Olivier Heitz est le DSI de Bouygues Telecom. A la tête d’une équipe de 600 collaborateurs et d’autant d’acteurs externes, il a opéré depuis 2017 une transformation cloud volontariste. Il explique en quoi l’année 2021 va être celle du bilan en la matière pour l’opérateur télécom.
Olivier Heitz interviendra lors de la keynote d’ouverture animée par Alliancy du IBM Virtual Cloud Forum le 3 février.
Alliancy. Quel chemin de transformation cloud a emprunté Bouygues Telecom ?
Olivier Heitz. Notre stratégie a été volontariste. Depuis 2017, nous avons passé 85% de nos environnements de développement sur le cloud et environ la moitié de nos environnements de production. A partir de 2019, nous avons créé une cellule centralisée d’une douzaine de personnes pour assurer le move-to-cloud : depuis lors, il faut des critères stricts pour justifier de ne pas aller vers le cloud pour les projets, nous avons inversé la charge de la preuve ! L’ensemble de ces choix ont précédé 2020 et cela s’est donc ressenti clairement sur nos usages et le fonctionnement pendant la crise sanitaire.
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Je tiens à souligner que le moteur principal n’a jamais été de faire des économies en soit. Notre taille fait que le cloud est surtout un moyen de gagner énormément en termes de performance et de scalabilité. Nous ne pourrions pas reproduire cela entièrement en interne avec une DSI de notre taille. Ainsi, quand nous avons décidé d’attaquer le sujet des environnements de production, nous nous sommes concentré sur les systèmes où existent d’importantes différences en termes de variabilité et de charge, par exemple le site e-commerce ou l’espace client pour absorber les impacts des offres promotionnelles.
Quels sont vos principaux chantiers 2021 en matière de cloud ?
Olivier Heitz. 2021 va être très clairement une année de bilan alors que nous avons passé ces derniers mois un cap en termes d’industrialisation autour du cloud, avec une chaine DevOps très performante. Doit-on maintenant passer une marche de plus ? Aller encore plus loin sur nos environnements de production ? Si nous voulons dépasser le ratio de 50%, nous allons devoir faire rentrer au moins un autre opérateur cloud, pour éviter tout problème de dépendance et garder un effet de levier dans la transformation. Quand nous nous sommes lancés au départ, nous avons fait le choix d’Amazon, avec un peu de Google, mais nous ne pouvons pas rester uniquement dans cette logique. Les plus grands défis vont donc être ceux de la réversibilité, de l’hybridation, et de pouvoir travailler avec des offres innovantes qui ne soient pas complètement propriétaires, en particulier autour de l’intelligence artificielle.
Par ailleurs, nous avons quelques autres interrogations plus précises auxquelles il faudra apporter des réponses. Par exemple, au-delà des considérations stratégiques, nous avons aussi encore des données que nous n’avons pas souhaité externaliser pour des raisons techniques, par exemple sur la facturation temps réel… car il n’y a pas encore d’offres externes satisfaisantes dans le cloud sur le sujet ! Il faut donc que nous continuions d’observer l’arrivée de nouvelles propositions sur le marché dans les prochains mois.
A quel point la 5G est spécifiquement un des chantier important dans la dynamique de transformation cloud des organisations ?
Olivier Heitz. De nombreuses entreprises, dont Bouygues Telecom, ont de plus en plus besoins de services qui ont un impact fort en termes de latence. En tant qu’opérateur télécom, nous voyons donc évidemment un sujet 5G important dès 2021, car cette technologie va apporter à terme des progressions sans équivalent en matière de performance et de latence. Cela peut jouer pour nous en interne, mais l’on voit aussi de plus en plus de nos clients qui basculent fortement vers le cloud et qui vont avoir besoin de cela. En particulier, il va vraiment y avoir des avancées majeures sur le sujet IoT dans les 2 à 3 ans : la 5G va les rendre possibles. On voit d’ailleurs que de nombreux opérateurs cloud se mobilisent sur le sujet pour ne pas risquer de perdre ces nouveaux marchés dans quelques mois.
Quelles autres tendances vont être décisives pour vous dans les prochains mois ?
Olivier Heitz. Sur les autres tendances pour lesquels nous sommes attentifs : je dirais surtout les progrès en matière d’hybridation et la conteneurisation. Nous regardons de près les enjeux et la vision différente que cela implique en matière d’architecture. Nous sommes très intéressés par Kubernetes par exemple. Cela m’anime fortement parce que nous ne devons pas rater le virage, et les possibilités vont changer très vite pour les DSI, dès qu’un cap de maturité sera atteint. Il nous faut être prêt et donc commencer à investir dès maintenant.
Certains sujets vous agacent-ils quand on parle de cloud aujourd’hui ?
Un autre sujet de débat récurrent est celui du coût du cloud. Dans ma vision, pour le moment, la concurrence fonctionne bien. Nous devons seulement être attentif pour ne pas se retrouver dans une situation quasi hégémonique à l’avenir, qui pourrait vite poser problème. Les gains économiques dans ce cadre sont donc réels pour les plus petites organisations. Pour les autres, qui ont une masse critique, je le répète : le sujet est celui du gain de performance et de scalabilité avant tout. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas se donner les moyens de maitriser sa facture cependant. Les cloudeurs proposent beaucoup d’outils en ce sens, mais il faut y passer du temps et y consacrer des expertises.
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Dans notre cellule centrale, nous avons ainsi un profil technique et un gestionnaire qui suivent cela en temps réel. Le sujet n’est pas différent du suivi de la consommation d’électricité ou d’eau d’une grande entreprise industrielle ! Il faut analyser les factures, identifier les fuites, automatiser les actions… Pour le cloud, cela veut dire par exemple arrêter automatiquement les environnements de développement la nuit, etc. Cette maîtrise des coûts est clairement à industrialiser. Cela a été un chantier important pour nous ces dernières années et cela doit être une priorité 2021 pour les entreprises qui ne se sont pas encore penchées sur le sujet.
Quel message retenir pour cette année 2021 ?
Olivier Heitz. Nous sommes à un stade de maturité cloud dans les entreprises et sur le marché où l’un des plus grands enjeux de 2021 sera sans doute une vraie montée en compétence généralisée. Même avec une DSI de notre taille, je vois à quel point l’enjeu de formation peut être important. Il y a des réflexes cloud à acquérir chez beaucoup de collaborateurs, notamment les développeurs. En parallèle, je pense que les offreurs de cloud doivent aussi mener des remises en question : on a le sentiment d’aller vers des services de plus en plus propriétaires, et cela est inquiétant. Nous n’allons pas sur le cloud uniquement pour gérer de l’infrastructure : l’entreprise recherche des fonctions innovantes, sources de valeur pour son activité, qui nécessitent des composants très spécifiques. Alors il est naturel que cela soit vu comme un levier commercial fort pour les opérateurs de cloud, mais cela ne doit pas devenir un sujet de blocage pour leurs clients. De plus en plus de cloudeurs ont d’ailleurs compris l’intérêt de l’open source sur de nombreux sujets… ils peuvent sans doute s’inspirer de cela pour imaginer un chemin équilibré pour la suite.