Notre chroniqueur Imed Boughzala continue son tour d’horizon des changements technologiques profonds qui parcourent notre économie, avec un focus sur l’industrie 4.0 et ses conséquences à la fois positives et négatives.
L’intelligence digitale est un préalable très important pour le bien commun de la société, la prospérité de l’économie et la souveraineté numérique des Etats. Il en est de même pour l’industrie qui doit créer de nouveaux produits et services avec des processus et procédés de production plus fluides, plus efficaces et plus durables.
Après trois révolutions industrielles, arrive une quatrième appelée industrie 4.0. Elle s’appuie sur les technologies digitales et post-digitales. L’expression de révolution s’impose en raison des conséquences importantes et des innovations de rupture qu’elles engendrent.
Chacune de ces révolutions industrielles (mécanisation avec la vapeur au XVIIIe, production de masse avec l’électricité et le moteur à explosion au XIXe, automatisation et robotisation au XXe et inter-connectivité et données au XXIe) a eu donc un impact considérable sur la société et l’économie mondiale, en transformant les modes de production, les habitudes de travail et les relations sociales.
Que ce soit « industrie 4.0 » pour les Allemands, « Smart Manufacturing » pour les Américains ou « industrie du futur » pour les Français, ces dénomination désignent l’ensemble des technologies, des tendances et des innovations qui vont transformer l’industrie et les entreprises dans les années à venir. C’est un domaine en constante évolution qui intègre de nouvelles technologies et de nouvelles approches et systèmes de production intelligents pour améliorer l’efficacité, la qualité et la durabilité des produits et des services. Elle est caractérisée par l’utilisation de technologies avancées et émergentes telles que : l’intelligence artificielle (IA), l’internet des objets (IoT), l’automatisation (RPA : Robot Process Automation), la robotique collaborative, la nanotechnologie, la blockchain, l’impression 3D/4D (fabrication additive), le matériel intelligent/innovant (Smart material), la réalité étendue (XR), les réseaux G5/G6 sans oublier les avancées liées à l’intelligence augmentée et à la quantique (nous en sommes qu’au début). Ces technologies doivent être rendues résilientes en leur en appliquant une couche de cyber sécurité et cyber sûreté.
Des processus industriels plus flexibles, plus efficaces et plus éco-responsables
En 2015, la France lançait des programmes de digitalisation des entreprises pour leur permettre de regagner en compétitivité au niveau international. L’industrie a profité particulièrement d’une forte collaboration entre les entreprises et les établissements d’enseignement supérieur et de recherche (et différents autres acteurs de l’écosystème) avec le soutien des pouvoirs publics avec des instruments comme l’Académie franco-allemande pour l’industrie du futur dont l’Institut Mines-Télécom est membre fondateur.
Les différentes évolutions technologiques ont pour but de rendre les processus industriels plus flexibles, plus efficaces et plus éco-responsables. L’industrie du futur se doit d’être responsable en mettant l’accent sur la durabilité des produits et sur la responsabilité sociale vis-à-vis des humains. Ceci n’entre pas en contradiction avec la performance et la rentabilité qui tirent avantage de l’analyse avancée des Data. La filière textile par exemple, d’une part a misé sur l’optimisation de la chaîne de production par un suivi pointu de la production basé sur les données et de l’autre, sur la réutilisation des fibres des vêtements portés et le traitement des eaux usées.
L’Industrie du futur a un impact positif sur le secteur industriel dans son ensemble (marques, donneurs d’ordre, partenaires, fournisseurs, sous-traitants quel que soit leur rang d’expertise, de capacité, de fourniture…), tel que :
- Amélioration de l’efficacité : L’utilisation de la technologie pour automatiser les processus et connecter les objets de production améliore l’efficacité et facilite une réduction des coûts et du temps.
- Flexibilité accrue : Les systèmes connectés de l’Industrie du futur s’adaptent rapidement aux changements de demande du marché pour répondre plus rapidement aux besoins des clients.
