VivaTech était l’un des événements sur l’innovation et les technologies les plus attendus de l’année. Sa taille est devenue impressionnante avec 165 000 participants, 13 500 start-up, 2 800 exposants, ainsi que la diversité de ses sujets. Mais que peut vraiment en retirer un professionnel ? Stéphane Gervais Ducouret, spécialiste de l’innovation, livre son analyse.
L’édition 2024 de Viva Technologies a mis en lumière quatre thèmes principaux censés façonner notre avenir, nos industries mais aussi notre quotidien : l’intelligence artificielle, les technologies climatiques, la mobilité et la deeptech. Chaque innovation présentée visait donc à être une fenêtre ouverte sur un avenir possible avec des collaborations qui pourraient bien redéfinir le paysage industriel de demain.
VivaTech reste le royaume des start-up et, cette année, les grandes entreprises ont majoritairement montré des innovations via des start-up. Cet accent particulier sur l’innovation ouverte, un concept qui encourage la collaboration entre entreprises, start-up et autres acteurs de l’écosystème, est essentiel pour accélérer la création de solutions novatrices. L’open innovation permet de partager des idées, des ressources et des technologies, favorisant ainsi une croissance plus rapide et plus agile.
Quelle différence avec les précédentes éditions ?
Le thème roi cette année était bien sûr l’intelligence artificielle (IA) avec le tag IA sur la plupart des innovations présentées et même une « avenue de l’IA » pour mettre en valeur des offres l’utilisant. L’IA redéfinit la créativité et l’efficacité, tout en soulevant des questions éthiques cruciales. À VivaTech, l’éthique est mentionnée par tous les grands groupes et les avantages concrets de l’IA sont montrés dans des domaines très diversifiés : le coaching sportif comme à Augmented Brain Labs, les assistants vocaux métiers comme à La Poste, l’aide à la gestion intelligente des énergies consommées et produites comme à Engie et EDF ou même l’optimisation des flux industriels en fonction de la demande comme à Dior.
Des débats sur l’IA qui ne laissent pas indifférent
L’IA qui fait le plus parler d’elle est l’IA générative avec, bien sûr, ChatGPT comme référence. Mais, pour l’instant, aucune application à l’échelle utilisant cette technologie n’est encore révolutionnaire et le retour sur investissement n’est pas encore démontré. L’IA générative est utilisée pour créer des assistants pour soit faire gagner du temps aux professionnels, soit mieux orienter des clients. La Poste a d’ailleurs surpris avec son assistant IA pour ses facteurs, alliant un LLM standard à ses spécificités métiers pour opérer leur assistant sur leurs serveurs afin d’assurer la confiance de son utilisation ainsi que la future conformité à la loi européenne sur l’IA. Une autre utilisation est la traduction, comme exprimée par Noriya Tarutani, qui gère la délégation japonaise : « Un des plus grands défis pour les start-up japonaises est la barrière de la langue. L’IA générative comble le fossé entre les marchés étrangers et japonais ». Donc l’IA générative comme assistant et traducteur. Cette sur-communication autour de l’IA générative a aussi vu s’affronter des points de vue différents.
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L’intervention de Yann LeCun, en charge de l’IA chez Meta, n’a pas laissé indifférent en comparant l’intelligence de l’IA générative actuelle à celle d’un perroquet au mieux. D’après lui, le machine learning va disparaître dans quelques années car il deviendra inutile et obsolète face à l’intelligence artificielle par objectif, c’est-à-dire des modèles d’IA conçus en fonction des problèmes à résoudre. Quant à Elon Musk, représentant xAI et Tesla, il a lancé que les IA génératives actuelles comme celles de Google, Microsoft et OpenAI ont été entraînées pour mentir afin d’être politiquement correctes. Et le PDG de Baidu, Robin Li, a mis en lumière la différence d’approche entre les États-Unis et l’Europe, qui se focalisent sur l’évolution des modèles LLMs, et la Chine qui est motivée par les applications et qui recherche (encore) les applications majeures (« killer-apps ») basées sur l’IA générative. Il ne voit d’ailleurs pas une intelligence générale artificielle (AGI) avant 10 ans car les technologies IA ne progressent pas assez vite.
Au-delà de ces grands débats, ce qui a été répété dans tous les projets et déploiements en cours est que l’IA doit être une IA de confiance pour son utilisation et son adoption, comme l’exprime Béatrice Dautzenberg de L’Oréal pour la transformation de la relation client.
