L’Institut du Numérique Responsable, en mode start-up pour changer de dimension

Avec Jérôme Barré à sa tête depuis le mois de juin et Laurent Bourgitteau-Guiard en tant que délégué général, l’INR concentre actuellement ses efforts sur sa réorganisation en profondeur. Les détails de la restructuration en cours et des projets à venir avec ces deux personnes clés de l’Institut du Numérique Responsable.

En mai dernier, vous vous êtes réunis à Paris pour travailler sur la feuille de route de l’INR. Quels en sont les grands axes, sachant que vous avez entre-temps changé de présidence ?

Jérôme Barré : J’ai effectivement été élu président de l’association mi-juin, succédant à ce poste à Sophie Provost. Notre feuille de route s’articule autour de plusieurs groupes de travail, mais notre priorité actuelle est l’organisation même de l’association qui a subi de multiples changements depuis un an. Comme beaucoup d’associations, l’INR a en effet connu une crise de croissance et il a fallu la restructurer sur plusieurs volets : fiscalité, trésorerie, gestion des membres, communication et responsabilités entre le conseil d’administration, le bureau et l’équipe permanente dont Laurent fait partie en tant que délégué général…

Notre objectif est également de nous doter d’instances éthiques, déontologiques et d’orientation. Étant une association prônant un numérique responsable pour le plus grand nombre, un conseil d’orientation composé de « sages » (qui peuvent être externes à l’association) est en effet nécessaire à notre fonctionnement.

Laurent Bourgitteau-Guiard : Je précise que notre objectif est également d’être exemplaires, dans le sens où nous disposons aujourd’hui d’un collège, au sein de notre conseil d’administration, composé d’une quinzaine de personnes. Le but de l’association étant de prôner un numérique responsable et exemplaire, nous nous devons de l’être nous-mêmes, en particulier les membres du conseil d’administration. Il nous faut donc établir des règles qui s’appliquent à l’ensemble de la communauté et avant tout aux membres du conseil lui-même.

Jérôme Barré : Un autre axe majeur de notre feuille de route concerne la partie « gestion de projet ». Nous travaillons en effet à proposer des solutions à nos adhérents et au plus grand nombre. Cela se gère soit en mode projet, soit en groupes de travail, soit via l’animation de communautés ou de collèges. Nous sommes également en train de refondre nos processus de communication. L’INR compte aujourd’hui de plus en plus d’adhérents et nous devons réfléchir à la meilleure façon de communiquer sur ce que nous faisons, sur nos objectifs et les résultats attendus.

Laurent Bourgitteau-Guiard : J’ajoute que la plupart des projets, des livrables et des travaux que nous réalisons sont tous voués à être publiés sous licence Creative Commons, c’est-à-dire de manière ouverte, publique, gratuite et accessible à tous. Nous souhaitons donner à nos travaux une orientation plus participative, en incluant davantage les différentes parties prenantes, afin que nous soyons tous co-constructeurs.

Nous souhaitons aussi continuer de nous ouvrir le plus possible, quand nous sommes en mode projet, à une variété toujours plus large d’intervenants prêts à nous aider, que ce soit des enseignants, des chercheurs, des doctorants, des personnes venant du privé, des institutionnels, des fonctionnaires de l’État…

Combien de membres compte aujourd’hui l’INR ?

Laurent Bourgitteau-Guiard : Nous comptons aujourd’hui 140 membres qui viennent de ministères, d’associations, de régions, de collectivités locales, d’ESN, de grands comptes, etc. Chaque semaine, nous recevons de nouvelles demandes d’adhésion. Nous devons donc restructurer toute la partie consacrée aux adhérents : les relations avec eux, l’animation des communautés, et nous ouvrir à des écosystèmes pour lesquels l’INR n’avait pas forcément pensé jusqu’à présent, à savoir les indépendants et les petites structures. Ces dernières sont souvent beaucoup plus avancées dans le numérique responsable que certains grands groupes. Nous allons donc essayer de nous ouvrir à ces écosystèmes avec des niveaux d’adhésion accessibles afin que le travail en commun soit plus riche et que tout le monde puisse participer.

Jérôme Barré : Nous avons vraiment l’ambition de proposer des solutions adaptables au plus grand nombre. Les grands comptes ont plus de ressources, de budget et de bande passante que les autres types d’organisations. Ils sont en capacité de s’emparer d’une solution, par exemple l’écoconception, plus facilement que les autres structures, en définissant des critères et des frameworks pour leurs activités et dans les missions de chacun, tout en absorbant les coûts associés (formation, sensibilisation, communication…). Nous sommes donc en réflexion pour que ces solutions-là puissent aussi être adoptées par des organisations de taille plus modeste (PME / PMI, TPE…).

Laurent Bourgitteau-Guiard :  Nous voulons aussi mettre l’accent sur l’inclusion, le droit humain et le respect du travail dans la partie numérique responsable. Nous allons initier des travaux sur ces sujets-là afin que certains produits ou services (formations, certifications…), qui peuvent être payants pour des structures privées, soient gratuits pour les personnes qui n’ont pas d’emploi ou qui sont défavorisées.

