Dans le cadre de son dossier consacré au futur du travail et le “care” au cœur de la transformation numérique, Alliancy a choisi de s’entretenir avec Karim Cherif, spécialiste des problématiques RH au sein du cabinet de conseil Magellan Consulting. L’occasion de se rendre compte du potentiel réel de l’IA dans d’accompagnement et la prise de décision des RH et managers.
Alliancy. Quel est votre rôle exact au sein de Magellan Consulting ?
En charge de la practice Ressources Humaines chez Magellan Consulting, j’interviens auprès des DRH sur l’organisation de leurs fonctions (missions, services, performance) et sur l’accompagnement des transformations, depuis la définition des politiques RH jusqu’à leur mise en œuvre.
Magellan Consulting représente environ une quarantaine de consultants qui interviennent auprès des DRH de grosses structures : 85% de nos clients font en effet partie du CAC40.
Vous dites que l’intelligence artificielle (IA) est aujourd’hui un levier majeur pour les DRH ? Dans quel sens ?
Il y a un vrai questionnement en cours sur le rôle de l’IA au service de la fonction RH. Les entreprises ne sont globalement pas encore assez matures pour pleinement en bénéficier et pour l’intégrer au sein de leurs processus de fonctionnement. Nous sommes encore dans une phase de compréhension de cette technologie et d’identification des possibles cas d’usage.
Le recours à l’IA n’est donc ni systématique, ni naturel. En revanche, c’est une minière d’or en termes de data. La fonction RH s’est rendue compte qu’elle avait beaucoup de données à disposition, même si elles sont parfois peu qualifiées ou exploitées au moment du bilan social.
Concernant le “care”, nous pouvons aujourd’hui affirmer qu’il fait bien partie de la vision des comités exécutifs d’innombrables entreprises. Le but étant, grâce à la data, de mieux connaître ses collaborateurs. Elle est notamment utile, dans certains cas, pour comprendre les causes d’absentéisme au travail.
Elle est essentielle pour mieux comprendre les perspectives de carrières du collaborateur, pour pouvoir l’accompagner et répondre à ses besoins. Les données sont disponibles mais il faut, pour cela, qu’elles soient lisibles et donc exploitables. Une IA peut aider à déterminer des profils-types de collaborateurs et c’est à partir de ce phénomène qu’une entreprise peut fidéliser ses collaborateurs.
N’est-ce pas une vision trop « technique » de la gestion RH ?
L’humain reste au cœur des processus et l’entretien reste une condition sine qua non pour être recruté au sein d’une entreprise. Aucune fonction RH ne recrute un profil uniquement à partir d’un CV qui a passé les filtres de la data, de la même manière qu’un candidat n’accepterait jamais les yeux fermés une offre d’emploi proposée via LinkedIn, simplement parce que c’est l’algorithme qui l’a choisie. En revanche, cet algorithme s’est occupé d’analyser des milliers d’annonces en ligne à notre place.
La data fournit des éléments importants qui aident les DRH et les managers à prendre une décision éclairée sur les profils sélectionnés. Il ne faut toutefois pas considérer ceci comme une décision “froide”, basée sur les meilleures compétences d’un candidat. Certains profils exclus par l’IA sont intéressants, présentant des caractéristiques et des soft skills très recherchés.
Une IA est-elle vraiment capable d’aider à prendre en compte les nouvelles attentes/exigences des salariés ?
C’est impossible et l’objectif n’est pas celui de remplacer le management, la proximité ou le contact humain. Si une entreprise pense qu’elle peut se contenter d’un management de proximité et de pouvoir remplacer la gestion de carrière par l’IA, elle va droit dans le mur. Ce n’est pas l’IA qui va mener les évaluations, ce n’est pas non plus l’IA qui va par exemple expliquer au collaborateur pourquoi il n’a qu’1% d’augmentation cette année.
Toutefois, il y a un gros chantier sur l’accompagnement du management et l’IA garantit une aide supplémentaire aux entreprises. Par exemple, une organisation de 20 000 collaborateurs qui décide de faire son listing à la main risque de perdre du temps. L’IA vient faciliter ce travail et peut se rendre rapidement compte des inégalités inhérentes à l’organisation. La technologie est donc mise au service de l’humain.
L’IA peut-elle détecter les soft skills ?
Des travaux ont été effectués sur la détection par vidéo du visage ou bien de la voix du talent dans les processus de recrutement. Je ne pense pas que la technologie soit assez mature et fiable à ce stade. Tout ne s’exprime pas par la gestuelle et cela ne remplace pas le “feeling” lors d’une rencontre physique entre un recruteur et un talent. Il ne faut pas, non plus, tout analyser sous le prisme de la data et analyser l’humain comme une donnée.
Selon vous, l’IA s’occuperait de la quantité et les DRH de la qualité du recrutement ?
Oui, l’IA s’occuperait en effet de la quantité et les DRH de la qualité du recrutement. L’IA intervient au service des RH comme une modalité et non une finalité. In fine, la décision de recrutement appartient toujours aux RH et managers. Affirmer que l’IA peut s’occuper toute seule du recrutement est problématique, d’autant plus que cela véhiculerait l’idée qu’elle pourrait supprimer des emplois. Ce n’est pas le but.
Comment s’assurer que les algorithmes de recrutement ne sont pas biaisés ?
Chaque individu est rempli de biais. La seule façon que l’humain a trouvé pour contrer ces biais reste le collectif : c’est la raison pour laquelle, lors d’un processus de recrutement, il n’y a quasiment jamais qu’un seul entretien mais trois au minimum.
Lorsque nous parlons d’intelligence artificielle, nous oublions souvent qu’elle est conçue par des humains qui ont leurs propres biais. Les algorithmes programmés sont donc par nature biaisés notamment sur la question de la parité ou de la diversité dans le monde du travail. Il faut multiplier les canaux et ne pas se contenter de l’IA pour effectuer le travail à notre place.