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Le pouls des innovations intelligentes
En matière de mobilité, VivaTech prend le pouls des innovations intelligentes en matière de transport, d’accessibilité et de TravelTech, pour évaluer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. D’autres exemples intéressants à noter dans la mobilité sont la voiture solaire LightYear, une vraie berline avec des panneaux solaires intégrés qui, selon la société, permet d’ajouter jusqu’à 70 km d’autonomie à la voiture électrique avec des batteries de 60 kW. Ce n’est en fait qu’un démonstrateur pour trouver des constructeurs automobiles intéressés à acheter cette technologie de panneaux solaires conçus pour l’automobile (formes courbées, poids et durée de vie de 15 ans). Un SUV à hydrogène, NamX, avec un réservoir fixe et des capsules amoviblespour faciliter l’approvisionnement. Quant à l’avion à hydrogène, c’est Airbus qui s’est illustré avec son moteur qui est encore à un stade d’essais technologiques pour déterminer s’il devra être hybride (c’est-à-dire électrique avec des piles à combustion à l’hydrogène) ou complètement à l’hydrogène pour les premiers moteurs en 2035. Le programme le plus concret d’Airbus sur la mobilité est sûrement le CityAirbus Next Gen, un véhicule volant électrique (eVTOL) de 3 passagers avec 1 pilote, 80 km d’autonomie et 120 km/h de vitesse, qui s’intègre dans les plans de mobilité des villes avec les gares et les infrastructures.
Climat, ADN, deeptech… d’autres découvertes utiles
Le thème des technologies climatiques, quant à lui, doit jouer un rôle vital dans la création d’écosystèmes résilients et de pratiques régénératrices pour garantir la sécurité d’approvisionnement. Les grands acteurs attendus ont montré des innovations via des start-up dans lesquelles elles ont investi ou coopéré. Les acteurs comme SUEZ, Engie, TotalEnergies étaient présents autour du tri des déchets et de la gestion des énergies vertes essentiellement photovoltaïques, mais ce qui a retenu mon attention est EDF avec leurs 500 millions d’euros investis, via EDF Pulse Ventures, dans des start-up. Par exemple, Sweetch Energy exploite l’énergie osmotique, c’est-à-dire la différence de salinité entre l’eau salée et l’eau douce pour créer de l’énergie. Le potentiel estimé en France pourrait alimenter 6 millions de foyers, soit 30 TWh/an.
J’ai aussi pu découvrir des innovations qui feront l’objet de plus d’approfondissements comme le stockage numérique sur ADN avec un projet ambitieux du CNRS et qui a le potentiel de bouleverser nos futurs systèmes informatiques.
Un autre événement marquant a été la mise en avant des start-up industrielles par la BPI. Une startup qui passe à l’échelle dans le numérique est un exploit, mais dans le domaine de l’industrie c’est exceptionnel. Nicolas Dufourcq, de BPI, a partagé des chiffres : en 2023, 9 milliards d’euros ont été levés pour les start-up dont la moitié pour la deeptech et l’autre pour les greentech. 38 usines innovantes ont ouvert en France en 2023 et il y a 2 500 start-up industrielles qui ont comme plus gros défi de trouver les capitaux. Des exemples prometteurs comme Astraveus, une usine de thérapie cellulaire, Jimmy Energy des microréacteurs SMR, Umiami qui industrialise la viande végétale, ou Sirius Space qui va produire des moteurs de fusées réutilisables avec son PDG de 25 ans, Jérôme Fourcade. De beaux témoignages de réussites qui innovent et produisent en France.
Alors que la poussière de l’évènement retombe, que retenir ? VivaTech commence à concurrencer le CES (Consumer Electronic Show) de Las Vegas par le nombre de participants mais pas encore par le nombre d’exposants (4 000). En revanche, le nombre de start-up présentes est dix fois supérieur à celui du CES. Au-delà de ces chiffres, à VivaTech, l’innovation est surtout montrée via des start-up. VivaTech est, en effet, plutôt tournée vers tous les types d’innovations et moins vers les technologies. Ce feu d’artifice d’innovations peut paraître déroutant pour les visiteurs et il faut du temps pour découvrir les sujets, offres et sociétés qui nous intéressent ou nous surprennent.
Un effort significatif a été fait cette année pour internationaliser encore plus ce salon avec le Japon comme pays à l’honneur et des représentants d’Asie, d’Afrique et du Moyen-Orient. Cet événement reste quand même encore très francophone pour prétendre être aujourd’hui la référence mondiale en matière d’innovation… Mais il devient pour moi la référence européenne et est sur la bonne voie !
Stéphane Gervais Ducouret est un spécialiste de l’innovation, qui a exercé des fonctions en direction générale, marketing mondial développement business, partenariats internationaux, R&D et innovation stratégique. Avec une expérience internationale, dont 11 ans passés en Asie. Il porte un regard aiguisé sur des sujets variés : smart city, mobilité, environnement, IIoT, embedded IA, smart data… De 2014 à 2023, il a notamment été Executive VP Innovation Stratégique, Partenariats & Smart Data du groupe industriel français Lacroix.