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[Chronique] Intelligence digitale : quand l’apprentissage se transforme

La pédagogie et l’apprentissage ne font pas l’exception face à la transformation digitale, explique notre chroniqueur Imed Boughzala dans sa dernière analyse. Ces domaines nécessitent pour le formateur autant que pour l’apprenant de se doter d’une bonne intelligence digitale à l’avenir.

Dans un contexte marqué par la rupture entre la culture numérique avec la culture universitaire traditionnelle, la crise sanitaire a révélé les limites des pratiques de l’enseignement à distance. Le plus souvent, il s’agissait de diffuser le cours magistral en ligne. Pour la réussite des étudiants, il faut mener une réflexion de fond sur les nouvelles pédagogies reposant sur le numérique et faisant appel à notre intelligence digitale.

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Déficit d’attention, paresse sociale (Social loafing), absentéisme ou faire autre chose pendant les cours, rendent la tâche des enseignants de plus en plus compliquée surtout lorsque les caméras ne sont pas activées ou lorsqu’ils rencontrent des problèmes liés à la technologie ou à l’accès internet. Si la pédagogie a été depuis toujours le nerf de la guerre dans l’enseignement supérieur, elle fait aujourd’hui l’objet de nouveaux questionnements. Ils portent sur : la place de l’apprenant, le rôle et les compétences de l’enseignant, les méthodes de transmission du savoir, les modèles et les dispositifs d’apprentissage, l’espace de travail de l’apprenant et de l’enseignant…

Exploration des pédagogies

Aujourd’hui, l’innovation pédagogique est fortement impactée par le numérique et les possibilités du distanciel. La numérisation des contenus, les MOOC/SPOCs, les serious games, les escape games les casques de réalité virtuelle, les mondes virtuels 3D, ou encore le Mobile Learning sont de plus présents dans les débats au sein des universités et des écoles. On note aussi un regain d’intérêt pour l’autonomisation de l’apprenant autour des notions de « classe inversée » (Flipped Classroom), apprendre par soi-même ou encore apprendre à apprendre.

Le modèle de la classe inversée propose de remplacer le rôle traditionnel de l’enseignant-transmetteur de connaissance. Il est alors confronté à des apprenants en position d’assimilation passive en salle de cours, par un dispositif qui met en perspective ce qui a été activement construit ou pour le moins étudié par les apprenants eux-mêmes. Dans la salle (en présentiel ou en distanciel ou en hybride – Blended Learning) de classe inversée, les apprenants travaillent en groupe, bâtissent des projets, s’entraînent autour de tâches complexes… Ils tentent enfin d’appliquer les connaissances à la résolution de problèmes et à des travaux pratiques.

Qu’est-ce que « Apprendre » ?

Mais d’abord revenons un moment sur la notion d’apprentissage d’un point de vue théorique. L’apprentissage consiste à transformer l’information en connaissance, via des ressources (matérielles et humaines). Il s’agit d’un processus actif et constructif au travers duquel l’apprenant manipule des ressources cognitives de façon à créer de nouvelles connaissances en extrayant l’information de l’environnement et en l’intégrant dans sa structure informationnelle présente en mémoire (Kozman 1991)[1]. Print (1993)[2] distingue principalement quatre modèles d’apprentissage centrés sur :

Sujet : l’enseignement vise à transmettre des concepts théoriques à l’apprenant.

Connaissance de base : l’apprentissage a pour objectif de transmettre les connaissances et les compétences de base d’un domaine donné.

Apprenant : le cours repose sur les besoins, les centres d’intérêts et les objectifs de l’apprenant.

Problème : l’apprentissage est basé sur la résolution de problèmes et la mise en situation.

Les deux derniers modèles d’apprentissage sont en adéquation avec la pédagogie inversée. En effet, le modèle centré apprenant permet à l’enseignant d’orienter son cours en fonction des interactions avec les apprenants et de leurs interrogations pour développer la collaboration autour d’une communauté d’apprenants (Community of learners) en pleine effervescence. Le modèle centré problème met l’accent sur la mise en situation et le travail en groupe des apprenants pour la résolution des problèmes (Learning by doing autour de défis/challenges, Hackatons, Bootcamps, etc.).

Les toutes premières expériences de pédagogie inversée ont été menées par Éric Mazur (1997)[3] à l’université de Harvard, dans le domaine de la physique. Cependant, celui qui a réellement développé et diffusé le concept est un Américain, Salman Kahn. En 2004, il avait publié des vidéos sur YouTube visant à aider des proches dans leur apprentissage des mathématiques. Rapidement, elles ont été consultées par des centaines de personnes et, en 2010, la Fondation Bill Gates et Google ont mis à sa disposition 3,5 millions de dollars pour fonder la Kahn Academy, qui prône un espace web d’apprentissage gratuit et libre pour tous.

Transformer le rôle de l’enseignant

Mais finalement qu’est-ce que la pédagogie inversée ? Dans la lignée de la pédagogie active (Active learning), qui remonte au début du XXe siècle et qui se réfère au pédagogue suisse Adolphe Ferrière[4], il s‘agit de rendre l’apprenant acteur de ses apprentissages (Ferrière, 1922)[5]. Dans la pédagogie inversée, une connaissance est d’abord étudiée par l’apprenant. Ainsi, dans la préparation d’un cours celui-ci est amené à découvrir par lui-même la connaissance en question avec l’aide d’outils fournis par l’enseignant (tutoriels, fichiers ou vidéos en ligne, etc.). L’apprenant arrive ensuite en classe armé de questions, d’interrogations et surtout d’envies. En classe, l’enseignant propose des « tâches complexes » liées à ce qui a été étudié, à travers des mises en situation ou des manipulations, ou encore l’échanges d’idées en petits groupes.

L’enseignant guide les apprenants en les accompagnant de manière individuelle. Le rôle de l’enseignant se transforme alors. Il n’est plus le « transmetteur » du savoir, il devient un guide, un accompagnateur. On commence même à évoquer le coaching dans l’enseignement supérieur, à l’instar du coaching en entreprise. L’apprenant devient plus actif dans le dispositif d’apprentissage et devient donc responsable de son apprentissage qu’il adapte à son rythme (Self-supervised Learning). La responsabilisation de l’apprenant est une notion centrale qui se réfère à l’empowerment des individus dans le coaching.

 

[1] Kozman, R.B., (1991). Learning with media. Review of Eductational Research, 66, pp. 179-211.

[2] Print, M. (1993). Curriculum Development and Design, (2nd Ed)., St Leonards, Allen and Unwin

[3] Mazur, E. (1997). Peer Instruction, A User’s Manual, Prentice Hall Series in Educational Innovation Upper Saddle River

[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Adolphe_Ferrière

[5] Ferrière, A. (1922) La pratique de l’école active, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel

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