- Innovation accélérée : La technologie de l’Industrie du futur permet de développer de nouveaux produits et de nouveaux processus de production plus rapidement et à moindre coût.
- Amélioration de la qualité : La surveillance en temps réel des processus de production permet de détecter et de corriger rapidement les défauts, améliorant la qualité des produits.
Cependant, l’Industrie du futur peut également entraîner des effets négatifs telles que :
- Perte d’emplois : L’automatisation de certaines tâches peut entraîner la suppression de certains emplois avec un impact sur la main-d’œuvre. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aura pas la création d’autres emplois liés à de nouveaux métiers souvent plus techniques (pour maintenir par exemple les objets connectés) ou liés à la formation.
- Risques pour la sécurité des données et les humains : La collecte et l’analyse de grandes quantités de données peuvent poser des risques pour la protection de la vie privée et la sécurité des données. Les interactions avec les machines pourraient aussi augmenter les risques professionnels.
- Inégalités économiques : Les entreprises dotées de la technologie de l’Industrie du futur peuvent avoir un avantage concurrentiel sur les entreprises qui ne peuvent pas investir.
L’accélération de la transformation numérique met l’industrie du futur avec ses femmes et hommes, face à quelques défis majeurs :
- La gestion de la complexité : l’industrie du futur est caractérisée par la présence de nombreuses technologies et innovations qui pourraient être difficiles à gérer/faire cohabiter. Il faudra donc développer de nouvelles approches pour maîtriser la complexité et assurer la cohérence de tous les systèmes.
- L’intégration de l’IA et de la robotique en collaboration avec les humains : l’IA et la robotique seront de plus en plus présentes dans l’industrie questionnant la coopération et de collaboration entre les machines et les humains (problèmes de co-évolution et risques professionnels). Il faudra trouver des moyens de faire travailler ensemble ces technologies avec les humains avec des nouvelles compétences (i.e l’empathie digitale) pour créer de nouvelles opportunités de production. On parle déjà de l’industrie 5.0 centrée l’Homme et son bien-être dans le travail « visant à considérer les actions et interactions réciproques de l’Homme et son environnement technologique en traitant des enjeux de cognition en termes de compétences augmentées » pour parler d’un « Humain 5.0 » (cette partie est extraite de la stratégie d’ensemble 2023/2027 de l’Institut Mines-Télécom).
- L’adaptation à l’évolution rapide de la technologie : le rythme d’évolutions des technologies est de plus en plus accéléré. Une technologie est à peine installée qu’une autre prend sa place ou une nouvelle version la rend limitée ou tout simplement obsolète.
- L’impact de l’empreinte carbone : l’utilisation intensive des technologies et donc de l’énergie pourrait augmenter les dommages liés au changement climatique. Le recours aux technologies vertes (Green tech/IT) et l’optimisation de la consommation de l’énergie feront partie des décisions pour aboutir à une industrie du futur responsable (plan du gouvernement pour verdir l’industrie en 2023).
En conclusion, l’Industrie du futur peut apporter de nombreux avantages en termes d’efficacité, de flexibilité et d’innovation. Toutefois, il est nécessaire de prendre en compte ses conséquences potentiellement négatives pour veiller à ce qu’elle profite à l’ensemble de la société. Ici, l’intelligence digitale des managers et des décideurs est plus que jamais attendue pour rendre cette industrie du futur responsable en limitant la fracture numérique des entreprises (surtout les PMEs) mais aussi des Etats comme ceux des pays en voie de développement, en choisissant les solutions les moins énergivores possibles pour ne pas accélérer le changement climatique. Elle offre un formidable potentiel pour améliorer les conditions de travail des humains interagissant avec des technologies. Elle permet également de contribuer au développement de l’économie circulaire en réutilisant/reconditionnant (entre autres) la matière et les déchets. Cette acculturation a déjà commencé et se diffuse sur les bancs des grandes écoles et des universités. Une grande place à la formation tout au long de la vie s’ouvre aussi.