Alessandro Schiliro, AI Solutions & Industry Research Manager chez Dataiku, met en avant les faiblesses dont souffre l’industrie pharmaceutique française en termes de R&D, en comparaison à d’autres régions du monde, comme les États-Unis.
La crise sanitaire a non seulement révélé la complexité de la R&D dans l’industrie pharmaceutique mais aussi les faiblesses françaises dans ce domaine. La France, qui figure pourtant parmi les plus grands fabricants et exportateurs de médicaments au monde, est en effet l’une des rares puissances pharmaceutiques à ne pas avoir encore produit de vaccin national. Les raisons sont multiples : système de fixation des prix, réglementation lourde, faibles financements publics de la recherche fondamentale, partenariats insuffisants entre public et privé, difficulté à lever des fonds, réduction des budgets de R&D au sein des groupes pharmaceutiques, fuite des cerveaux… autant de facteurs freinant la capacité d’innovation française.
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L’innovation, facteur-clé de la compétitivité
Si la capacité d’innovation, incarnée par la R&D, reste le facteur-clé de la compétitivité de l’industrie pharmaceutique, elle est cependant très coûteuse, complexe et risquée. Alors que le secteur figure déjà parmi les plus intenses en termes d’investissements de R&D (rapportés au CA), les efforts nécessaires ne cessent de croître. Le coût de développement d’un nouveau médicament atteint désormais 1 à 2 milliards de dollars en moyenne ; les temps de développement, de la recherche de molécules jusqu’à la mise sur le marché, sont passés autour de 10 à 15 ans. Enfin, le taux d’échec est très élevé : moins de 10% des médicaments-candidats atteignent le stade des essais cliniques, et parmi eux, seule une petite fraction obtient une autorisation de mise sur le marché.
Pourtant, face à la concurrence internationale et la perte de brevets, les groupes pharmaceutiques ne peuvent faire l’impasse sur la R&D. A l’étranger, aux Etats-Unis notamment, la solution aux défis du secteur vient essentiellement de stratégies externes : meilleure collaboration public-privé, acquisitions de start-ups ou de laboratoires prometteurs, création d’écosystèmes d’innovation (co-entreprises, partenariats de recherche etc.). La plupart des grandes multinationales du secteur tirent désormais la moitié de leur capacité d’innovation de sources externes, favorisées par un meilleur accès aux financements notamment. Des conditions dont ne bénéficient que partiellement les laboratoires français.
Optimiser la R&D pharmaceutique avec l’IA
Mais leurs stratégies ne s’arrêtent pas là. Sous la pression de la pandémie, les groupes pharmaceutiques ont accéléré leurs investissements dans l’IA. Une tendance qui couvre l’ensemble de la chaîne de valeur pharmaceutique, mais dont les gains potentiels sont particulièrement élevés dans le domaine de la R&D. Selon le bureau de recherche Insider Intelligence, elle pourrait ainsi aider à réduire les coûts de la R&D pharmaceutique jusqu’à 70%.
L’IA ouvre en effet la voie à d’importants progrès dans la découverte et le développement de nouveaux médicaments.
Ainsi dans la phase de recherche, elle facilite la découverte de nouvelles molécules, l’identification des candidats les plus prometteurs, ou encore le repositionnement de médicaments (déjà approuvés ou non) pour de nouvelles indications thérapeutiques. Grâce à l’IA, la biotech allemande Evotec, spécialisée dans la recherche préclinique, a par exemple réduit à huit mois la découverte d’une molécule destinée à un traitement contre le cancer, là où un processus traditionnel nécessite en général 4 à 5 ans.
Au niveau des essais cliniques, où les applications restent certes expérimentales, l’IA promet un recours croissant à la simulation par ordinateur (essais “in silico”) en complément des essais in vitro (en laboratoire) ou in vivo (sur des êtres vivants). Son utilisation permettrait ainsi d’accélérer et d’optimiser l’élaboration de protocoles d’études cliniques, voire réduire les risques lors des essais in vivo ainsi que les taux d’échec.
Enfin, en facilitant l’exploitation des vastes données sanitaires réelles (données cliniques, dispositifs médicaux, objets connectés etc.), elle favorise les avancées dans la compréhension de pathologies complexes, la prise en compte de nouveaux facteurs influençant l’efficacité ou les effets indésirables des médicaments, ou encore dans la personnalisation des traitements. En 2021, Pfizer annonçait ainsi avoir développé un modèle basé sur l’apprentissage automatique permettant d’identifier, avec une grande précision, les patients souffrant d’une pathologie rare et mal diagnostiquée qui est souvent à l’origine d’insuffisances cardiaques.
Les bénéfices de l’IA ne faisant plus débat dans l’industrie pharmaceutique de nombreuses firmes américaines, indiennes, chinoises, japonaises, coréennes, allemandes ou encore suisses l’ont adoptée.
L’IA ne sera certes pas la solution miracle à tous les maux du secteur pharmaceutique français, mais à l’instar des avancées rapportées par plusieurs firmes, elle peut apporter une forte valeur ajoutée, notamment dans le domaine critique de la R&D. Entre baisse des coûts, gains de productivité, soutien à l’innovation, et donc meilleure compétitivité, les groupes et laboratoires pharmaceutiques ont beaucoup à gagner à renforcer leur digitalisation.