Si je résume, l’esprit INR du début est toujours le même, mais vous êtes en crise de croissance ?

Jérôme Barré : Effectivement, nous travaillons sur le passage à l’échelle, en mode start-up.

Quel est le bilan du Certificat de connaissance numérique responsable à date ?

Laurent Bourgitteau-Guiard : Au mois de mai dernier, nous avons livré le 5 000e certificat de connaissance et sur l’année dernière, 1 700 passages de certifications. Nous sommes sur une tendance qui explose. Le sujet devient de plus en plus important. Il y a une prise de conscience globale. Nous avons de plus en plus d’organisations, qu’elles soient publiques ou privées, qui cherchent à former leurs collaborateurs.

Cette certification est exigeante, elle demande vraiment de s’investir pour acquérir de nouvelles connaissances. Une collectivité locale qui a formé ses agents nous disait récemment que quand ces derniers ont obtenu le certificat, ils se sentaient réellement formés et à l’aise sur le sujet. C’est donc un outil qui transforme et qui amène une prise de conscience sur les enjeux du numérique responsable.

Nous allons continuer de mettre à jour cette certification et de sortir de nouvelles versions. Et comme nous le disions précédemment, ouvrir son accès au plus grand nombre par la gratuité, en ciblant notamment les étudiants.

Quelle est aujourd’hui la maturité des entreprises françaises en matière de numérique responsable ?

Jérôme Barré : Grâce à la multiplicité des activités de nos adhérents, nous constatons que certains secteurs ne sont pas encore au rendez-vous du numérique responsable. C’est le cas notamment du secteur de la santé où il existe énormément de matériel informatique pour lequel l’approche numérique responsable n’a pas encore fait bouger les lignes.

Laurent Bourgitteau-Guiard : La plupart des organisations ne sont pas encore matures en termes de résultats. En revanche, elles sont toutes prêtes et volontaires pour acquérir cette maturité.

Jérôme Barré : Il faut aussi avoir en tête que le numérique responsable vient le plus souvent de la volonté des dirigeants de l’entreprise. Même si les collaborateurs sont demandeurs, il est nécessaire que les initiatives bénéficient d’un sponsoring placé très haut dans la hiérarchie. Ensuite, les entités métiers s’emparent du sujet et le portent dans leurs activités. 

La France vous semble être en avance ou en retard par rapport à ses voisins européens ?

Laurent Bourgitteau-Guiard : Ce que je vois, c’est que la France est ultra-proactive. Nous bénéficions en effet d’une réelle aide et d’une vraie proactivité de la part du ministère de la transition écologique, du commissariat général au développement durable (CGDD), de la DINUM, de l’Ademe et de la direction générale des entreprises (DGE). Ces entités nous accompagnent dans des projets existants, participent à certains de nos projets si nous les sollicitons, voire nous contactent pour en initier de nouveaux. Le numérique responsable fait partie des priorités françaises, c’est certain.

Jérôme Barré : Au niveau européen, la France est assez motrice sur ce type de sujet, et plus globalement sur la transition écologique et les enjeux RSE. Mais dans tous les pays, on trouve des gens qui sont plus avancés sur certains points que nous, par exemple dans les pays nordiques. Chez deux de nos voisins, la Belgique et la Suisse, des équivalents de l’INR existent. D’après ce qu’ils nous disent, les choses commencent à bouger chez eux. Dans les autres pays, je serais très prudent avant de vous donner une analyse précise, mais une chose est sure, chaque pays commence à prendre ce sujet en considération.

Laurent Bourgitteau-Guiard : Certains pays comme le Canada nous contactent pour obtenir notre retour d’expérience sur le fonctionnement de l’INR afin de lancer des initiatives similaires. Mais nous savons aussi qu’au Québec, ils ont une longueur d’avance en matière d’IA responsable. Donc chaque pays a des éléments à transmettre aux autres, sur différents sujets,

Quelles différences percevez-vous entre les PME, ETI et grands groupes en matière de numérique responsable ?

Laurent Bourgitteau-Guiard : 70 % de nos adhérents sont composés de grands groupes et d’ESN. Ces organisations sont très proactives sur le sujet. Il ne se passe pas une semaine sans qu’une grande entreprise ou une ESN ne nous contacte pour une demande d’adhésion. Les entreprises qui demandent à adhérer à l’INR souhaitent profiter de tous les travaux que nous mettons à leur disposition, mais elles viennent aussi en disant : « Que puis-je faire pour vous, comment puis-je aider ? ».

Concernant les PME, nous avons moins de demandes. Je ne pense pas qu’il y ait moins de velléités à aller dans cette voie, mais je pense qu’il existe déjà différents clusters permettant de les accompagner.

Jérôme Barré : Comme je le disais précédemment, notre mission est de promouvoir le numérique responsable auprès du plus grand nombre et de manière totalement accessible. Nous sommes en train d’y travailler. Notre objectif est que les grands groupes, qui sont actuellement majoritaires parmi nos adhérents, puissent apporter leur pierre à l’édifice, soit de manière financière, soit en termes de ressources, pour que les plus petites structures puissent en profiter aussi au maximum.