Pour la rentrée, notre chroniqueur Imed Boughzala décrypte le principe de sobriété numérique, vu comme clé de voute de l’intelligence digitale de demain.
Si nous avons déjà abordé précédemment le civisme digital à l’échelle des individus, nous allons aborder dans cette chronique l’impératif de la sobriété digitale ou numérique à une échelle plus large. Ce concept vise à réduire l’empreinte carbone du secteur du numérique, notamment en matière de consommation énergétique. Une notion fortement reliée à notre intelligence digitale pour un avenir meilleur d’une société de citoyens et d’organisations responsables.
Aujourd’hui, on compte en moyenne huit équipements par personnes. Parmi ces appareils numériques, nous cumulons les écrans, les tablettes, les smartphones, les ordinateurs, les montres connectées, etc[1]. L’utilisation de ces appareils implique la mise en place de plusieurs kilomètres de câbles (cuivre et fibre optique), de nombreux centres informatiques. Les chargeurs engendrent à eux seuls 3,8% des émissions de gaz à effet de serre mondiales soit 9% de la consommation totale d’énergie du numérique. Si rien ne change, l’émission de gaz à effet de serre pourrait augmenter jusqu’à 7% en 2025 (l’équivalent de l’émission des voitures aujourd’hui). Toutefois, il est encore possible de limiter la hausse en adoptant la « Sobriété numérique » comme plan d’action. Total et Microsoft ont formé une alliance sous forme d’échange leur permettant faire avancer leur transformation digitale et promouvoir la transition vers la neutralité carbone.[2]
L’expression « Sobriété numérique » désigne : « la démarche qui consiste à concevoir des services numériques plus sobres et à modérer ses usages numériques quotidiens » selon la définition de GreenIT.fr. La sobriété numérique a donc vocation à promouvoir les « Low-Tech »[3]s qui offrent des solutions techniques simples facilitant le recyclage, la fabrication locale des produits et l’utilisation de sources naturelles primaires. Ces technologies sont donc peu gourmandes en énergie et elles permettent de remettre l’homme au centre des activités. Par exemple, elles favorisent l’utilisation du vélo pour se rendre au travail au lieu de la voiture.
C’est dans ce contexte que les responsables du thank-tank The Shift Project[4], ont présenté, le 23 avril 2018, leur rapport « Lean ICT : Pour une sobriété numérique ». Selon ce rapport, il est urgent d’agir, faute de quoi le numérique fera davantage partie du problème que de la solution. Et pour agir, les entreprises ont un rôle à jouer en limitant les coûts à travers une transition numérique maitrisée. Le rapport formule ainsi plusieurs préconisations pour les organisations[5]:
- Développer une pédagogie de la prise de conscience de l’impact environnemental du numérique ;
- Adopter la sobriété numérique comme principe d’action de la transformation digitale, notamment en termes d’usage de la vidéo, de contrôle des copies numériques, de renouvellement des équipements d’infrastructure et des terminaux. Prendre également en compte le bilan carbone des projets numériques et l’inclure dans les critères d’arbitrage ;
- Intégrer de critères énergétiques et environnementaux dans les appels d’offre des grands donneurs d’ordre.
En plus d’aider les entreprises à se développer numériquement, la Sobriété Numérique représente un gain économique, environnemental et social pour les pays en développement en modifiant la création des infrastructures qui ne sont pas encore fondées. Dans les pays développés, cette pratique semble indispensable.
La Sobriété Numérique implique donc de se poser la question de « l’utilité » des technologies que l’on utilise. On considère qu’une technologie n’est « utile » que si elle permet de diminuer les émissions[6]. Cela implique que pour chaque « innovation », il faut être en capacité de quantifier son coût environnemental, dont son émission carbone, et de le mettre en parallèle les diminutions qu’elle permet. Pour mieux comprendre ce qui vient d’être énoncé, prenons l’exemple d’une vidéo que l’on regarde sur YouTube. Lancer la vidéo en cliquant dessus, c’est émettre une requête de transmission de données et donc une action de consommation électrique. Regarder une heure de vidéo en streaming sur son téléphone portable consomme autant qu’un réfrigérateur pendant un an. En moindre proportion, envoyer un mail avec une pièce jointe équivaut à allumer une ampoule pendant 24 heures, ou encore envoyer une photo de 4 méga sur WhatsApp ou autre équivaut à allumer une ampoule pendant 2 heures.
Pour finir, le rapport Empreinte Environnementale du numérique mondial, publié par GreenIT.fr[7] en octobre 2019, préconise quatre mesures principales de réduction de l’empreinte environnementale du numérique :
- Réduire le nombre d’objets connectés (estimés entre 50 et 80 milliards d’objets connectés à travers le monde en 2020), en favorisant leur mutualisation et leur substitution, par l’ouverture de leurs APIs ;
- Réduire le nombre d’écrans, en les remplaçant par d’autres dispositifs d’affichage : lunettes de réalité augmentée / virtuelle, vidéo projecteurs LED, etc. ;
- Augmenter la durée de vie des équipements, en allongeant la durée de garantie légale, en favorisant le réemploi et en luttant contre certaines formules d’abonnement ;
- Réduire les besoins des services numériques et promouvoir leur écoconception.
Alors que le terme de « Sobriété Numérique » existe depuis 2008[8], il n’a pris de l’importance que depuis 2018 grâce au rapport de The Shift Project[9]. Au vu des chiffres qui démontrent l’impact du numérique sur la planète, il semble plus qu’urgent d’agir. Remettre l’homme au centre et privilégier les circuits courts est devenu indispensable aujourd’hui pour diminuer l’empreinte carbone. L’écologie ce n’est pas simplement rouler dans des voitures électriques et arrêter la déforestation. C’est aussi prendre conscience de l’impact de chacun sur la planète et notamment de son impact numérique en tant que citoyen/organisation responsable. La citoyenneté digitale constitue une des composantes de l’intelligence digitale qu’il faut ne cesser de développer étant un objectif sociétal majeur.
[1] Chaque appareil numérique requiert entre 40 et 60 minerais et/ou métaux différents, dont certains provenant des terres rares dont l’épuisement total est prévu à l’horizon 2050. https://leshorizons.net/sobriete-numerique/
[2] https://www.total.com/fr/medias/actualite/communiques-presse/total-microsoft-sassocient-soutenir-linnovation-digitale-leurs
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Low-tech
[4] https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2018/11/Rapport-final-v8-WEB.pdf
[5] https://www.cigref.fr/sobriete-numerique-prise-de-conscience-collective
[6] https://youmatter.world/fr/sobriete-numerique-transition-ecologique-durable/
[7] https://www.greenit.fr/2019/09/10/sobriete-numerique-les-cles-pour-agir/
[8] https://fr.wikipedia.org/wiki/Sobri%C3%A9t%C3%A9_num%C3%A9rique
[9] https://theshiftproject.org/article/pour-une-sobriete-numerique-rapport-shift/