l’Allemagne.

Changement d’époque

Le président américain, Joe Biden, vient de demander la levée des brevets sur les vaccins anti-Covid au nom de la santé publique. Cette démarche, compréhensible sur un plan éthique au regard de l’urgence sanitaire, est surtout un effet d’annonce car la capacité de production ne semble pas en mesure de produire les doses nécessaires, même en libérant les brevets. De plus, Moderna a, de son côté, déjà ouvert son brevet.

Derrière ce qui pourrait s’apparenter à un coup politique, c’est pourtant, symboliquement, un (petit ?) changement dans le rapport aux brevets et à l’innovation que nous raconte l’histoire.

Dans la lutte contre la Covid-19, des startups ont été plus rapides à produire que les grands groupes pharmaceutiques. Un fait surprenant au regard des investissements consentis en R&D par les grands groupes : les montants engagés par Sanofi sont 30 fois supérieur à ceux de BioNtech. Mais c’est aussi un résultat qui peut s’expliquer par le manque d’incitation engendré par le cadre légal qui entoure les brevets. En effet, si le brevet incite à innover, la propriété intellectuelle de l’invention appartient finalement à l’employeur – qui peut exploiter commercialement l’invention. Dépossédé, d’une certaine façon, de son invention, l’inventeur n’est que faiblement rétribué, même s’il détient pourtant la connaissance intrinsèque de son invention. Forcément, au sein de petites structures comme Moderna ou BioNTech, dont nombre de salariés sont également actionnaires, ces intérêts se rejoignent : les inventeurs sont actionnaires de l’entreprise qui détient désormais leur brevet. Le statut de salarié-actionnaire que l’on observe au sein de nombreuses startup est donc une incitation à prendre des risques, car ces inventeurs tireront profit du fruit de leur travail et de leur recherche.

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Moderna n’est pas la seule entreprise à avoir ouvert son brevet. Personnage majeur de l’innovation, Elon Musk a également choisit de rendre les brevets de son entreprise accessibles, car il les estime « juste bons à freiner le progrès, à permettre à des entreprises géantes de camper sur leurs positions et à enrichir les avocats ». Il ne viendrait pourtant à l’esprit de personne de contester le fait que ses sociétés sont parmi les plus innovantes. Preuve que, même sans brevets, l’innovation peut se poursuivre.

Les startups que je peux rencontrer – et accompagner – sont de plus en plus enclines à penser que les connaissances se partagent et que les innovations ne sont pas destinées à rester la propriété exclusive de leurs inventeurs : ce sont des biens qu’il convient de partager pour résoudre plus facilement, plus collectivement, nos problèmes communs. Dans un monde de plus en plus ouvert, au sein duquel les plateformes échangent désormais données et services, l’heure n’est-elle pas au changement ?

Entre gris clair et gris foncé

Alors, les brevets, freins à l’innovation ou moteur indispensable ? La réponse n’est pas si simple. Au-delà des questions de santé publique où la dimension éthique est centrale, il est des domaines, à commencer par celui des nouvelles technologies, dans lesquels les inventions sont de toute manière plus complexe à protéger que dans d’autres secteurs, comme le génie civil par exemple, qui fonctionnent historiquement avec peu de brevets.

Il est certain que les brevets ont encore de beaux jours devant eux : pour preuve, la guerre des brevets, sur fond de souveraineté nationale, autour des technologies de rupture telles que la 5G, l’Intelligence Artificielle et la Block Chain ouverte entre la Chine, les États-Unis et l’Europe.

Malgré cela, au sein des jeunes générations, l’heure semble être plus que jamais à la collaboration plutôt qu’à la recherche à tout prix de la protection des inventions.

Il est en effet nombre d’enjeux sociétaux pour lesquels le partage de connaissance et l’innovation collective seront plus utiles et plus bénéfiques que la protection coûte que coûte des innovations individuelles…

 

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